Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 8 septembre 2011), rendu sur renvoi après cassation (Civ 3, 12 mai 2010, n° 09-14.747) que les époux X… ont apporté à la société civile immobilière Villetient (la SCI), plusieurs terrains grevés d’une hypothèque, en contrepartie de parts sociales ; qu’invoquant de justes motifs de retrait, les époux X… ont sollicité la restitution en nature d’une partie de ces terrains, affectée à l’exploitation d’un camping ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’accueillir cette demande, alors, selon le moyen, que l’associé qui apporte à la société un immeuble grevé d’une inscription hypothécaire, n’est pas réputé avoir apporté le bien en nature, mais l’avoir cédé à la société en contrepartie de droits sociaux et de la prise en charge par la société de sa dette propre affectant le bien cédé ; qu’il ne peut, lors de son retrait de la société, se voir attribuer ce bien à charge de soulte, même s’il se retrouve en nature dans l’actif partageable de la société ; qu’il peut seulement obtenir le remboursement de la valeur de ses droits sociaux ; qu’en affirmant néanmoins que l’apport de biens immobiliers même grevés d’hypothèques prises en charge par la société n’a pas pour conséquence de qualifier cet apport autrement qu’en nature, la prise en charge du passif n’ayant de conséquence que sur l’importance de la part des associés apporteurs dans le capital social, et en attribuant ainsi aux époux X…, à charge de soulte, les terrains litigieux apportés à la SCI Villleteint pour une valeur de 70 000 francs, mais grevés d’une hypothèque pour sûreté d’une somme de 60 000 francs, que la SCI avait accepté de rembourser au créancier hypothécaire, la cour d’appel a violé l’article 1869, alinéa 2, du code civil, ensemble l’article 1844-9, alinéa 3, du même code ;
Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que l’apport de biens immobiliers même grevés d’une hypothèque est un apport en nature, la prise en charge du passif par la SCI n’ayant de conséquence que sur l’importance de la part des associés apporteurs dans le capital social, la cour d’appel en a exactement déduit que devaient être attribués, à charge de soulte, aux époux X…, les biens qu’ils avaient apportés et qui se retrouvaient en nature dans le patrimoine social ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi incident, qui ne serait pas de nature à permettre l’admission de ce pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal ;
DECLARE non admis le pourvoi incident ;
Condamne la société Villeteint et les consorts Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat aux Conseils, pour la société Villeteint et autres
Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR attribué à charge de soulte aux époux X… les immeubles affectés à l’exploitation du camping PARC NATUREL DE WEEK END, et D’AVOIR renvoyé les parties à mettre en oeuvre les modalités prévues par l’article 1843-4 du code civil, pour l’évaluation des droits sociaux des époux X… et de la soulte due,
AUX MOTIFS ADOPTES QU’« il résulte des articles 1869 alinéa 2, 1843-4 et 1844-9 alinéa 3 du code civil que l’associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux fixée à défaut d’accord amiable par un expert désigné soit par les parties, soit par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés sans recours possible – à moins qu’il ne sollicite l’attribution à charge de soulte de biens qu’il a apportés et qui se retrouvent en nature dans le patrimoine social ; en l’espèce, les époux X… ont apporté à la fois à la SCI VILLETEINT des immeubles, dont les terrains sur lesquels est exploité le camping, d’une valeur de 70.000 F et dont certains étaient affectés d’une inscription hypothécaire, et une dette de 60.000 F en garantie de laquelle l’hypothèque précitée avait été inscrite et que la société s’engageait à régler ; l’apport des immeubles constitue un apport en nature dans la mesure où il y a eu transfert de propriété des immeubles entre les époux X… et la SCI VILLETEINT ; l’existence d’un passif corrélativement apporté n’a pas eu d’incidence sur la nature de cet apport mais seulement sur son évaluation ; par ailleurs, il doit être considéré au sens de la disposition précitée, et par un effet de la théorie de l’accession, qu’un apport immobilier se retrouve en nature dans le patrimoine social lorsqu’il n’a pas été cédé pendant la durée de la société ; les aménagements dont il a fait l’objet sur les plans tant juridique – location, prêt, affectation à titre de sûreté – que matériel, constructions, mise en culture – n’ont d’incidence que sur sa valeur et non sur sa nature ; en conséquence, ni la radiation de l’inscription hypothécaire, ni les aménagements réalisés pour l’exploitation en camping ne sauraient faire obstacle à l’exercice du droit de reprise des époux X… ; la reprise étant à charge de soulte, il y aura lieu de procéder à l’estimation et à la comparaison entre les valeurs d’une part du bien au jour du partage, d’autre part des droits des époux X… dans le capital de la SCI DE VILLETEINT » (jugement, pp. 8 et 9) ;
ET AUX MOTIFS PROPRES « la cour considère que c’est par des motifs appropriés qu’elle adopte que les premiers juges ont considéré que l’existence d’un passif grevant les biens immobiliers apportés ne faisait pas obstacle à l’application de l’article 1844-9 (3e alinéa) du code civil au profit des époux X… qui en leur qualité d’associés retrayants de la société ont droit par application de l’article 1869 du même code renvoyant à l’article précité à l’attribution à charge de soulte des biens qu’ils ont apportés et qui se retrouvent en nature dans le patrimoine social de la SCI ; ainsi que le relèvent justement les intimés, l’apport mixte n’est pas une notion du droit civil qui ne prévoit que les apports en nature, en numéraire ou en industrie ; l’apport de biens immobiliers même grevés d’hypothèques prises en charge par la société n’a pas pour conséquence de qualifier cet apport autrement qu’en nature, la prise en charge du passif n’ayant de conséquence que sur l’importance de la part des associés apporteurs dans le capital social ; si, ainsi que le relève le Professeur Jean-François Z… dans la chronique produite aux débats commentant l’arrêt de la Cour de cassation intervenu dans la présente affaire, l’attribution aux associés retrayants des apports en nature effectués par eux peut avoir dans un certain nombre de cas des conséquences importantes pour la poursuite de l’objet social de la société, cet inconvénient ne saurait faire échec aux dispositions législatives claires qui permettent à l’associé retrayant de bénéficier des dispositions de l’article 1844-9 alinéa 3 du code civil » (arrêt p. 4) ;
ALORS QUE l’associé, qui apporte à la société un immeuble grevé d’une inscription hypothécaire, n’est pas réputé avoir apporté le bien en nature, mais l’avoir cédé à la société en contrepartie de droits sociaux et de la prise en charge par la société de sa dette propre affectant le bien cédé ; qu’il ne peut, lors de son retrait de la société, se voir attribuer ce bien à charge de soulte, même s’il se retrouve en nature dans l’actif partageable de la société ; qu’il peut seulement obtenir le remboursement de la valeur de ses droits sociaux ; qu’en affirmant néanmoins que l’apport de biens immobiliers même grevés d’hypothèques prises en charge par la société n’a pas pour conséquence de qualifier cet apport autrement qu’en nature, la prise en charge du passif n’ayant de conséquence que sur l’importance de la part des associés apporteurs dans le capital social, et en attribuant ainsi aux époux X…, à charge de soulte, les terrains litigieux apportés à la SCI VILLETEINT pour une valeur de 70.000 F, mais grevés d’une hypothèque pour sûreté d’une somme de 60.000 F, que la SCI avait accepté de rembourser au créancier hypothécaire, la cour d’appel a violé l’article 1869, alinéa 2, du code civil, ensemble l’article 1844-9, alinéa 3, du même code.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, pour les époux X…
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement du tribunal de grande instance de SENLIS, qui avait attribué à charge de soulte aux époux X… les seuls immeubles affectés à l’exploitation du camping PARC NATUREL DE WEEK-END ;
Aux motifs que « les époux X… dans leurs dernières conclusions du 25 novembre 2010 sollicitent la confirmation du jugement et la condamnation des appelants aux dépens avec distraction au profit de Maître A… ; qu’ils soutiennent qu’ils ont fait l’apport en nature des parcelles moyennant des parts sociales évaluées à 10 000 francs, la créance que la SCI devait rembourser s’élevant à la somme de 60.000 francs ; que la notion d’apport mixte relève du droit fiscal mais n’est pas reconnu en droit civil des sociétés, l’apport en nature avec prise en charge d’un passif se réalisant selon la technique de la stipulation pour autrui et ne valant pas vente » (arrêt p. 3, dernier alinéa, et p. 4, alinéa 1er) ;
Et aux motifs propres que « la cour considère que c’est par des motifs appropriés qu’elle adopte que les premiers juges ont considéré que l’existence d’un passif grevant les biens immobiliers apportés ne faisait pas obstacle à l’application de l’article 1844-9 (3ème alinéa) du code civil au profit des époux X… qui en leur qualité d’associés retrayants de la société ont droit par application de l’article 1869 du même code renvoyant à l’article précité à l’attribution à charge de soulte des biens qu’ils ont apportés et qui se retrouvent en nature dans le patrimoine social de la SCI ; qu’ainsi que le relèvent justement les intimés, l’apport mixte n’est pas une notion du droit civil qui ne prévoit que les apports en nature, en numéraire ou en industrie ; que l’apport de biens immobiliers même grevés d’hypothèques prises en charge par la société n’a pas pour conséquence de qualifier cet apport autrement qu’en nature, la prise en charge du passif n’ayant de conséquence que sur l’importance de la part des associés apporteurs dans le capital social ; que si, ainsi que le relève le Professeur Jean-François Z… dans la chronique produite aux débats commentant l’arrêt de la cour de cassation intervenu dans la présente affaire, l’attribution aux associés retrayant des apports en nature effectués par eux peut avoir dans un certain nombre de cas des conséquences importantes pour la poursuite de l’objet social de la société, cet inconvénient ne saurait faire échec aux dispositions législatives claires qui permettent à l’associé retrayant de bénéficier des dispositions de l’article 1844-9 alinéa 3 du code civil » (arrêt, p.4) ;
Et aux motifs adoptés qu’ « il résulte des articles 1869 alinéa 2, 1843-4 et 1844-9 alinéa 3 du Code Civil que l’associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux – fixée à défaut d’accord amiable par un expert désigné soit par les parties, soit par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés sans recours possible – à moins qu’il ne sollicite l’attribution à charge de soulte de biens qu’il a apportés et qui se retrouvent en nature dans le patrimoine social ; qu’en l’espèce, les époux X… ont apporté à la fois à la SCI DE VILLETEINT des immeubles dont les terrains sur lesquels est exploité le camping, d’une valeur de 70.000 francs et dont certains étaient affectés d’une inscription hypothécaire et une dette de 60.000 francs en garantie de laquelle l’hypothèque précitée avait été inscrite et que la société s’engageait à régler ; que l’apport des immeubles constitue un apport en nature dans la mesure où il y a eu transfert de propriété des immeubles entre les époux X… et la SCI DE VILLETEINT ; que l’existence d’un passif corrélativement apporté n’a pas eu d’incidence sur la nature de cet apport mais seulement sur son évaluation ; que par ailleurs, il doit être considéré au sens de la disposition précitée, et par un effet de la théorie de l’accession, qu’un apport immobilier se retrouve en nature dans le patrimoine social lorsqu’il n’a pas été cédé pendant la durée de la société ; que les aménagements dont il a fait l’objet sur les plans tant juridique – location, prêt, affectation à titre de sûreté ¿ – que matériel – constructions, mise en culture ¿ – n’ont d’incidence que sur la valeur et non sur sa nature ; qu’en conséquence, ni la radiation de l’inscription hypothécaire, ni les aménagements réalisés pour l’exploitation en camping ne sauraient faire obstacle à l’exercice du droit de reprise des époux X… ; qu’au surplus, il ressort des pièces versées aux débats, et notamment du rapport du 12 avril 2002 de Monsieur Denys B… qui avait été désigné en qualité d’expert par le Juge des Loyers Commerciaux afin d’estimer la valeur locative des terrains donnés à bail commercial, que les étangs cités par les défendeurs comme exemples d’aménagements ne se situent pas sur les parcelles affectées à l’exploitation du camping dont la reprise est sollicitée ; que les époux X… n’identifient pas précisément, notamment par l’indication de références cadastrales, les immeubles qu’ils entendent reprendre, mentionnant seulement qu’il s’agit des parcelles affectées à l’exploitation du camping ; qu’il conviendra de se référer aux références de détermination de la surface d’exploitation relevées par le rapport de M. B… dans la mesure où ce dernier avait, préalablement à l’estimation de leur valeur locative, été missionné pour identifier les terrains donnés à bail commercial ; que la reprise étant à charge de soulte, il y aura lieu de procéder à l’estimation et à la comparaison entre les valeurs d’une part du bien au jour du partage, d’autre part des droits des époux X… dans le capital de la SCI DE VILLETEINT » (jugement, p.8 à p.9,§3) ;
1°/ Alors d’une part que le juge doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties ; que dans leurs dernières conclusions du 25 novembre 2010 (p.12, dernier §8 et p.13,§1), Monsieur et Madame X… sollicitaient la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qu’il leur avait attribué les seuls immeubles affectés à l’exploitation du camping PARC NATUREL DU WEEK-END ; que dans ces mêmes conclusions, Monsieur et Madame X… prétendaient désormais obtenir l’attribution de l’ensemble des parcelles qu’ils avaient apportées lors de la constitution de la SCI et non uniquement celles affectées à l’exploitation ; qu’en indiquant (arrêt, p.3, §9) que les époux X… dans leurs dernières conclusions du 25 novembre 2010 solliciteraient la confirmation pure et simple du jugement, sans mentionner le fait que les exposants élargissaient expressément la portée de leur demande, telle qu’elle avait été comprise par les premiers juges, pour demander désormais à bénéficier de l’attribution de l’intégralité des parcelles qu’ils avaient apportées, la cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
2°/ Alors d’autre part que l’associé qui se retire d’une société civile peut obtenir que lui soient attribués les biens qu’il a apportés lorsqu’ils se retrouvent en nature dans l’actif social ; que cette règle ne pose aucune restriction quant aux biens que l’associé retrayant peut se voir attribuer dès lors que ses apports se retrouvent dans l’actif social ; qu’au cas présent, Monsieur et Madame X… sollicitaient l’attribution, à charge de soulte de l’intégralité des biens qu’ils avaient apportés à la SCI DE VILLETEINT et non plus des seuls immeubles affectés à l’exploitation du camping PARC NATUREL DU WEEK-END ; qu’en se bornant à confirmer le jugement entrepris, qui avait limité l’attribution aux biens affectés à l’exploitation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’assiette de la demande de Monsieur et Madame X… ne s’étendait pas à d’autres immeubles que ceux qui étaient affectés à l’exploitation du camping, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1844-9 alinéa 3 du code civil.
ECLI:FR:CCASS:2013:C300967