Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi principal de Mme de X…, pris en sa première branche :
Vu l’article 1382 du code civil ;
Attendu que Mme de X…, notaire, a été chargée de dresser un acte procédant, d’une part, à une augmentation du capital de la SCI Val des Pins (la SCI), constituée entre Mme Y…, M. Z… et la société monégasque Eagles, par la voie d’apports en nature de divers biens effectués par les deux premiers associés et notamment des 2/6èmes d’un immeuble situé à Tourtour dont Mme Y… affirmait être le propriétaire et, d’autre part, à la cession de la fraction restante de cet immeuble à la SCI, opération financée par un prêt consenti par le Comptoir des entrepreneurs, aux droits duquel se présente désormais le Crédit foncier de France (la banque), moyennant la constitution d’une hypothèque et des cautionnements de Mme Y… et de M. Z… ; que l’officier public a instrumenté sur la foi de deux attestations établies par la société d’avocats Bouzereau, laquelle affirmait s’être portée adjudicataire pour le compte de Mme Y… de l’immeuble ensuite donné en garantie ; que l’inscription hypothécaire s’est révélée impossible, l’intéressée ayant, à défaut de paiement du prix d’adjudication, été privée de son titre à la suite d’une procédure de folle enchère ; que la banque a, dans ces conditions, assigné en paiement de dommages-intérêts Mme Y… et M. Z…, ainsi que le notaire et les MMA, son assureur de responsabilité, lesquels ont appelé en garantie la société d’avocats et son propre assureur, le GAN ;
Attendu que pour condamner Mme de X… et les MMA à réparation, l’arrêt attaqué retient que le notaire avait manqué à son devoir d’efficacité en établissant l’acte sans vérification du titre de propriété invoqué par Mme Y… et que cette faute avait fait perdre à la banque, privée du bénéfice d’une sûreté essentielle, la chance de recouvrer sa créance ;
Attendu, cependant, que seul est sujet à réparation le préjudice actuel, direct et certain ; qu’en se prononçant comme elle l’a fait, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la banque, dont elle constatait qu’elle n’avait engagé aucune action en exécution des cautionnements, avait perdu toute possibilité d’obtenir, en tout ou partie, le règlement de sa créance par le jeu de ces autres sûretés instrumentées par le notaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné Mme de X… et Les Mutuelles du Mans assurances IARD à réparation sous la garantie de la SCP Bouzereau et du GAN, l’arrêt rendu le 14 juin 2007, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne le Crédit foncier de France aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour Mme de X… et Les Mutuelles du Mans assurances IARD.
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné Madame Anne de X…, notaire et la société MUTUELLES DU MANS ASSURANCES in solidum à payer à la SA CREDIT FONCIER DE FRANCE la somme de 44.000 euros en réparation de la perte de chance de recouvrer sa créance consécutive aux fautes du notaire ;
AUX MOTIFS QUE la faute professionnelle de Madame Anne de X… est caractérisée puisqu’il est certain qu’elle a manqué à ses devoirs en ne vérifiant pas, à l’occasion de l’établissement de l’acte du 27 septembre 1994 d’apport en société et de prêt, la réalité du titre de propriété de Madame Servane A…, épouse Y… sur l’immeuble de Tourtour qu’elle apportait à l’actif de la SCI VAL DES PINS ; que le préjudice de la CFF directement consécutif à la faute du notaire est constitué par la perte d’une chance pour le prêteur de recouvrer sa créance en raison de l’inefficacité de l’acte entraînant notamment l’impossibilité d’inscrire une sûreté essentielle en garantie de son prêt ; que l’importance de l’indemnisation à allouer à la SA CFF doit être mesurée à la chance perdue en raison des manquements de Madame de X… à ses devoirs professionnels et à son mandat et elle ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ; que l’indemnisation de cette perte de chance ne correspond pas à la totalité du préjudice invoqué par la SA CFF, d’autant que le prêteur de deniers a fait montre d’inertie dès lors qu’aucune des échéances du prêt exigibles depuis novembre 1994 n’a été réglée par la SCI VAL DES PINS emprunteuse et que le prêteur n’a cependant entrepris aucune action en recouvrement amiable ou forcée contre la SCI VAL DES PINS et contre les cautions et qu’elle ne s’est préoccupé de se procurer l’acte de prêt auprès du notaire que par courrier du 4 juin 1999 ; que l’indemnisation à laquelle peut prétendre la SA CFF ne peut donc être égale au montant de sa créance à l’encontre de la SCI VAL DES PINS et les éléments de la cause ci-avant exposés justifient de lui allouer la somme de 44.000 euros au titre de l’indemnisation de la perte de chance ;
1°) ALORS QUE seul est sujet à réparation le préjudice certain ; qu’en condamnant Madame de X… à indemniser le CREDIT FONCIER DE FRANCE du montant de sa créance, en relevant que l’officier ministériel avait omis de vérifier la propriété du bien devant être donné en garantie de paiement de la somme due à cet établissement de crédit, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si cette banque dont elle relevait, elle-même, qu’elle n’avait entrepris aucune action en recouvrement amiable ou forcée contre la SCI débitrice ou les cautions de la dette ne pouvait plus obtenir le paiement de la créance de la débitrice ou des cautions, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
2°) ALORS QUE seule constitue une perte de chance la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ; qu’en affirmant que le préjudice subi par le CREDIT FONCIER DE FRANCE en raison de l’absence d’une sûreté constituait une perte de chance de recouvrer sa créance, sans rechercher si la banque disposait encore de la faculté d’être payée grâce aux autres garanties dont elle bénéficiait, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil.
Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour le Crédit foncier de France.
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné Me de X… au paiement de la seule somme de 44.000 au CREDIT FONCIER DE FRANCE en réparation de son préjudice ;
AUX MOTIFS QUE « le préjudice de la CFF directement consécutif à la faute du notaire est constitué par la perte d’une chance pour le prêteur de recouvrer sa créance en raison de l’inefficacité de l’acte entraînant notamment l’impossibilité d’inscrire une sûreté essentielle en garantie de son prêt ; que l’importance de l’indemnisation à allouer à la SA CFF doit être mesurée à la chance perdue en raison des manquements de maître DE X… à ses devoirs professionnels et à son mandat et elle ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ; que l’indemnisation de cette perte de chance ne correspond pas à la totalité du préjudice invoqué par la SA CFF, d’autant que le prêteur de deniers a fait montre d’une inertie dès lors qu’aucune des échéances du prêt exigibles depuis novembre 1994 n’a été réglée par la SCI VAL DES PINS emprunteuse et que le prêteur n’a cependant entrepris aucune action en recouvrement amiable ou forcée contre la SCI VAL DES PINS et contre les cautions et qu’elle ne s’est préoccupé de se procurer l’acte de prêt auprès du notaire que par courrier du 4 juin 1999 ; que l’indemnisation à laquelle peut prétendre la SA CFF ne peut donc être égale au montant de sa créance à l’encontre de la SCI VAL DES PINS et les éléments de la cause ci-avant exposés justifient de lui allouer la somme de 44.000 euros au titre de l’indemnisation de la perte de chance » (arrêt attaqué, p.6, §4, 5 et 6) ;
ALORS QUE la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice, constitué par la perte de sa créance, dès lors qu’il est établi qu’elle a, par la faute d’un notaire, perdu définitivement sa créance ; qu’au cas d’espèce, il était constant que la débitrice principale et les cautions étaient insolvables et que le CREDIT FONCIER DE FRANCE avait ainsi perdu définitivement sa créance ; qu’en décidant cependant que l’indemnisation à laquelle la banque créancière pouvait prétendre ne pouvait être égale qu’à la perte d’une chance de recouvrer sa créance, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.