Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 53 F-D
Pourvois n°
Z 20-17.697
R 20-17.758 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022
I- La Société mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° Z 20-17.697 contre un arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d’appel de Pau (1re chambre civile), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 3],
3°/ à M. [F] [L], domicilié [Adresse 5], pris en qualité de liquidateur de la société EPC Atlantique,
4°/ à la société EPC Atlantique, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
5°/ à la société MMA IARD, société anonyme, venant aux droits de la société Covea Risks, pris en qualité d’assureur de la société Ingecobat,
6°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea Risks, pris en qualité d’assureur de la société Ingecobat,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 3],
7°/ à la société Belin promotion, venant aux droits de la SCCV Les demeures de Brindos, dont le siège est [Adresse 1],
8°/ à la société Kimu architecture, dont le siège est [Adresse 2],
9°/ à la société Ingecobat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8],
10°/ à la société Qualiconsult, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
II- La société Kimu architecture, société à responsabilité limitée, a formé le pourvoi n° R 20-17.758 contre le même arrêt rendu, dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Les demeures de Brindos,
2°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
4°/ à M. [F] [L], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société EPC Atlantique,
5°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
6°/ à MMA IARD assurances mutuelles,
7°/ à la société Mutuelle des architectes français,
8°/ à la société Ingecobat, société à responsabilité limitée,
9°/ à la société Qualiconsult, société par actions simplifiée,
défendeurs à la cassation.
La société Ingécobat, demanderesse au pourvoi incident n° Z 20-17.697, a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La société Qualiconsult, demanderesse au pourvoi incident n° Z 20-17.697, a formé également par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Pourvoi n° Z 20-17.697 :
La demanderesse au pourvoi principal, invoque à l’appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La société Ingécobat, demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La société Qualiconsult, demanderesse au pourvoi incident, invoque à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Pourvoi n° R 20-17.758 :
La demanderesse invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Kimu architecture, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Qualiconsult, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Ingecobat, de la SCP Spinosi, avocat de la société Belin promotion, après débats en l’audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Z 20-17.697 et n° R 20-17.758 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société EPC Atlantique (la société EPCA) et M. [L], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci.
3. Il est donné acte à la société Kimu architecture, venant aux droits de la société LA architecture, du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société Les Demeures de Brindos, de M. [L], ès qualités, et des sociétés Mutuelles du Mans assurances IARD et Mutuelles du Mans assurances IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), en leur qualité d’assureur de celle-ci.
Faits et procédure
4. Selon l’arrêt attaqué (Pau, 20 mai 2020), la société Les Demeures de Brindos, aux droits de laquelle vient la société Belin promotion, qui a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la MAF, a entrepris, en qualité de maître de l’ouvrage, la réalisation d’un groupe d’immeubles composé de bâtiments collectifs et de villas.
5. Sont intervenus à l’opération de construction :
– le groupement conjoint et solidaire constitué des sociétés LA architecture, aux droits de laquelle vient la société Kimu architecture, assurée auprès de la MAF, et Ingecobat, assurée auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA, au titre de la maîtrise d’oeuvre ;
– la société EPCA, désormais radiée du registre du commerce et des sociétés, assurée auprès des sociétés MMA, au titre du lot gros oeuvre ;
– la société Qualiconsult, en qualité de contrôleur technique.
6. Imputant à l’entreprise de gros oeuvre des erreurs d’implantation des immeubles les privant de tout accès et des défauts affectant les fondations d’un bâtiment, le maître de l’ouvrage a résilié le contrat de celle-ci et a sollicité une mesure d’expertise, qui a ensuite été rendue commune aux locateurs d’ouvrage et à leurs assureurs.
7. La société Les Demeures de Brindos a assigné, après expertise, l’ensemble des intervenants en réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° R 20-17.758, ci-après annexé
8. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal n° Z 20-17.697, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande de remboursement des provisions versées à hauteur de 1 700 000 euros, alors « que l’indemnité versée par l’assureur dommages-ouvrage doit être affectée au financement des travaux de reprise par le maitre d’ouvrage, ce que celui-ci doit démontrer ; qu’en l’espèce, la MAF a sollicité le remboursement des provisions versées à la SCCV Les Demeures de Brindos en faisant valoir que celle-ci ne justifiait pas avoir affecté ces provisions au financement des travaux de remise en état de l’ouvrage ; que pour condamner la MAF à payer à la SCCV la somme de 2 051 409,99 euros HT au titre de la reprise des désordres affectant l’ouvrage et la débouter de sa demande de restitution des provisions versées, la cour d’appel a retenu que leur versement était intervenu par décisions judiciaires postérieures à l’engagement des travaux nécessaires à une reprise rapide des désordres dont le préfinancement avait été assumé par l’associé principal de la SCCV, et que le fait que cette dernière ne justifie pas avoir personnellement réglé les travaux de reprise ne pouvait justifier le rejet de ses prétentions et sa condamnation à restitution des sommes perçues en exécution des ordonnances ; qu’en statuant ainsi, par des motifs dont il résulte que le maître d’ouvrage ne justifiait pas avoir affecté les sommes mises à la charge de l’assureur dommages-ouvrage au financement de travaux de reprise, la cour d’appel a violé l’article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
10. L’assureur, qui a été condamné à payer une certaine somme au titre des désordres matériels, dont ont été déduites les provisions versées, ne pouvait pas prétendre au remboursement de ces provisions, de sorte que le moyen est sans portée.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi principal n° Z 20-17.697, pris en sa seconde branche, et le premier moyen du pourvoi incident de la société Ingecobat, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
12. Par son premier moyen, pris en sa seconde branche, la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, fait grief à l’arrêt de la condamner, en cette qualité, in solidum avec les sociétés LA architecture, Qualiconsult et Ingecobat, celle-ci garantie par son assureur les sociétés MMA, à payer à la société Les Demeures de Brindos certaines sommes à titre de réparation, sous déduction des provisions déjà versées, alors « que la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs ; qu’en l’espèce, la MAF a, dans ses conclusions d’appel, demandé la confirmation du jugement qui avait retenu que les désordres affectant le bâtiment A devaient être réparés par l’allocation à la société Les Demeures de Brindos d’une somme de 839 529,77 euros, au lieu de celle de 954 864,77 euros retenue par l’expert, correspondant à ce qui avait été exposé suivant un avenant régularisé avec la société Eiffage ; qu’en décidant que les désordres affectant le bâtiment A devaient être réparés par l’octroi d’une somme de 954 864,47 euros, sans réfuter les motifs des premiers juges que la MAF s’était appropriée, la cour d’appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile. »
13. Par le premier moyen de son pourvoi incident, la société Ingecobat fait grief à l’arrêt de la condamner, in solidum avec d’autres intervenants, à payer au maître de l’ouvrage certaines sommes à titre de réparation, et à garantir la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, à hauteur de certaines sommes, alors « que la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs ; que le jugement avait retenu que les désordres affectant le bâtiment A devaient être réparés par l’allocation d’une somme de 839 529,77 euros, correspondant à la somme exposée par Eiffage, au lieu de la somme de 954 864,77 euros retenue par l’expert ; qu’en retenant la somme de 954 864,77 euros sans réfuter les motifs des premiers juges, que la société Ingecobat s’était appropriés, la cour d’appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. Sous le couvert du grief non fondé de défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel du préjudice matériel relatif aux désordres affectant le bâtiment A, laquelle, par une décision motivée se référant à l’estimation de l’expert, dont elle a constaté qu’elle ne faisait l’objet d’aucune contestation technique, a évalué le coût des travaux réparatoires des désordres affectant cet ouvrage à la somme qu’elle a retenue.
15. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi incident de la société Ingecobat, réunis
Enoncé des moyens
16. Par son deuxième moyen, la société Ingecobat fait grief à l’arrêt de la condamner in solidum avec d’autres intervenants, à payer au maître de l’ouvrage certaines sommes à titre de réparation, à garantir la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, à hauteur de certaines sommes, et de lui imputer, dans ses rapports avec ses coobligés, 20 % de la charge définitive de ces condamnations, alors :
« 1°/ qu’il est exclu que la société qui n’est en charge que d’une mission partielle de maîtrise d’oeuvre, correspondant à l’ordonnancement, le pilotage, et la coordination des travaux mais n’impliquant pas le suivi des travaux, puisse être condamnée à supporter la charge définitive d’une condamnation au titre de désordres ayant pour origine la mauvaise exécution des travaux incombant à l’entrepreneur ; qu’en condamnant la société Ingecobat à supporter la charge définitive de condamnations au titre de désordres résultant de la mauvaise exécution des travaux de gros-oeuvre, quand elle relevait qu’en application de l’article B6 du contrat d’architecte, le « contrôle [de] la conformité de l’exécution avec les dispositions du permis de construire, le marché » n’incombait pas à la société Ingecobat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1213 anciens du code civil ;
2°/ qu’il est exclu que la société qui n’est en charge que d’une mission partielle de maîtrise d’oeuvre, correspondant à l’ordonnancement, le pilotage, et la coordination des travaux mais n’impliquant pas le suivi des travaux, puisse être condamnée à supporter la charge définitive d’une condamnation au titre de désordres ayant pour origine la mauvaise exécution des travaux incombant à l’entrepreneur ; qu’en condamnant la société Ingecobat à supporter la charge définitive de condamnations au titre de désordres résultant de la mauvaise exécution des travaux de gros-oeuvre, quand elle relevait qu’en application de l’article B6 du contrat d’architecte, le « contrôle [de] la conformité de l’exécution avec les dispositions du permis de construire, le marché » n’incombait pas à la société Ingecobat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1213 anciens du code civil. »
17. Par son troisième moyen, la société Ingecobat fait le même le grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ que dans les rapports entre co-responsables, chacun ne peut être définitivement responsable que pour la part qu’il a contribué à causer ; qu’en déclarant la société Ingecobat responsable au titre des désordres affectant les bâtiments B et E sans constater qu’elle avait commis une faute à cet égard, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1213 anciens du code civil ;
2°/ que dans les rapports entre co-responsables, chacun ne peut être définitivement responsable que pour la part qu’il a contribué à causer ; qu’en déclarant la société Ingecobat responsable au titre des désordres affectant les bâtiments B et E sans constater qu’elle avait commis une faute à cet égard, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1213 anciens du code civil ;
3°/ qu’à tout le moins, à supposer que la cour d’appel ait conclu à l’existence d’une faute de la société Ingecobat s’agissant des bâtiments B et E, quand le rapport d’expert du 18 juin 2012 relatif aux désordres affectant ces bâtiments a conclu que les désordres étaient imputables « a minima pour l’ensemble de la maîtrise d’oeuvre comprenant la LA Architecture et Qualiconsult dans le cadre de leurs contrats respectifs », la cour d’appel a dénaturé le rapport d’expertise en violation du principe selon lequel le juge ne doit ne doit pas dénaturer les documents de la cause. »
18. Par son quatrième moyen, la société Ingecobat fait le même grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ qu’en cas de manquement à une obligation d’information et de mise en garde, la responsabilité du débiteur n’est retenue que pour autant qu’il est constaté que le créancier, mis en présence de ces informations, avait des chances de prendre une décision différente de celle qu’il a adoptée ; que la cour d’appel a retenu que la société Ingecobat avait commis une faute en n’alertant pas suffisamment la société Les Demeures de Brindos des désordres structurels affectant le bâtiment A ; que faute d’avoir constaté que la société Les Demeures de Brindos, dûment informée, avait des chances de prendre une décision différente, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1147 et 1213 anciens du code civil ;
2°/ qu’en cas de manquement à une obligation d’information et de mise en garde, la responsabilité du débiteur n’est retenue que pour autant qu’il est constaté que le créancier, mis en présence de ces informations, avait des chances de prendre une décision différente de celle qu’il a adoptée ; que la cour d’appel a retenu que la société Ingecobat avait commis une faute en n’alertant pas suffisamment la société Les Demeures de Brindos des désordres structurels affectant le bâtiment A ; que faute d’avoir constaté que la société Les Demeures de Brindos, dûment informée, avait des chances de prendre une décision différente, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1382 et 1213 anciens du code civil ;
3°/ qu’à tout le moins, les juges du fond sont tenus de répondre aux moyens contenus dans les conclusions d’appel des parties ; qu’en condamnant la société Ingecobat pour n’avoir pas alerté efficacement la société Les Demeures de Brindos des désordres structurels affectant le bâtiment A sans répondre aux conclusions de la société Ingecobat qui établissaient que le maître de l’ouvrage reconnaissait avoir eu connaissance de ces désordres à cette époque, de sorte qu’aucun dommage n’avait pu résulter de la faute retenue à l’encontre de la société Ingecobat, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
19. En premier lieu, la cour d’appel a constaté qu’aux termes du contrat de maîtrise d’oeuvre conclu par le maître de l’ouvrage avec les sociétés LA architecture et Ingecobat, celle-ci n’était pas seulement chargée de la mission ordonnancement, pilotage et coordination, mais aussi de l’organisation et de la direction des réunions de chantier, de la rédaction et de la diffusion de comptes rendus, et qu’il lui revenait de s’assurer que les observations mentionnées sur ceux-ci et les avis formulés par le bureau de contrôle fussent respectés par les entreprises et, en cas de non-respect, d’en aviser le maître de l’ouvrage.
20. En deuxième lieu, après avoir constaté que des vices graves affectaient l’implantation des fondations du bâtiment B et celle des villas E, lesquels nécessitaient la démolition-reconstruction des ouvrages, et que des désordres structurels compromettaient les fondations du bâtiment A, elle a relevé que le bureau de contrôle avait, dès la deuxième visite, formulé des observations faisant état de problèmes récurrents sur les ouvrages de gros oeuvre et que la société Ingecobat ne produisait aucun courrier précisant que les observations maintes fois rappelées dans les comptes rendus de chantier ou résultant des rapports du bureau de contrôle devaient être suivies d’effet.
21. En l’état de ces constatations, elle a pu retenir, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et sans dénaturation du rapport de l’expert, répondant en les écartant aux conclusions de la société Ingecobat qui se prévalait d’un simple manquement à un devoir de conseil, que les fautes de celle-ci dans le suivi, qui lui incombait, de la prise en compte des observations et réserves sur la qualité des travaux exécutés par l’entreprise de gros oeuvre, en laissant se poursuivre un travail anormal de celle-ci, avaient indissociablement contribué, avec les fautes retenues à l’encontre des autres locateurs d’ouvrage, à l’entier préjudice du maître de l’ouvrage et répartir la charge définitive de l’indemnisation entre coobligés en proportion de leurs fautes respectives, qu’elle a souverainement appréciée.
22. Le moyen n’est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal n° Z 20-17.697, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
23. La MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au maître de l’ouvrage une somme au titre des préjudices immatériels, alors « que l’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations, lequel ne peut être condamné, fût-ce à raison de la faute commise pour n’avoir pas accepté la prise en charge des travaux de reprise des désordres affectant l’ouvrage, à supporter le préjudice immatériel subi par le maître d’ouvrage ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a condamné la MAF, assureur dommages-ouvrage, à payer la société Les Demeures de Brindos la somme de 353 413,99 euros TTC au titre de son préjudice immatériel, au motif qu’elle avait fautivement dénié sa garantie, par lettre du 3 juillet 2007, à la faveur d’une appréciation erronée de la situation au regard de l’avis de l’expert judiciaire basé sur des constatations réalisées dès juin 2007 dans une configuration identique à celle soumise à l’expert DO puisque les travaux avaient été suspendus en suite de la résiliation du contrat ; qu’en statuant ainsi, la cour a violé l’article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
24. Les sociétés Les Demeures de Brindos, Ingecobat et Kimu architecture contestent la recevabilité du moyen en soutenant qu’il est nouveau, la MAF n’ayant pas invoqué dans ses conclusions d’appel la caractère limitatif des sanctions de l’article L. 242-1 du code des assurances.
25. Cependant, ce moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations du juge du fond, est de pur droit.
26. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l’article L. 242-1 du code des assurances :
27. Il est jugé que ce texte, qui oblige l’assureur dommages-ouvrage à présenter une offre d’indemnité destinée au paiement des travaux de réparation des dommages dans un délai déterminé, fixe limitativement les sanctions applicables au manquement de l’assureur à ces obligations (3e Civ., 17 novembre 2004, pourvoi n° 02-21.336).
28. Pour condamner in solidum la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, à payer au maître de l’ouvrage une somme au titre de ses préjudices immatériels, l’arrêt retient que le refus fautif par l’assureur de la prise en charge de désordres de nature décennale a participé à l’allongement de la durée d’exécution des travaux et a causé à la société Les Demeures de Brindos un préjudice financier.
29. En statuant ainsi, alors que l’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations, lequel ne peut être condamné, en raison de son refus de prendre en charge les travaux de reprise des désordres affectant l’ouvrage, à supporter le préjudice immatériel subi par le maître d’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident de la société Qualiconsult, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
30. La société Qualiconsult fait grief à l’arrêt de la condamner, in solidum avec d’autres intervenants, à payer au maître de l’ouvrage certaines sommes à titre de réparation, à garantir la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, à hauteur de certaines sommes et de lui imputer, dans ses rapports avec ses coobligés, 10 % de la charge définitive de ces condamnations, alors « que satisfait à ses obligations le contrôleur technique qui délivre au maître de l’ouvrage les avis relatifs aux missions dont il est contractuellement investi, sans qu’il lui appartienne de s’assurer qu’ils sont suivis d’effet ; que la cour d’appel constate que la société Qualiconsult avait formulé des « observations maintes fois rappelées dans les comptes rendus et les rapports » et que la société Qualiconsult avait formulé des observations « dès la deuxième visite de chantier faisant état de « problèmes récurrents sur les ouvrages de gros oeuvre » », ce dont il résultait que le contrôleur technique avait satisfait à ses obligations et qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 111-23 du code de la construction et de l’habitation :
31. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ce qui les ont faites.
32. En application du second, le débiteur ne peut être condamné au paiement de dommages-intérêts qu’à raison de l’inexécution de l’obligation ou d’un retard dans l’exécution.
33. En application du troisième, le contrôleur technique, qui intervient à la demande du maître de l’ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d’ordre technique en exécution du contrat qui le lie à celui-ci, n’a pas à vérifier que ses avis sont suivis d’effet (3e Civ., 27 avril 2017, n° 16-15.685).
34. Pour condamner la société Qualiconsult à réparation, l’arrêt retient que l’importance, la gravité et la généralisation des désordres de toute nature affectant les travaux étaient révélateurs d’une défaillance de la maîtrise d’oeuvre et du bureau de contrôle, chacun dans l’exécution de sa mission contractuelle, dans le suivi des travaux de fondation et de gros oeuvre qui, constituant une phase essentielle de l’opération de construction, nécessitait une surveillance particulière.
35. En statuant ainsi, après avoir relevé que, dès la deuxième visite du chantier, la société Qualiconsult avait formulé des observations faisant état de « problèmes récurrents sur les ouvrages de gros oeuvre » et que les observations de celui-ci avaient été maintes fois rappelées dans les comptes rendus de chantier, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
36. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l’arrêt qui condamne in solidum la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, à payer à la société Les Demeures de Brindos une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices immatériels entraîne la cassation des chefs de dispositif qui statuent sur le recours de la MAF à l’encontre des locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs du chef de cette somme, et sur les recours des coobligés dans leurs rapports entre eux, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
37. En application du même texte, la cassation du chef de dispositif qui condamne la société Qualiconsult in solidum avec la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, les sociétés LA architecture et Ingecobat, celle-ci garantie par ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, à payer certaines sommes à la société Les Demeures de Brindos, entraîne la cassation du chef de dispositif qui statue sur la répartition de la charge de la dette entre coobligés, qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
38. En application du même texte, la cassation prononcée sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Qualiconsult emporte la cassation des chefs de dispositif de l’arrêt relatifs à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens en ce qu’ils condamnent celle-ci et répartissent la charge de ces condamnations entre coobligés, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
39. La cassation prononcée sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la MAF, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, n’emporte pas la cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant celle-ci aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres condamnations prononcées à son encontre et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il :
– condamne la société Mutuelle des architectes français, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, in solidum avec les sociétés LA architecture, Qualiconsult, Ingecobat, celle-ci garantie par ses assureurs, les sociétés Mutuelles du Mans assurances IARD et Mutuelles du Mans assurances IARD assurances mutuelles, sous la limite des plafonds de garantie et franchises applicables en matière de responsabilité civile autre que décennale, à payer à la société Les Demeures de Brindos la somme de 353 413,99 euros à titre de dommages-intérêts,
– condamne in solidum les sociétés LA architecture, Qualiconsult, Ingecobat, celle-ci garantie par ses assureurs, les sociétés Mutuelles du Mans assurances IARD et Mutuelles du Mans assurances IARD assurances mutuelles, sous la limite des plafonds de garantie et franchises applicables en matière de responsabilité civile autre que décennale, à garantir la société Mutuelle des architectes français à concurrence de 75 % de la somme de 353 413,99 euros,
– condamne la société Qualiconsult, in solidum avec la société Mutuelle des architectes français, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, les sociétés LA architecture, Ingecobat, celle-ci garantie par ses assureurs, les sociétés Mutuelles du Mans assurances IARD et Mutuelles du Mans assurances IARD assurances mutuelles, sous la limite des plafonds de garantie et franchises applicables en matière de responsabilité civile autre que décennale à payer à la société Les Demeures de Brindos les sommes de 2 051 409,99 euros augmentée de la TVA en vigueur à la date de prononcé de l’arrêt et de 353 413,99 euros à titre de dommages-intérêts, sous réserve de déduction des sommes déjà versées en exécution des ordonnances de mise en état des 12 mai 2009 et 5 avril 2011,
– condamne la société Qualiconsult, in solidum avec les sociétés LA architecture, Ingecobat, celle-ci garantie par ses assureurs, les sociétés Mutuelles du Mans assurances IARD et Mutuelles du Mans assurances IARD assurances mutuelles, sous la limite des plafonds de garantie et franchises applicables en matière de responsabilité civile autre que décennale, à garantir la société Mutuelle des architectes français à concurrence de la somme de 2 051 409, 99 euros, montant de l’indemnité réparatrice des dommages matériels,
– dit que la charge que la charge définitive de l’indemnisation sera supportée, s’agissant de la somme de 2 155 982,93 euros (1 802 568,94 euros au titre des travaux de réfection et 353 413,99 euros à titre indemnitaire) pour laquelle la responsabilité des trois intervenants a été concurremment retenue, à concurrence de 60 % à la charge de la société LA Architecture, 20 % à la charge de la société Ingecobat et 10 % à la charge de la société Qualiconsult,
– condamne la société Qualiconsult, in solidum avec la société Mutuelle des architectes français, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, la société LA Architecture et la société Ingecobat, à payer à la société Les Demeures de Brindos, en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme globale de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles et dit que dans les rapports entre elles, la société Qualiconsult supportera le quart de cette condamnation,
– condamne la société Qualiconsult, in solidum avec la société Mutuelle des architectes français, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, la société LA Architecture et la société Ingecobat, à payer à la société Les Demeures de Brindos, aux dépens de première instance et d’appel et dit que dans les rapports entre elles, la société Qualiconsult supportera le quart de cette condamnation,
l’arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d’appel de Pau ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;
Condamne les sociétés Ingecobat et Kimu architecture, venant aux droits de la société LA architecture, aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par