Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Saint-Denis, 18 juillet 2016), que, par acte du 28 novembre 1988, Mme Y…, usufruitière, et les consorts Y…, coïndivisaires, ont donné à bail des terres agricoles à M. Z… ; que, par acte de partage du 4 novembre 2008, MM. Laurent et C… Y… sont devenus propriétaires indivis, chacun pour moitié, de certaines parcelles qu’ils ont apportées au GFA […] par acte du 12 juin 2009 ; que, par lettre du 6 mai 2014, M. Laurent Y… a délivré congé pour reprise à M. et Mme Z… ; que, par déclaration du 27 août 2014, ceux-ci ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé ; que, par acte du 29 novembre 2014, M. C… Y… , coïndivisaire, a cédé à son frère Laurent l’intégralité de ses parts sociales au sein du GFA ;
Attendu que M. Laurent Y… fait grief à l’arrêt d’annuler le congé ;
Mais attendu qu’ayant retenu exactement que le congé doit, à peine de nullité, mentionner les motifs allégués par le propriétaire et indiquer, en cas de reprise, l’identité et le domicile de son bénéficiaire, et souverainement que l’unique mention par laquelle l’auteur du congé manifestait son intention de reprendre ses parcelles ne permettait pas aux destinataires de la notification d’en vérifier la régularité, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y… et le condamne à payer à M. et Mme Z… la somme globale de 3 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour M. Y….
LE POURVOI REPROCHE A L’ARRÊT attaqué D’AVOIR confirmé le jugement ayant prononcé la nullité du congé délivré par M. Laurent Y… le 6 mai 2014 à M. Jean-Michel Z… et Mme Henriette B… Z… portant sur les parcelles cadastrées […] d’une superficie de 11 ha 98 a 43 ca commune du […] et […] d’une superficie de 12 ha commune du […] et constaté, par conséquent, la continuation du bail à ferme du 28 novembre 1988 portant sur ces mêmes parcelles ;
AUX MOTIFS QUE le congé délivré le 6 mai 2014 par monsieur Laurent Y… aux époux Z… est rédigé ainsi : « Objet : Non renouvellement de Bail Madame, Monsieur, Le 29 juin 1988, une promesse de bail à ferme a été signée entre vous et les héritiers Y… ainsi que Mme D… usufruitière. Suite à la liquidation et au partage de la communauté entre les époux
je vous informe de mon intention de récupérer mes parcelles situées l’une à la source […] sous le numéro […] et les deux autres aux […] sous les numéros […] et […] répertoriées sous le GFA […]. Si vous désirez dénoncer ce congé, veuillez-vous référer au tribunal compétent. Je vous prie de croire… » ; que ce courrier est critiqué tout d’abord du fait de l’absence de mention du délai de recours, d’autre part en raison de l’absence de pouvoir de monsieur Laurent Y… encore coindivisaire et enfin en raison de l’absence de motifs. – sur l’absence de mention du délai de recours : que l’appelant fait valoir que l’article L.411-47 du code rural applicable en France métropolitaine contient des dispositions similaires à celles de l’article L.461-14-du même code spécifique à l’outre-mer lequel précise qu’à peine de nullité le congé doit reproduire les termes de l’alinéa 2 précisant le délai de 4 mois pour saisir le tribunal paritaire des baux ruraux, alors que l’article L.411-47 susvisé stipule que « la nullité ne sera toutefois pas prononcée si l’omission ou l’inexactitude ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur » ; qu’il relève que dans sa décision n°85-200 DC du 16 janvier 1986, le conseil constitutionnel a jugé que « le principe d’égalité interdit qu’à ces situations semblables soient appliquées des règles différentes, il ne fait nullement obstacle à ce que, en fonction des objectifs poursuivis, à des situations différentes soient appliquées des règles différentes », et qu’en l’espèce, aucune raison objective ne justifie que des règles de nullité différentes soient appliquées aux congés délivrés en France métropolitaine et en Outre-mer alors même que le contenu de ces congés doit être identique ; que de plus, selon l’article 114 alinéa 2 du code de procédure civile la nullité pour vice de forme ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public et les époux Z… ayant bien formé leur recours dans les délais et devant le tribunal compétent n’ont par conséquent aucun préjudice de fait de l’absence de mention concernant la juridiction et le délai ; que les intimés répondent que la cour de cassation dans un arrêt du 14 mai 2003 (02-10939) a rappelé que « s’agissant du transfert de jouissance d’un bien loué dans un Département d’Outre-mer au profit d’une société sont applicables non pas les dispositions de l’article L.411-37 du code rural mis celles de l’article L.461-5 du même code » et que cette jurisprudence constante traduit la prise en considération par le législateur des spécificités territoriales des départements d’outre-mer ; qu’ils soulignent qu’à la Réunion, du fait de l’insularité et du caractère volcanique au relief accidenté de l’île, les terres sont rares ce qui justifie la mise en place de règles en matière de baux ruraux plus contraignantes qu’en métropole ; que les dispositions particulières à l’outre-mer instaurées en matière de baux ruraux et codifiées aux articles L.461-1 à L.462-29 du code rural et de la pêche maritime s’imposent aux contrats relevant desdites dispositions sans qu’il soit besoin de relever l’existence de raisons objectives justifiant qu’il soit dérogé au principe d’égalité entre les justiciables ; que par conséquent, seul l’article L.461-14 du code rural s’applique en l’espèce pour apprécier la validité du congé délivré le 6 mai 2014 aux époux Z… par l’appelant ; que cet article dispose que: « le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail ; que le congé peut être déféré au tribunal paritaire des baux ruraux par le preneur dans un délai de quatre mois à dater de sa réception, sous peine de forclusion. A peine de nullité, le congé doit mentionner les motifs allégués par le propriétaire, indiquer, en cas de reprise, l’identité ou la raison sociale, le domicile ou le siège social, l’activité principale du ou des bénéficiaires éventuels, et reproduire les termes de l’alinéa précédent. » ; qu’il résulte bien de la lecture de la lettre recommandée avec accusé de réception du 6 mai 2014 adressée aux époux Z… par l’appelant que les mentions imposées par l’article précité relatives, non seulement, au délai de quatre mois pour saisir la juridiction compétente, mais également, au tribunal compétent et au motif pour lequel Monsieur Laurent Y… entend « récupérer » les parcelles louées ne sont pas reproduites et ce, en violation des dispositions d’ordre public susvisées ; que de plus, le 6 mai 2014, Monsieur Laurent Y… n’avait pas qualité pour délivrer en son nom personnel le congé puisqu’à cette date les parcelles louées avaient fait l’objet d’un apport en nature par chacun des coindivisaires au GFA de […] lesquels étaient tous deux cogérants et que l’acte de cession de parts signé le 29 novembre 2014 n’est pas de nature à régulariser rétroactivement cet acte passé en méconnaissance des droits du coassocié et co-gérant du GFA ; que par conséquent, ce congé, qui ne comprend aucune des mentions imposées à peine de nullité par les dispositions d’ordre public de l’article L.461-14 du code rural seul applicable en l’espèce, a été, à juste titre, annulé par le jugement déféré et ce, peu important la saisine ultérieure dans les délais de la juridiction compétente, l’absence de toutes les indications concernant le recours à exercer devant le tribunal paritaire des baux ruraux a causé nécessairement un préjudice aux preneurs qui n’ont pas été, d’une part, mis en mesure de vérifier la régularité du congé, d’autre part, d’être informés des conditions d’exercice du recours dont ils disposaient légalement.
ALORS D’UNE PART QUE, si à peine de nullité, le congé doit, selon l’article L 461-14 du code rural et de la pêche maritime, mentionner les motifs allégués par le propriétaire, indiquer en cas de reprise l’identité ou la raison sociale, le domicile ou le siège social, l’activité du ou des bénéficiaires éventuels et reproduire les termes de l’alinéa 1 énonçant « le congé peut être déféré au tribunal paritaire des baux ruraux par le preneur dans un délai de quatre mois à dater de sa réception, sous peine de forclusion », l’exposant faisait valoir l’absence de grief des preneurs tenant au défaut d’indication du délai de recours dès lors qu’ils ont formé leur recours en nullité du congé devant la juridiction compétente et dans le délai requis ; qu’en décidant que les mentions imposées par l’article L 461-14 relatives non seulement au délai de quatre mois pour saisir la juridiction compétente mais également au tribunal compétent ne sont pas reproduites et ce en violation de ces dispositions d’ordre public, que le congé qui ne comprend aucune des mentions imposées à peine de nullité par les dispositions d’ordre public de l’article L 461-14 du code rural seul applicable en l’espèce a été à juste titre annulé par le tribunal quand il résultait de ses propres constatations que les preneurs qui avaient, dans le délai de quatre mois, saisi la juridiction compétente n’avaient de ce fait subi aucun préjudice et ne pouvaient faire valoir aucun grief, la cour d’appel a violé l’article L 461-14 du code rural et de la pêche maritime ensemble l’article 114 du code de procédure civile ;
ALORS D’AUTRE PART QUE, à peine de nullité, le congé doit, selon l’article L 461-14 du code rural et de la pêche maritime, mentionner les motifs allégués par le propriétaire, indiquer en cas de reprise l’identité ou la raison sociale, le domicile ou le siège social, l’activité du ou des bénéficiaires éventuels et reproduire les termes de l’alinéa 1 énonçant « le congé peut être déféré au tribunal paritaire des baux ruraux par le preneur dans un délai de quatre mois à dater de sa réception, sous peine de forclusion » ; qu’ayant relevé qu’il résulte du congé «Suite à la liquidation et au partage de la communauté entre les époux ….je vous informe de mon intention de récupérer mes parcelles situées l’une à la source […] sous le numéro […] et les deux autres aux […] sous les numéros […] et […] répertoriées sous le GFA […] », puis retenu que les mentions imposées par l’article L 461-14 relatives au motif pour lequel l’exposant entend « récupérer » les parcelles louées ne sont pas reproduites et ce en violation de ces dispositions d’ordre public, que le congé qui ne comprend aucune des mentions imposées à peine de nullité par les dispositions d’ordre public de l’article L 461-14 du code rural seul applicable en l’espèce a été à juste titre annulé par le tribunal quand il résultait du congé que la reprise était faite par l’exposant pour son compte personnel dès lors qu’il indiquait vouloir « récupérer » ses parcelles, la cour d’appel a violé l’article L 461-14 du code rural et de la pêche maritime ;
ALORS ENFIN QUE l’exposant faisait valoir qu’en sa qualité de cogérant du GFA il avait le pouvoir de donner congé au preneur et qu’il était depuis le 29 novembre 2014 associé unique et propriétaire de la totalité des parts du GFA; qu’en décidant que le 6 mai 2014, Monsieur Laurent Y… n’avait pas qualité pour délivrer en son nom personnel le congé puisqu’à cette date les parcelles louées avaient fait l’objet d’un apport en nature par chacun des coindivisaires au GFA de […] lesquels étaient tous deux co-gérants et que l’acte de cession de parts signé le 29 novembre 2014 n’est pas de nature à régulariser rétroactivement cet acte passé en méconnaissance des droits du co-associé et co-gérant du GFA, sans préciser en quoi un tel acte n’avait pas régularisé rétroactivement le congé, la cour d’appel qui se contente de l’affirmer a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
ECLI:FR:CCASS:2018:C300581