Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Charles X… et Mme Y… ont constitué, le 22 juin 1990, une société civile immobilière dont le capital était composé d’un immeuble apporté par Charles X…, et de numéraire apporté par Mme Y… ; que, le 17 janvier 1991, Charles X… a vendu à Mme Y… la nue-propriété de toutes ses parts sociales ; que Charles X… et Mme Y… se sont mariés le 19 juillet 1991 ; que l’époux est décédé le 5 novembre 1996, laissant pour lui succéder Mme Y… et ses quatre enfants issus d’une première union, les consorts X… ; que ces derniers ont sollicité la nullité de la donation déguisée qu’ils soutenaient avoir été consentie par leur père à Mme Y… ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l’article 1315 du code civil ;
Attendu que, pour retenir que Charles X… était animé d’une intention libérale à l’égard de Mme Y… et pour qualifier de donation déguisée la vente de la nue-propriété de parts sociales, l’arrêt retient que Mme Y… échoue à démontrer qu’elle a acquis ces biens avec ses fonds « propres » ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombait aux consorts X… d’établir l’absence de contrepartie à la cession de la nue-propriété des parts sociales, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé ;
Et sur la troisième branche de ce moyen :
Vu l’article 1356 du code civil ;
Attendu qu’aux termes de ce texte, l’aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l’a fait mais ne peut être divisé contre lui ;
Attendu que, pour qualifier de donation déguisée la cession de la nue-propriété de parts sociales, l’arrêt retient que Mme Y… ne saurait se contenter d’indiquer dans ses écritures que le prix de vente lui aurait été avancé par Charles X… et qu’elle l’aurait ultérieurement remboursé, sans en apporter la preuve ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le paiement comptant du prix mentionné par l’acte de cession était contredit par le seul aveu de Mme Y…, laquelle ajoutait que ce prix avait été payé deux années plus tard grâce à des fonds provenant de la vente d’un immeuble, que cet aveu était indivisible, sauf invraisemblance ou preuve de son inexactitude qu’il aurait incombé aux consorts X… d’apporter, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE sauf en ce qu’il a ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Charles X… et en ce qu’il a désigné un notaire, les arrêts rendus le 19 novembre 2011 et le 25 août 2011, entre les parties par la cour d’appel de Nouméa ; remet en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nouméa, autrement composée ;
Condamne les consorts X… aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour Mme Y…
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué du 25 août 2011 d’avoir dit que la cession de la nue-propriété de ses parts sociales consentie par Monsieur X… à Madame Y… le 17 janvier 1991 est en réalité une donation déguisée ;
AUX MOTIFS QU’« il est établi par les pièces versées aux débats les éléments suivants :- le 22 juin 1990 était constituée, entre M. X… et Mme Y…, la SCI GYVER dont le capital social de 3 360 000 F CFP était réparti en 336 parts dont 335 étaient attribuées à M. X… en rémunération de ses apports en nature, soit un immeuble sis au Mont Dore et en rémunération de son apport en numéraire soit la somme de 100 000 F CFP et 1 part attribuée à Mme Y… en rémunération de son apport en numéraire soit la somme de 10 000 F CFP ;- le 17 janvier 1991, soit moins de 7 mois plus tard, M. X… cédait la nue-propriété de ses parts sociales à Mme Y… avec un prix de cession fixé à 2 345 000 F CFP ;- le 19 juillet 1991, soit six mois plus tard, M. X… et Mme Y… contractaient mariage ;
Qu’ainsi au décès de M. X…, survenu le 5 novembre 1996, Mme Y…, nue propriétaire de la totalité des parts sociales d’une société propriétaire du bien, et compte tenu du caractère viager de l’usufruit de M. X…, s’est donc trouvée propriétaire en totalité du bien par la personne interposée de la SCI qui a concentré entre ses mains tous les démembrements du droit de propriété ; que cette chronologie des faits conduit les consorts X… à y voir un montage orchestré par le de cujus pour favoriser son ex-concubine au détriment des héritiers, lesquels se seraient trouvés spoliés de leur part réservataire ;
Que les consorts X… font ainsi grief au premier juge d’avoir considéré qu’il était constant que le 17 janvier 1991, M. Charles X… avait cédé à Mme Y… la nue-propriété des parts sociales qu’il détenait moyennant le prix de 2 345 000 frs et d’avoir dit qu’on ne saurait prétendre que le transfert de ces droits patrimoniaux n’a pas été réalisé sans contrepartie financière ;
Que la simple stipulation d’un prix dans un acte de cession ne permet pas pour autant d’affirmer que le transfert des droits patrimoniaux a été fait avec une contrepartie financière, dans la mesure où la réalité du versement du prix de cession n’est pas démontrée ; que la donation déguisée est par nature un acte qui se cache derrière une opération, qui ne s’affiche pas comme libérale, mais se présente comme une vente dont le caractère fictif est justement établi par le fait que le prix fixé dans l’acte de vente n’est en réalité pas versé :
Que la jurisprudence a ainsi été conduite à admettre que : « Les juges constatant que la société civile immobilière, constituée par deux époux, n’avait réalisé qu’une seule opération, à savoir l’acquisition de l’immeuble dont elle était seule propriétaire, et que cette acquisition avait été intégralement payée par le mari dans une intention libérale, en ont déduit à bon droit que l’attribution à la femme sans contrepartie, de la moitié des parts sociales constituait une donation déguisée » (Cass., 1ère chambre civile, 17 mars 1987) ;
Que la jurisprudence a également précisé que : « si, comme le soutient à bon droit le moyen, l’arrêt a prononcé à tort l’annulation de la donation en la considérant comme déguisée alors que cette qualification ne peut être retenue qu’en présence d’une affirmation mensongère de l’origine des fonds, il a implicitement retenu que toute donation entre époux est révocable même celle faite antérieurement au mariage en prévision de celui-ci et que l’action en nullité exercée par le donateur vaut nécessairement révocation de la donation ; que, dès lors, la cour d’appel, qui a reconnu à M. Y. une créance égale à la valeur actuelle de l’appartement, a fait une juste application de l’article 1099-1 du Code civil, lequel s’applique à toute remise gratuite des deniers quelle qu’en soit la forme, faite par un époux à l’autre en vue de lui procurer l’entrée d’un bien dans son patrimoine, et doit aussi recevoir application lorsque la donation des deniers, antérieure au mariage, a été faite en prévision de celui-ci ; que la décision est ainsi légalement justifiée » (Cass., 1ère chambre civile, 21 juillet 1987) ;
Que les appelants sont légitimement appelés à s’interroger sur la nécessité de créer une SCI et de faire l’apport d’un bien en capital sachant d’une part que le patrimoine du de cujus était presque exclusivement constitué de ce bien et que d’autre part la SCI n’a fait aucun investissement, de sorte qu’il paraît incontestable qu’elle n’a été créée que pour les besoins de la transmission du bien à Mme Y… ;
Qu’en conséquence Mme Y… ne saurait se contenter d’indiquer dans ses écritures que le prix de vente lui aurait été avancé par M. X… et qu’elle l’aurait ultérieurement remboursé, sans en apporter la preuve ; qu’en outre, l’acte sous seing privé du 17 janvier 1991, qui précise que : « Mme Y…, cessionnaire, a payé comptant ce jour, à M. X…, cédant, qui le reconnaît et lui en accorde bonne et valable quittance », comporte manifestement une affirmation mensongère, selon les propres écritures de Mme Y… ;
Qu’il est constant que la constitution de la SCI a permis à Mme Y… d’être associée, ce qui a incontestablement facilité la transmission du patrimoine du de cujus ; qu’il convient en effet de noter que la donation pure et simple du bien aurait été nécessairement notariée et aurait entraîné une taxation importante du fait qu’elle était consentie à un tiers, Mme Y… n’étant alors que la concubine de M. X… et qu’une telle donation aurait été au surplus soumise à réduction ;
Que la cession de la nue-propriété de parts sociales, consacrée aux termes d’un acte sous seing privé qui ne nécessitait aucune publicité foncière ni légale, présentait donc l’intérêt d’être moins onéreuse et permettait de réaliser le transfert de l’intégralité des biens du de cujus à Mme Y… en deux temps, compte tenu du caractère viager de l’usufruit qui a permis de concentrer entre les mains de la SCI tous les démembrements du droit de propriété ; qu’en effet il convient de rappeler que dans le cas d’une vente ou de la donation de la nue-propriété d’un bien, l’usufruit est viager de sorte que sa durée dépend de la vie du donateur et qu’au décès de M. X…, Mme Y…, nue propriétaire de la totalité des parts sociales d’une société propriétaire d’un bien, compte tenu du caractère viager de l’usufruit de M. X…, s’est effectivement trouvée propriétaire en totalité du bien par la personne interposée de la SCI qui a concentré entre ses mains tous les démembrements du droit de propriété ;
Qu’en conséquence, les héritiers réservataires sont fondés à soutenir qu’il s’agissait, en réalité, d’une donation déguisée réalisée en prévision du mariage et que l’affirmation du versement du prix est sciemment contraire à la réalité et caractérise une volonté de simulation révélatrice du désir de créer une apparence trompeuse, Mme Y… échouant à démontrer qu’elle a acquis le bien avec ses fonds propres ; que la preuve de l’intention libérale de M. X… est ainsi rapportée » ;
1/ ALORS QUE la charge de la preuve de l’intention libérale appartient à celui qui l’allègue ; qu’en l’espèce, il appartenait aux consorts X…, qui prétendaient que la cession de la nue-propriété des parts sociales simulait en réalité une donation déguisée, de rapporter la preuve de la prétendue intention libérale de leur père ; que la Cour d’appel a déduit que « la preuve de l’intention libérale de M. X… est ainsi rapportée » (arrêt, p. 9, alinéa 1er, in fine) de ce que « Mme Y… échou ait à démontrer qu’elle a acquis le bien avec ses fonds propres » (arrêt, p. 9, alinéa 1er) ; qu’elle a ainsi fait supporter à Madame Y… la charge de la preuve du défaut d’intention libérale ; qu’en statuant ainsi, quand il appartenait aux consorts X…, qui alléguaient l’existence d’une intention libérale, d’en démontrer l’existence, la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;
2/ ALORS QU’il appartient à celui qui allègue qu’une vente simulerait l’existence d’une donation déguisée de rapporter la preuve de la simulation en démontrant que l’acquéreur, en accord avec le vendeur, n’a pas payé le prix convenu ; qu’il appartenait ainsi en l’espèce aux consorts X… de démontrer que Madame Y… ne se serait pas acquittée du prix de cession de 2 345 000 F CFP stipulé à l’acte du 17 janvier 1991 ; que pour décider que la cession de parts sociales simulait une donation déguisée, la Cour d’appel a pourtant retenu que « Mme Y… ne saurait se contenter d’indiquer dans ses écritures que le prix de vente lui aurait été avancé par M. X… et qu’elle l’aurait ultérieurement remboursé, sans en apporter la preuve » (arrêt, p. 8, alinéa 4) ; qu’en statuant ainsi, quand la preuve du prétendu défaut de paiement du prix reposait sur les consorts X… qui alléguaient l’existence d’une donation déguisée, la Cour d’appel a de nouveau inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;
3/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QUE l’aveu judiciaire, quand il est la seule preuve produite, ne peut être divisé contre celui qui l’a fait ; que l’aveu complexe qui consiste à avouer l’existence de la dette en ajoutant que celle-ci a été payée est indivisible ; qu’en l’espèce, la seule preuve produite à l’encontre des mentions de l’acte de cession du 17 janvier 1991, qui stipulaient que « Madame Y…, cessionnaire, a payé comptant ce jour, à M. X…, cédant, qui le reconnaît et lui en accorde bonne et valable quittance » (acte de cession du 17 janvier 1991, p. 3, pénultième alinéa), résidait dans les écritures de Madame Y… qui admettaient que le prix n’avait pas été payé comptant, mais soutenaient qu’il avait fait l’objet d’un remboursement à Monsieur Y…, deux ans après la vente (conclusions, p. 3, alinéas 9 à 11) ; que ces écritures constituaient donc un aveu judiciaire qui démontrait indivisiblement que le prix n’avait pas été payé comptant mais avait finalement été remboursé à Monsieur X… en 1993 ; que la Cour d’appel s’est fondée sur l’aveu judiciaire de Madame Y… pour retenir que le prix n’avait pas été payé comptant : « l’acte sous seing privé du 17 janvier 1991 ¿ comporte manifestement une affirmation mensongère, selon les propres écritures de Mme Y… » (arrêt, p. 8, alinéa 4) ; qu’elle a cependant retenu que ces mêmes écritures n’établissaient pas le paiement ultérieur du prix à Monsieur X… : « Mme Y… ne saurait se contenter d’indiquer dans ses écritures que le prix de vente lui aurait été avancé par M. X… et qu’elle l’aurait ultérieurement remboursé, sans en apporter la preuve » (arrêt, p. 8, alinéa 4) ; qu’en statuant ainsi, quand les deux aspects de cet aveu complexe étaient indivisibles, la Cour d’appel a violé l’article 1356 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué du 25 août 2011 d’avoir dit que la cessation de la nue-propriété de ses parts sociales consentie par Monsieur X… à Madame Y… le 17 janvier 1991 est une donation déguisée nulle ;
AUX MOTIFS QUE « les héritiers réservataires sont fondés à soutenir qu’il s’agissait, en réalité, d’une donation déguisée réalisée en prévision du mariage et que l’affirmation du versement du prix est sciemment contraire à la réalité et caractérise une volonté de simulation révélatrice du désir de créer une apparence trompeuse, Mme Y… échouant à démontrer qu’elle a acquis le bien avec ses fonds propres ; que la preuve de l’intention libérale de M. X… est ainsi rapportée » ;
ALORS QUE la nullité des donations déguisées entre époux ne s’applique aux donations antérieures au mariage qu’autant qu’elles ont été faites en prévision de l’union ; que les juges du fond ne peuvent donc annuler une donation déguisée antérieure au mariage sans caractériser en quoi, dans l’intention des parties, la donation n’a été consentie qu’en contemplation de l’union à venir ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a retenu que la cession litigieuse simulait « une donation déguisée réalisée en prévision du mariage » (arrêt, p. 9, alinéa 1er) sans aucunement caractériser en quoi, à supposer même que l’existence d’une donation déguisée ait été rapportée, celle-ci avait été consentie en contemplation du mariage ultérieur des époux X… ; que la Cour d’appel s’est en réalité contentée de relever que la donation prétendument déguisée avait été consentie 6 mois avant le mariage (arrêt, p. 7 alinéa 6) ; qu’en statuant ainsi, quand Madame Y… soutenait pourtant dans ses conclusions que l’acte n’avait aucun lien avec le mariage, la circonstance que le mariage avait été célébré sept mois après la cession étant justifiée par des contraintes d’organisation matérielle (conclusions du 27 avril 2011, p. 3, alinéa 4), la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1099 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-439, applicable en la cause.
ECLI:FR:CCASS:2014:C100379