Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 17 octobre 2019, 18-15.960, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 17 octobre 2019, 18-15.960, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1351, devenu 1355, du code civil, ensemble l’article 480 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société de droit suisse Sofiseb SA (la société Sofiseb SA), a été créée en 1984 par la Société financière industrielle service exploitation Bonnet (la société Sofiseb), pour assurer la distribution en Suisse de mobiliers de cuisine ; qu’à la faveur d’une augmentation de capital, M. T…, qui était depuis 1970 l’agent commercial de la société mère, a acquis 25 % du capital social de la société Sofiseb SA avant de devenir le directeur puis l’administrateur unique de cette société ; qu’après le redressement judiciaire de la société Sofiseb en 1996, ses actifs, dont les titres Sofiseb SA, ont été cédés à la société Sofiseb Industries devenue en 2001 la société Cuisines et Bains Industries (la société CBI) ; qu’après avoir proposé sans succès à M. T… de lui racheter les actions qu’il détenait dans la société Sofiseb SA, la société CBI a demandé à M. T… de convoquer une assemblée générale extraordinaire afin de pourvoir à son remplacement, lui reprochant des agissements frauduleux entraînant une perte de confiance ; qu’un jugement du 23 août 2002 du tribunal de commerce de Genève, confirmé par un arrêt de la cour de justice du canton de Genève du 21 novembre 2002, a rejeté la demande de la société CBI tendant à être autorisée à convoquer elle-même ladite assemblée, au motif que si les droits patrimoniaux de la société Sofiseb SA avaient bien été cédés à l’acquéreur lors de la cession des actifs de la société Sofiseb, il n’en était pas de même concernant les droits sociaux y afférents, faute d’avoir obtenu l’aval de la société quant à la modification de son actionnariat, ainsi que le prévoyaient les statuts ; que, le 24 septembre 2002, la société CBI a déposé plainte contre M. T… devant le procureur général de Genève pour des faits de gestion déloyale ; que, par lettre du 15 janvier 2003, la société CBI a informé la société Sofiseb SA de ce qu’elle n’était plus autorisée à faire usage des marques Arthur Bonnet Cuisines et Bains, Coméra et Nautine à compter du 1er février 2003 ; qu’estimant cette rupture brutale et dénuée de fondement, la société Sofiseb SA a fait assigner la société CBI devant le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon qui, par un jugement du 13 juillet 2007, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 2 avril 2010, a débouté la société Sofiseb SA de ses demandes ; que, par un arrêt du 18 octobre 2011 (Com., 18 octobre 2011, pourvoi n° 10-19.612), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Sofiseb SA ; que, le 28 août 2013, la chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours formé par la société Cuisines Design Industries (la société CDI), venant aux droits de la société CBI, à l’encontre de la décision du tribunal de police du canton de Genève du 17 mai 2013 ayant acquitté M. T… des faits de gestion déloyale aggravée ; que la société Sofiseb SA, invoquant des circonstances nouvelles, a fait assigner à nouveau la société CDI, pour rupture brutale des relations commerciales ; que, par un premier jugement du 12 mai 2015, le tribunal de commerce de Rennes a constaté que M. T… avait été relaxé des faits qui lui étaient reprochés devant les juridictions suisses, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevée par la société CDI au motif qu’un événement nouveau était venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice, a déclaré recevable l’action de la société Sofiseb Suisse et a enjoint aux parties de conclure au fond ; que, par un second jugement du 15 décembre 2015, ce tribunal a constaté la rupture des relations commerciales au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et a, notamment, condamné la société CDI à payer à la société Sofiseb SA une certaine somme en réparation de son préjudice du fait de la rupture des relations commerciales et de son préjudice moral ; que la société CDI a relevé appel des deux jugements ;

Attendu que, pour infirmer les jugements rendus par le tribunal de commerce de Rennes et déclarer irrecevables, comme se heurtant à l’autorité de la chose précédemment jugée, l’ensemble des demandes de la société Sofiseb SA à l’encontre de la société CDI, l’arrêt retient que l’arrêt du 2 avril 2010 n’évoque aucunement les griefs invoqués dans le cadre de la procédure pénale engagée en Suisse par la société CDI, que la faute retenue par cette décision pour justifier la rupture des relations commerciales sans préavis est caractérisée par le refus, par la société Sofiseb SA, d’approuver le transfert des droits sociaux de la société Sofiseb à la société Sofiseb Industries, pourtant sa société mère détentrice de 75 % de son capital et de convoquer l’assemblée générale demandée par elle, ce qui démontre la perte de contrôle par la maison mère de sa filiale, qu’une faute civile indépendante a été caractérisée et retenue comme étant suffisamment grave pour justifier la rupture brutale des relations entre les parties et que ces faits non contestés ont seuls motivé la décision de la cour d’appel de Poitiers ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2011 avait retenu que l’arrêt confirmatif du 2 avril 2010 avait, par motifs adoptés, pour rejeter les demandes de la société Sofiseb SA, relevé que cette société, sous la signature de M. T…, avait acheté à la société Sofiseb SA des actions de la société GM Cuisines avec un paiement échelonné sur huit ans et que de tels actes de gestion ne pouvaient que nuire à l’intérêt de la société CBI, créancière de sa filiale pour une somme importante depuis 2001 et relevé encore, toujours par motifs adoptés, que la société CBI avait porté plainte contre ces actes accomplis par M. T… au nom de la société Sofiseb SA et que le bien-fondé de ses griefs avait été confirmé par les juridictions suisses, de sorte que les décisions de relaxe prononcées par les juridictions helvétiques constituaient un événement nouveau, modifiant la situation juridique des parties, de nature à faire échec à l’autorité de la chose jugée par l’arrêt du 2 avril 2010, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 mars 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Cuisines Design Industries aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cuisines Design Industries et la condamne à payer à la société Sofiseb SA la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Sofiseb SA

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé intégralement les jugements des 12 mai 2015 et 15 décembre 2015 rendus par le tribunal de commerce de Rennes et d’AVOIR déclaré irrecevables l’ensemble des demandes de la société Sofiseb à l’encontre de la société CDI dans le cadre de cette instance ;

AUX MOTIFS QUE, sur la recevabilité de la demande de la société Sofiseb, l’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée » ; qu’aux termes de l’ancien article 1351 du code civil, applicable en l’espèce, « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité » ; qu’il est de principe qu’il n’y a pas autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou un acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée, modifie la situation antérieurement reconnue en justice et la cause de la demande ; que dans son arrêt, la cour d’appel de Poitiers du 2 avril 2010 a motivé sa décision de rejet des demandes formulées par la société Sofiseb à l’encontre de la société CDI, et donc son refus d’interdire à la société Sofiseb avec un très court préavis de faire usage des marques dont elle est titulaire, sur la seule circonstance de la perte du « contrôle effectif de sa filiale [par cette dernière], ne pouvant plus exercer ses droits d’actionnaire majoritaire, celle-ci le lui refusant », précisant plus loin que la société Sofiseb « pouvait agir en toute indépendance » ; qu’il convient d’abord de relever que la cour d’appel a motivé le refus d’ordonner le sursis à statuer dans l’attente de la procédure pénale menée en Suisse sur le fait que le motif de rupture invoqué par la société CDI est celui de la perte de contrôle de sa filiale par la société mère ; qu’ensuite, la cour d’appel de Poitiers n’évoque aucunement les griefs invoqués dans le cadre de la procédure pénale engagée en Suisse par la société CDI, mais reprend uniquement le contexte lié au refus de la société Sofiseb de réunir une assemblée générale extraordinaire demandée par la société CBI à la société Sofiseb le 3 avril 2002, et les conséquences que ce refus implique, à savoir la perte de contrôle de la maison mère par sa filiale, les droits sociaux de la société CBI, toujours actionnaire à 75 % ne lui ayant pas été valablement transférés, tel que jugé dans la décision ayant acquis force de chose jugée et non contestée de la cour de justice de Genève du 21 novembre 2002 ; qu’il apparaît en effet que la faute retenue pour justifier la rupture des relations commerciales sans préavis est caractérisée par le refus par la société Sofiseb de droit suisse d’approuver le transfert des droits sociaux de la société Sofiseb de droit français à la société Sofiseb Industries, pourtant sa société mère détentrice de 75 % de son capital et de convoquer l’assemblée générale demandée par elle, ce qui démontre la perte de contrôle par la maison mère de sa filiale ; qu’or, ces faits ne sont pas contestés et ont seuls motivé la décision de la cour d’appel de Poitiers ; qu’en outre, l’issue de la procédure pénale est indifférente à celle de la procédure civile menée tant dans le cadre de cette instance que dans celle initiée le 17 avril 2003, une faute civile indépendante ayant été caractérisée et retenue comme étant suffisamment grave pour justifier la rupture brutale des relations entre les parties ; que l’arrêt du 2 avril 2010 ne fonde donc pas sa décision de rejet de la demande de la société Sofiseb sur les éléments invoqués par la société CBI devant les juridictions pénales suisses ; que dès lors, la décision de la cour d’appel de Poitiers du 2 avril 2010 n’est fondée que sur des éléments constants et la décision ultérieure d’acquittement de M. T… ne peut constituer un acte postérieur pouvant remettre en cause la décision dont l’autorité est invoquée ; qu’il n’est pas contesté que la société Sofiseb formule en l’espèce les mêmes demandes sur les mêmes motifs à l’encontre de la même société que lors de la procédure précédente, qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2011, ayant rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 2 avril 2010 ; qu’en conséquence, l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers revêt l’autorité de la chose jugée au regard des demandes formées par la société Sofiseb dans le cadre de cette instance ; que les demandes de la société Sofiseb sont donc irrecevables ; qu’ainsi, le jugement du 12 mai 2005 est intégralement infirmé, tout comme celui du 15 décembre 2015 par voie de conséquence ;

1°) ALORS QUE l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement soumise au juge ; qu’en affirmant, pour accueillir la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu entre les parties par la cour d’appel de Poitiers le 2 avril 2010, que cet arrêt « ne fond[ait] […] pas sa décision de rejet de la demande de la société Sofiseb sur les éléments invoqués par la société CBI devant les juridictions pénales suisses » (arrêt, p. 9, § 1er) et qu’« une faute civile indépendante [des poursuites pénales] a[vait] été caractérisée et retenue comme étant suffisamment grave pour justifier la rupture brutale des relations entre les parties » (arrêt, p. 9, § 2), quand la Cour de cassation avait retenu, pour rejeter le pourvoi formé par la société Sofiseb contre cette décision, que les motifs propres critiqués fondés sur la perte de contrôle étaient surabondants en ce que, « par motifs adoptés, l’arrêt [avait] rel[evé] […] que la société CBI a[vait] porté plainte contre ces actes accomplis par M. T… au nom de la société Sofiseb SA et que le bien-fondé de ses griefs a[vait] été confirmé par les juridictions suisses », ce dont il résulte que la relaxe définitive de M. T… par les juridictions helvétiques, survenue postérieurement, était venue modifier la situation antérieurement soumise au juge, en sorte que l’autorité de chose jugée attachée à la première décision ne pouvait être opposée, la cour d’appel a violé les articles 1351, devenu 1355, du code civil, 122 et 480 du code de procédure civile et 6, § 1er, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2°) ALORS QUE lorsqu’elle confirme un jugement, une cour d’appel est réputée avoir adopté les motifs de ce jugement qui ne sont pas contraires aux siens ; qu’en affirmant, pour exclure que la relaxe définitive de M. T… par les juridictions pénales suisses constitue un événement postérieur ayant modifié la situation antérieurement soumise au juge, que « le[s] refus de la société Sofiseb de droit suisse d’approuver le transfert des droits sociaux de la société Sofiseb de droit français à la société Sofiseb Industries […] et de convoquer l’assemblée générale demandée par elle […] [avaient] seuls motivé la décision de la cour d’appel de Poitiers » (arrêt, p. 9, § 1er) et que cet « arrêt du 2 avril 2010 ne fond[ait] […] pas sa décision de rejet de la demande de la société Sofiseb sur les éléments invoqués par la société CBI devant les juridictions pénales suisses » (arrêt, p. 9, § 3), quand le jugement que cet arrêt avait confirmé avait énoncé que, « n’ayant plus le contrôle de sa filiale, et M. T… ayant la qualité d’administrateur unique, la société CBI [devenue CDI] a[vait] été contrainte de déposer plainte à l’encontre de M. T… », que « le juge d’instruction genevois en charge de cette instruction a[vait] notifié à M. T… son inculpation pour délit de gestion déloyale en vertu de la plainte déposée par la société CBI, mais aussi de gestion déloyale aggravée, compte tenu des abus de biens sociaux auxquels ce dernier se livrait » et que « ces inculpations démontr[aient] que la société CBI était parfaitement fondée à rompre ses relations commerciales avec la société Sofiseb » (jugement du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon du 13 juillet 2007, p. 5, dernier paragraphe, à p. 6, § 2) et quand ces motifs du jugement faisaient corps avec ceux de l’arrêt confirmatif, la cour d’appel a violé l’article 955 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QU’en toute hypothèse, la cour d’appel de Poitiers avait retenu, par motifs adoptés, dans son arrêt rendu le 2 avril 2010 que « le juge d’instruction genevois en charge de cette instruction a[vait] notifié à M. T… son inculpation pour délit de gestion déloyale en vertu de la plainte déposée par la société CBI » et que « ces inculpations démontr[aient] que la société CBI était parfaitement fondée à rompre ses relations commerciales avec la société Sofiseb » (jugement confirmé du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon du 13 juillet 2007, p. 6, § 1er et 2) ; qu’en retenant que « l’arrêt du 2 avril 2010 ne fond[ait] […] pas sa décision de rejet de la demande de la société Sofiseb sur les éléments invoqués par la société CBI devant les juridictions pénales suisses » (arrêt, p. 9, § 3), la cour d’appel a dénaturé l’arrêt rendu le 2 avril 2010 par la cour d’appel de Poitiers et violé l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause.

ECLI:FR:CCASS:2019:C201266


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