Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu que par acte du 2 novembre 1992 établi avec le concours de M. X…, avocat associé, M. Y… a cédé un fonds de commerce à la SA Dagstaff, société à caractère familial dont il détenait, avec son épouse, la majorité du capital et qui depuis1974 exploitait ce fonds en qualité de locataire-gérant moyennant une redevance annuelle assise sur le chiffre d’affaires réalisé ; que le 16 juin 1995, M. et Mme Y… ont reçu notification d’un redressement fiscal aux fins de réintégration, dans les bénéfices imposables réalisés par l’époux au titre de l’exercice 1992, de l’avantage consenti à la société Dagstaff dont la redevance n’avait jamais été réévaluée, pratique qualifiée d’acte anormal de gestion par l’administration ; qu’après avoir vainement contesté le redressement devant le juge de l’impôt, les époux Y… ont engagé une action en responsabilité contre l’avocat et la société Fiduciaire 94 dont il est membre ;
Attendu que les époux Y… reprochent à l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 27 octobre 2009) de les avoir déboutés de leur demande indemnitaire, alors, selon le moyen :
1°/ que l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’informer et d’éclairer son client sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques de l’acte auquel il prête son concours et, le cas échéant, de le lui déconseiller ; qu’en l’espèce, en se bornant à affirmer que les conseils donnés par l’avocat à l’occasion de la cession de fonds de commerce qu’il avait conseillée et dont il avait rédigé les actes n’avaient pas été la cause du redressement fiscal subi par ses clients, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’avocat, au vu des éléments dont il disposait, n’avait pas omis d’informer ses clients du risque de redressement fiscal qui résultait de la révélation de l’absence de réévaluation du loyer stipulé dans le contrat de location-gérance conclu entre ses clients et la société que ceux-ci contrôlaient, à l’occasion de la cession du fonds de commerce à cette dernière, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil ;
2°/ qu’il appartient à l’avocat, lorsqu’un acte ou une abstention de son client est susceptible d’entraîner un redressement fiscal à l’occasion d’une opération pour laquelle son concours est sollicité, d’en informer celui-ci, lequel pourra ainsi être amené à régulariser sa situation avant de procéder à cette opération ; qu’en affirmant en l’espèce que l’avocat n’avait pas commis de faute en ce qu’il n’avait pas à conseiller son client dans une démarche d’illégalité, quand l’information sur le risque de redressement fiscal susceptible de résulter de la révélation de l’absence de réévaluation du loyer dans le contrat de location-gérance, si elle avait donnée au client, aurait permis à celui-ci d’être éclairé sur la nécessité de régulariser sa situation avant de procéder à cette opération et n’impliquait pas qu’il persiste dans une démarche d’illégalité, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;
3°/ que l’avocat qui expose fautivement son client à un risque de redressement fiscal s’oblige à réparer le préjudice qui en découle, lorsque ce risque se réalise, quand bien même ce préjudice découle de la mise en recouvrement d’un impôt dû ; qu’en l’espèce, en se bornant à affirmer que l’avocat n’était pas comptable des conséquences fiscales simplement induites aboutissant à ce qu’il soit réclamé au contribuable le paiement d’un impôt légalement dû, lorsqu’il lui appartenait de rechercher si, en omettant de mettre en garde ses clients sur le risque que la cession du fonds de commerce de M. Y… ne révèle à l’administration fiscale l’absence de réévaluation du loyer stipulé dans le contrat de location-gérance, l’avocat n’avait pas exposé ses clients à un risque de redressement qui s’était finalement réalisé, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;
4°/ qu’à supposer adoptés sur ce point les motifs des premiers juges, l’arrêt attaqué a affirmé que l’attitude de l’avocat avait eu pour conséquence d’encourager ses clients à poursuivre l’opération de restructuration à l’occasion de laquelle le fisc avait découvert l’anomalie de gestion commise depuis 1974 dans l’application du contrat de location-gérance en cause ; qu’en affirmant que la relation de causalité certaine entre l’attitude de l’avocat et le dommage n’était pas démontrée, dès lors que rien n’indiquait que la situation qui préexistait à son intervention n’aurait pas été portée à la connaissance de l’administration dans d’autres circonstances ni donné lieu à un contrôle fiscal, après avoir constaté que l’avocat, par son attitude, avait exposé ses clients à un risque de redressement fiscal, lequel s’était réalisé, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu’ayant exactement énoncé que le professionnel du droit n’est, en principe, tenu de conseiller ses clients que dans les limites du mandat qui lui est confié pour la réalisation de l’opération à laquelle il prête son concours et que le paiement d’un impôt légalement dû ne constitue pas un préjudice indemnisable, la cour d’appel a, par motifs substitués, constaté qu’à l’occasion de l’instrumentation de la vente du fonds de commerce, l’avocat avait prodigué aux clients des conseils d’une grande prudence sur les incidences fiscales propres à la cession, puisqu’il avait insisté sur la nécessité de veiller à ce que le prix convenu ne puisse pas être contesté par l’administration sur le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion et que les conseils ainsi donnés n’étaient pas la cause du redressement qui avait été pratiqué en raison de l’absence, pendant les dix-sept années ayant précédé l’intervention de l’avocat, de toute réévaluation de la redevance selon le mécanisme de révision prévue au contrat de location-gérance et qui aurait pu être décidé par l’administration à l’occasion d’autres circonstances ou à la suite d’un contrôle fiscal ; qu’elle a pu en déduire que l’avocat n’avait pas commis de faute à l’origine de la situation dénoncée par ses clients, justifiant ainsi légalement sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme Y… et les condamne à payer la somme totale de 3 000 euros à M. X… et à la société Fiduciaire 94 ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Y…
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR débouté Monsieur et Madame Y… de leur demande en paiement de dommages-intérêts formée à l’encontre de la société FIDUCIAIRE 94 et de Maître Joël X… ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Monsieur Daniel Y… est propriétaire en propre d’un fonds de commerce par lui créé, donné en location gérance à la société anonyme familiale Dagstaff selon acte sous seings privés du 23 mars 1974, moyennant une redevance annuelle assise sur le chiffre d’affaires de 30 000 francs, soit 4 753, 47 euros dont la révision annuelle, prévue contractuellement, ne sera jamais appliquée. En 1992, les époux Daniel Y…, actionnaires majoritaires de la société Dagstaff, accompagnés de leur expert comptable, le cabinet Alain Guilloux, ont contacte Maître Joël X…, avocat au sein de la société Fiduciaire 94, pour examiner les solutions permettant d’optimiser les structures d’exploitation de la société Dagstaff, dans le but d’intégrer le fonds de commerce aux actifs sociaux, lequel, aux termes d’une consultation datée du 20 octobre 1992 leur a soumis deux possibilités, soit l’augmentation du capital, par remise d’actions correspondant à la valeur du fonds de M. Y…, soit l’acquisition par la société Dagstaff dudit fonds avec règlement à ce dernier par inscription en compte courant. La seconde solution a été choisie et Maître X…, chargé d’opérer la cession du fonds de commerce, a alerté ses clients sur la nécessité de ne pas en surévaluer la valeur afin que l’opération ne puisse pas s’analyser comme un » acte anormal de gestion » pour la société. La vente a été passée le 2 novembre 1992 au prix de 5 000 000 Frs aux termes d’un acte rédigé par Maître X…, avec résiliation le même jour du contrat de location gérance. Le 16 juin 1995, les époux Y… se sont vu notifier un redressement aux fins de réintégrer dans les bénéfices industriels et commerciaux de M. Y… pour l’année 1992 le montant de l’avantage consenti, l’administration fiscale leur reprochant de ne pas avoir, pendant plus de 17 ans, réévalué la redevance annuelle de location gérance et d’avoir commis » un acte anormal de gestion caractérisé » dès lors que la société Dagstaff a bénéficié d’une renonciation à recette sans contrepartie pour l’entreprise individuelle : elle a réintégré dans les bases de l’impôt les sommes non encaissées et a procédé à la taxation des mêmes sommes au titre de distribution de dividendes ; par voie de conséquence, M. Y… s’est vu refuser le bénéfice de l’exonération de plus-value de l’article 151 septies du code général des impôts, son chiffre d’affaires étant dès lors plus élevé que le forfait prévu pour l’exonération.
A la suite de ce redressement, les époux Y… se sont vu réclamer une somme de 1 265 222 Frs au titre des revenus 1992 ainsi qu’une somme de 103 240 Fds au titre de la CSG ( ) Sur la faute alléguée ( ) la cour n’entend pas faire sien le raisonnement des premiers juges qui reprochent à I’avocat de n’avoir pas prévenu ses clients du risque de redressement auquel ils s’exposaient en poursuivant I’opération de restructuration dont il était chargé, tout en constatant que ce risque-là existait de toute manière depuis 17 ans, notant que I’administration fiscale pouvait le constater par elle-même dans d’autres circonstances ou par un contrôle fiscal ; qu’en effet, il convient de rappeler qu’aucune faute n’est en l’espèce reprochée à I’avocat dans le cadre des conseils très prudents qu’il a fournis à ses clients pour réaliser I’opération de restructuration, attirant précisément leur attention sur la nécessité d’éviter que I’administration fiscale n’invoque » l’acte de gestion anormal » ; que les conseils ainsi donnés n’ont pas été la cause du redressement lequel ne s’est pas fondé sur le prix de cession indiqué ; que c’est la redevance non réévaluée qui a été l’élément déclencheur du redressement ; que le devoir de conseil de I’avocat n’inclut pas l’obligation de conseiller le client dans une démarche d’illégalité et que s’il est constant que I’avocat doit fournir à son client tous les éléments d’appréciation utiles dont des mises en garde, y compris fiscales, se rattachant directement à l’opération qu’il conseille, il n’est pas comptable de conséquences fiscales simplement induites aboutissant à ce qu’il soit réclamé au contribuable le paiement d’un impôt légalement dû ; Considérant en conséquence qu’aucune faute de Maître X… susceptible d’engager sa responsabilité n’est démontrée, que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions » ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « les époux Y… soutiennent que le manquement à l’obligation de conseil auquel était tenu à leur égard Monsieur X… leur a occasionné un préjudice consistant en l’espèce à avoir été contraints, d’une part, de verser au fisc une somme de 244 248, 95 , d’autre part, d’exposer une somme de 5 867, 25 pour des frais et honoraires qu’ils n’auraient jamais été en situation de devoir payer, soit 5 500 à titre d’honoraires de conseil fiscal, 352 à titre de frais de radiation d’hypothèque et 15, 25 à titre frais de timbre fiscal ; Attendu que Monsieur X… conteste non seulement la réalité du préjudice qu’ils allèguent en rappelant que le payement de I’impôt ne peut constituer un préjudice indemnisable mais soutient qu’à supposer son existence démontrée, il est dépourvu de tout lien de causalité avec la faute qui lui est reprochée ; Attendu que les époux Y… font valoir qu’il ne s’agit nullement pour eux d’obtenir le remboursement de I’imposition dont ils étaient redevables mais d’être dédommagés du préjudice consécutif aux mauvais conseils que leur a prodigués Monsieur X…, sachant que ceux-ci ont eu pour effet que I’Administration a réintégré dans leurs revenus imposables des sommes qu’ils n’ont jamais perçues et que le règlement de cette imposition est la conséquence directe du montage inapproprié qu’il leur a proposé ; Mais attendu que le redressement fiscal auquel ils ont été soumis a eu avant tout pour origine l’inapplication de la clause de réévaluation du contrat qui les liait à la société Dagstaff : que la défaillance de Monsieur X… dans son devoir de conseil a eu seulement pour conséquence de les encourager à poursuivre l’opération de restructuration à l’occasion de laquelle le fisc a découvert I’anomalie de gestion qu’ils commettaient depuis 1974 dans I’application de leur contrat ; que dès lors qu’en tant qu’avocat Monsieur X… n’avait pas vocation à leur conseiller de se maintenir dans I’illégalité, les époux Y… ne démontrent pas que le redressement qui leur a été appliqué résulte d’un défaut de mise en garde de sa part contre le risque qu’ils encouraient s’ils persévéraient dans leur intention de poursuivre le montage juridique pour lequel ils l’avaient mandaté, rien n’indiquant en effet que la situation à risque qui préexistait à son intervention n’aurait pas été portée à la connaissance de l’administration dans d’autres circonstances ni donné lieu à un contrôle fiscal générateur du préjudice dont ils se plaignent ; qu’il résulte de ce qui précède qu’ils ne démontrent pas I’existence d’une relation de cause à effet certaine entre le dommage et l’attitude fautive de Monsieur X… ; Qu’en conséquence ils seront déboutes de leur demande » ;
1. ALORS QUE l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’informer et d’éclairer son client sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques de l’acte auquel il prête son concours et, le cas échéant, de le lui déconseiller ; qu’en l’espèce, en se bornant à affirmer que les conseils donnés par l’avocat à l’occasion de la cession de fonds de commerce qu’il avait conseillée et dont il avait rédigé les actes n’avaient pas été la cause du redressement fiscal subi par ses clients, sans rechercher, comme y était invitée, si l’avocat, au vu des éléments dont il disposait, n’avait pas omis d’informer ses clients du risque de redressement fiscal qui résultait de la révélation de l’absence de réévaluation du loyer stipulé dans le contrat de location-gérance conclu entre ses clients et la société que ceux-ci contrôlaient, à l’occasion de la cession du fonds de commerce à cette dernière, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;
2. ALORS QU’il appartient à l’avocat, lorsqu’un acte ou une abstention de son client est susceptible d’entraîner un redressement fiscal à l’occasion d’une opération pour laquelle son concours est sollicité, d’en informer celui-ci, lequel pourra ainsi être amené à régulariser sa situation avant de procéder à cette opération ; qu’en affirmant en l’espèce que l’avocat n’avait pas commis de faute en ce qu’il n’avait pas à conseiller son client dans une démarche d’illégalité, quand l’information sur le risque de redressement fiscal susceptible de résulter de la révélation de l’absence de réévaluation du loyer dans le contrat de location-gérance, si elle avait donnée au client, aurait permis à celui-ci d’être éclairé sur la nécessité de régulariser sa situation avant de procéder à cette opération et n’impliquait pas qu’il persiste dans une démarche d’illégalité, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
3. ALORS QUE l’avocat qui expose fautivement son client à un risque de redressement fiscal s’oblige à réparer le préjudice qui en découle, lorsque ce risque se réalise, quand bien même ce préjudice découle de la mise en recouvrement d’un impôt dû ; qu’en l’espèce, en se bornant à affirmer que l’avocat n’était pas comptable des conséquences fiscales simplement induites aboutissant à ce qu’il soit réclamé au contribuable le paiement d’un impôt légalement dû, lorsqu’il lui appartenait de rechercher si, en omettant de mettre en garde ses clients sur le risque que la cession du fonds de commerce de Monsieur Y… ne révèle à l’administration fiscale l’absence de réévaluation du loyer stipulé dans le contrat de location-gérance, l’avocat n’avait pas exposé ses clients à un risque de redressement qui s’était finalement réalisé, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
4. ALORS QU’à supposer adoptés sur ce point les motifs des premiers Juges, l’arrêt attaqué a affirmé que l’attitude de l’avocat avait eu pour conséquence d’encourager ses clients à poursuivre l’opération de restructuration à l’occasion de laquelle le fisc avait découvert l’anomalie de gestion commise depuis 1974 dans l’application du contrat de location-gérance en cause ; qu’en affirmant que la relation de causalité certaine entre l’attitude de l’avocat et le dommage n’était pas démontrée, dès lors que rien n’indiquait que la situation qui préexistait à son intervention n’aurait pas été portée à la connaissance de l’administration dans d’autres circonstances ni donné lieu à un contrôle fiscal, après avoir constaté que l’avocat, par son attitude, avait exposé ses clients à un risque de redressement fiscal, lequel s’était réalisé, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1147 du Code civil.