Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2015, 14-23.387, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2015, 14-23.387, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Basse-Terre, 30 juin 2014), que la société Etablissement Emmanuel X… (la société) a assigné M. et Mme Y… en réparation des préjudices matériel et moral subis à la suite de manquements aux obligations déontologiques attachées à leur qualité d’avocats survenus lors de la vente d’un immeuble lui appartenant ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que M. et Mme Y… font grief à l’arrêt de dire qu’ils ont commis de graves fautes professionnelles comme avocats de la société lors de la vente des immeubles lui appartenant et de les condamner à lui payer une somme de 700 000 euros en réparation de son préjudice matériel ainsi qu’une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors, selon le moyen, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; qu’en l’espèce, pour décider que Mme Z… et M. Y… auraient commis des fautes ayant causé à la société X… un dommage matériel et moral, le jugement a retenu que « les deux avocats, l’un jouant le rôle de conseil, M. Y…, ancien agent immobilier, et Mme Z… de rédacteur d’actes, ces deux avocats, mari et femme, alliant leur malignité pour spolier leur client ; que ce faisant les défendeurs ont agi comme des prédateurs vis-à-vis de leur client » ; qu’il a encore retenu que « l’accumulation des fautes professionnelles lourdes commises par les défendeurs est particulièrement grave et choquante ; qu’elle procède d’un esprit de lucre et de malversation, déjà souligné par la cour d’appel de Paris ; qu’il eût été fort intéressant de connaître le montant des honoraires réclamés par eux pour cette transaction ¿ » ; qu’en statuant ainsi, à supposer ces motifs adoptés, en des termes injurieux et manifestement incompatibles avec l’exigence d’impartialité, la cour d’appel a violé l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu’une partie est irrecevable à soulever pour la première fois devant la Cour de cassation un grief portant sur un élément de la décision du premier juge qu’elle n’avait pas invoqué en cause d’appel ; que, s’ils ont qualifié de durs et violents les termes employés par les premiers juges, M. et Mme Y… n’ont pas prétendu devant la cour d’appel, comme ils le font au soutien de leur pourvoi, que ces termes auraient été incompatibles avec l’exigence d’impartialité ; qu’ainsi, le grief est irrecevable ;

Et sur le même moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu que M. et Mme Y… reprochent à l’arrêt de statuer comme il le fait, alors, selon le moyen :

1°/ que, pour retenir que les prétendues fautes commises par Mme Z… et M. Y… auraient causé un dommage à la société, la cour d’appel a postulé que le prix de 6 millions de francs auquel a été vendu l’immeuble à la société Fructicomi constituerait un « moindre prix » ; en postulant de la sorte que l’immeuble aurait pu être vendu à un prix supérieur, sans aucunement répondre aux conclusions de M. et Mme Y… qui démontraient longuement que ce prix était « réel et sérieux » et correspondait aux contraintes concrètes du marché, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ; qu’en l’espèce, pour allouer à la société une somme de 700 000 euros en réparation de son prétendu préjudice matériel, la cour d’appel a retenu que devaient être indemnisées « la perte d’une chance de vendre l’immeuble à un prix supérieur sans précipitation et manipulation, et, en cas de passation de crédit-bail, la perte de chance de conserver l’immeuble dans le patrimoine de la société et de percevoir des fruits plus importants à la suite de la division des locaux et de l’augmentation du prix du bail y afférents » ; qu’elle a ainsi alloué une indemnité compensant tout à la fois la chance perdue de vendre l’immeuble à un meilleur prix, et celle de le conserver pour en tirer des revenus supérieurs ; qu’en statuant ainsi, cependant que ces chances perdues, même à admettre leur existence, étaient incompatibles entre elles et ne pouvaient donc être cumulées, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de défaut de réponse à conclusions et de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’évaluation souveraine du préjudice matériel de la société par les juges du fond qui ont réparé une perte de chance fondée sur deux hypothèses alternatives d’égale importance ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme Y… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme Y… ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Y…

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que Madame Annick Z… et Monsieur Jean-Paul Y… ont commis de graves fautes professionnelles comme avocats de la société SA X… lors de la vente des immeubles sis à JARRY, de les avoir condamnés solidairement à payer à la société X… en réparation du préjudice matériel subi une somme de 700 000 ¿, et une somme de 100 000 ¿ au titre du préjudice moral ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la responsabilité de Mme Z… et de M. Y…, avocats :

Qu’aux termes de l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction applicable à l’espèce, les avocats prêtent serment d’exercer leur fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ;

Qu’il est également constant que la loyauté notamment vis-à-vis de son client constitue une obligation au même titre que celles du serment ;

Qu’en outre, aux termes de l’article 156 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, dans sa rédaction alors applicable, l’avocat doit observer les règles de prudence et de diligence qu’inspire la sauvegarde des intérêts qui lui sont confiés par ses clients, l’article 155, dans sa rédaction alors applicable, précisant qu’il doit, sauf accord des parties, s’abstenir de s’occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d’intérêts ou s’il existe un risque sérieux d’un tel conflit mais aussi qu’il ne peut accepter l’affaire d’un nouveau client si le secret des informations données par un ancien client risque d’être violé ou lorsque la connaissance par l’avocat des affaires de l’ancien client favoriserait le nouveau client de façon injustifiée ;

Qu’en l’espèce, par acte authentique du 30 juin 2000, la société établissement Emmanuel X…, société holding familiale en difficultés financières, en raison des difficultés économiques et financières rencontrées par ses deux filiales dont elle s’était portée caution en même temps que son président directeur général, M. Emmanuel X… détenteur de 75 % des actions, et en recherche de liquidités, qu’elle n’avait pu obtenir par l’entremise de Me Y…, avocat et époux de Mme Z…, auprès de la BNP Guadeloupe, a vendu un immeuble lui appartenant pour 914 964, 10 ¿ (6 millions de francs) à la société FRUCTICOMI, qui l’a remis en crédit-bail à la SCI La Source ;

Qu’aux termes des pièces produites, il est établi que, le 1er octobre 1999, M. Emmanuel X… avait adressé à M. Georges A…, agent immobilier, un courrier confirmatif de son accord pour la vente de l’immeuble ci-dessus, en suivant en cela les conseils des époux Z…-Y… (lettre Y… du 7 janvier 2000), en ouvrant deux possibilités, la première au moyen d’une vente éclatée entre le dépôt et les bureaux moyennant le prix de 8, 60 millions de francs minimum pour le dépôt et de 1, 40 million minimum pour le bureau, la seconde au moyen d’une vente groupée, l’ensemble 10 millions de francs minimum. Il observait que les prix proposaient s’entendent commissions d’agence comprise au taux de 5 % et que, lors de la négociation, le prix plancher sera de 8, 40 millions de francs ;

Que c’est alors de manière précipitée, le 25 octobre puis le 3 novembre, sont tenues deux réunions du conseil d’administration, M. Emmanuel X… disposant de 75 % des voix, fixant successivement aux termes des procès-verbaux préparés par Mme Z…, ès qualités d’avocat conseil de ces sociétés, le prix de cet immeuble à 6 150 000 fr. puis 6 millions de francs, montant porté sur la promesse de vente du 3 novembre, rédigée par Mme Z…, ès qualités d’avocat conseil de M. Emmanuel X… ;

Qu’il y était prévu, comme condition, la réduction de l’espace occupé par l’une des filiales à fin de pouvoir louer les lieux en deux entités distinctes, après modification du bail existant de sorte que les loyers mensuels perçus passent de 80 000 fr. hors taxes à 89 000 fr. hors taxes, promesse signée par M. B…, et avec notamment faculté de substitution de toute personne physique ou morale et moyennant l’obtention de prêt ou d’un crédit-bail d’un montant de 5 800 000 fr., et compte tenu des importants travaux de rénovation (traitement, peinture, toitures, réseaux et des travaux de division) en référence manifeste au devis dressé le 26 octobre 1999 par la société Polybat à la demande de M. C…qui, d’après les époux Z…- Y…, se serait présenté comme un éventuel acquéreur sans que l’on connaisse son offre ;

Qu’il résulte à cet égard des pièces de l’instruction ouverte à la suite de la peinte des héritiers X… pour abus de confiance et escroquerie que, d’une part, ce même 3 novembre 1999, Mme Z…, mandatée par le gérant de la SCI La Source, M. B…, a déposé au registre de commerce du Tribunal de grande instance de Basse-Terre l’acte constitutif de la SCI La Source, enregistrée le 10 décembre 1999 avec début d’exploitation le 3 novembre 1999, que, d’autre part, M. B…, ami de longue date des époux Z…- Y…, qui étaient déjà également leur avocat était aussi dirigeant de la société Polybat, auteur du devis rappelé ci-dessus en date du 26 octobre 1999 et dont, depuis 1998 étaient actionnaires les époux Y…- Z…, et que, enfin, dans le même temps, Mme Z… remettait à M. B… la moitié des 450 000 ¿ représentant la moitié de l’acompte versé lors de la signature de la promesse précitée ;

Que dans son courrier, daté du 7 janvier 2000 et adressé aux représentants de la procédure collective, en suite du courrier adressé le 7 décembre 1999, M. Y…, tant pour son compte que pour celui de Mme Z…, ès qualités d’avocat, examine les possibilités en cours et, se plaçant apparemment de manière objective mais sans préciser que son épouse est avocate de cette SCI, sous l’angle de la société en redressement judiciaire et de celui de la SCI La Source, propose une modification du bail en cours avec une revalorisation très importante du loyer, à même, bien évidemment, de conduire la SCI La Source à accepter de finaliser la promesse de vente puisqu’elle percevrait un supplément de loyer ;

Qu’ainsi, à ce stade, le conflit d’intérêts intéressant les époux Y…- Z…, en leur qualité d’avocat de M. Emmanuel X… et de ses sociétés et de celui de M. B…, quoique patent au sens de leurs obligations déontologiques rappelées ci-dessus, est volontairement dissimulé par ces derniers ;

Que le 17 février 2000, l’avenant au bail, autorisant la réduction de l’espace loué à la SARL X…, rappelé comme constituant une condition essentielle de la vente par M. B… dans un fax du 27 janvier 2000, ainsi qu’une revalorisation du loyer, est agréé par la famille X… et les sociétés qu’il représente ;

Que le 23 mars 2000, M. B… et sa compagne cèdent à Mme Z…, devenue la veille cogérante de cette société, 90 parts sociales sur les 100 constitutives du capital de la SCI La Source ; que le 19 avril 2000, la société FRUCTICOMI informe Me F…, notaire, de la société X… que la SCI La Source sera le futur crédit preneur de l’immeuble qu’elle souhaite acquérir en lieu et place de M. B…;

Qu’à aucun moment, Mme Z… ou M. Y…, qui connaissent l’existence de cette société, n’informe M. Emmanuel X… ou les autres actionnaires de cette situation ;

Que le 18 mai 2000, Mme Z…, ès qualités d’avocat, relance M. Emmanuel X… afin de voir passer l’acte de vente de l’immeuble au bénéfice de la société de M. B… « car le retard leur est préjudiciable » à l’un comme à l’autre, alors qu’elle sait que c’est dans son intérêt personnel ;

Que ce n’est que le 28 juin 2000, 2 jours avant la passation de l’acte authentique, que la BRED Banque Populaire, banque habituelle de Mme Z… et dont la société FRUCTICOMI est une filiale, informe, par fax adressé à M. D…, gendre de M. Emmanuel X… qui travaille en l’étude de Me F…, notaire, que « Me Annick Z… n’est intervenue dans ce dossier que comme simple conseil de la SCI La Source » et que « ce sont les associés de ladite SCI La Source qui ont souhaité que Me Annick Z… accepte la cogérance dans le seul but de faciliter la réalisation des opérations » ;

Qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que, tant Mme Z… que M. Y…, ont volontairement dissimulé à M. Emmanuel X… et aux autres actionnaires de la société établissements Emmanuel X…, alors lequel pourtant s’était nouée plus qu’une relation de confiance (lettre du 13 octobre 1997 de Mme Z… à Mme X…- Ramade) le conflit d’intérêts existants puisqu’ils conseillaient et représentaient le futur acquéreur de l’immeuble mis en vente afin de résoudre les difficultés financières de la société établissements Emmanuel X… qu’ils conseillaient depuis plusieurs années ;

Qu’il est également certain qu’ils ont manqué à leurs obligations de loyauté et de probité lorsqu’ils manoeuvré de façon à obtenir un prix moindre que celui envisagé initialement au bénéfice exclusif de la SCI La Source, société créée de toutes pièces à l’effet de récupérer cet immeuble, en faisant remettre, au moment opportun, par un tiers dont l’offre est demeurée inconnue, un devis de travaux par une société, la société Polybat, dont ils étaient actionnaires ainsi que le gérant M. B… qui représentait la SCI La Source, en dissimulant naturellement cet état de fait ;

Qu’ils ont également manqué à leur obligation de prudence et de diligence en ne proposant pas à M. Emmanuel X… et aux actionnaires de la société Emmanuel X… l’opération de crédit-bail, mais en place par leur action combinée tant vis-à-vis des organes représentant les filiales en redressement judiciaire que de la BRED, dont ils étaient des fidèles clients, à travers sa filiale la société FRUCTICOMI, le tout à leur profit via la SCI La Source ;

Que ces manquements graves et répétés sont constitutifs de fautes professionnelles commises par Mme Z… et M. Y… dans le cadre de leur activité conjointe d’avicat conseil de la société établissements Emmanuel X… ;

Que dans ces conditions, c’est à juste titre que le premier juge a retenu l’engagement de la responsabilité solidaire des époux Z…- Y… dans l’opération de vente et à moindre prix de l’immeuble constituant la majeure partie de l’actif de la société établissements Emmanuel X…, à l’origine de la perte d’une chance de cette société non seulement de vendre à meilleur prix mais encore d’envisager de conserver cet immeuble dans son patrimoine soit en vendant l’un des immeubles du patrimoine privé de la famille X…, soit en passant la même opération de créditbail, et d’en percevoir des fruits supérieurs, le tout au bénéfice principal de Mme Z… avec le concours de son époux M. Y…, l’un et l’autre ès qualités d’avocat et de conseil de la société ;

Qu’au vu des pièces produites, il y a lieu de réduire le montant de la réparation de cette perte certaine à la somme de 700 000 ¿, représentant la perte d’une chance de vendre l’immeuble à un prix supérieur sans précipitation et manipulation, et, en cas de passation de crédit-bail, la perte de chance de conserver l’immeuble dans le patrimoine de la société et de percevoir des fruits plus importants à la suite de la division des locaux et de l’augmentation du prix du bail y afférents ;

Que les manquements précités de Mme Z… et de M. Y…, vis-à-vis de leur client, la société établissements Emmanuel X…, sont également à l’origine d’un préjudice moral certain, justement retenu par le premier juge qui en a exactement évalué la réparation solidaire en allouant la somme de 100 000 ¿ à titre de dommages et intérêts à cette société » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Sur les règles professionnelles du métier d’avocat :

Que la faute de l’avocat consiste en un manquement à des obligations professionnelles qui découlent principalement de clauses conventionnelles mais également d’obligations légales et réglementaires ;

Que du fait de son statut l’avocat doit être particulièrement respectueux des règles déontologiques de sa profession, et ce, qu’il agisse dans sa fonction « judiciaire » ou comme conseil et rédacteur d’acte, dans cette fonction qu’il est d’usage de nommer « juridique » ;

Qu’aux termes de l’article 3 de la loi du 31/ 12/ 1971, l’avocat doit exercer ses fonctions « avec dignité, indépendance, probité et humanité » ;

Qu’aux termes de l’article 155 du décret du 27/ 11 1991 (article abrogé et remplacé par l’article 7 du décret du 12/ 07/ 2005 qui impose les mêmes obligations) : « L’avocat ne doit être ni le conseil, ni le représentant ou le défenseur de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s’il y a un risque sérieux d’un tel conflit » ;

Qu’aux termes de l’article 111 du même décret :

« La profession d’avocat est incompatible a) avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée ;

b) avec les fonctions d’associé dans une société en nom collectif, d’associé commandité dans les sociétés en commandite simple et par actions, de gérant dans une société à responsabilité limitée, de président du conseil d’administration, membre du directoire ou directeur général d’une société anonyme, de gérant d’une société civile à moins que celle-ci n’aient, sous le contrôle du conseil de l’ordre qui peut demander tous renseignements nécessaires, pour objet la gestion d’intérêts familiaux ou professionnels » ;

Que l’avocat consultant et rédacteur d’actes juridique a une obligation de conseil ; qu’il assure la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les prévisions des parties ; qu’il refuse de participer à la rédaction d’un acte ou d’une convention manifestement illicite ou frauduleux ; que l’avocat, seul rédacteur de l’acte, veille à l’équilibre des intérêts des parties ; que lorsqu’il est saisi par une seule des parties, il informe l’autre partie de la possibilité qu’elle a d’être conseillée et de se faire assister par un autre avocat ;

Que ces dernières obligations, définies par la jurisprudence suite à la fusion des professions d’avocat et de conseil juridique découlant de la loi du 31/ 12/ 1990, ont été entérinées par le décret du 12/ 07/ 2005 (art. 9) ;

Sur les fautes professionnelles commises :

Que Maître Z… et son conjoint Maître Y…, étaient avocats attitrés tous les deux des Sociétés X… ; qu’ils entretenaient de surcroît avec les responsables de ces Sociétés, au vu des correspondances échangées, des relations non seulement amicales mais se voulant affectueuses ; que Monsieur Emmanuel X… père, âgé de 80 ans, faisait une absolue confiance à son avocat Maître Z…, comme d’ailleurs les autres membres de sa famille, ainsi que cela ressort des courriers versés aux débats et des dépositions effectuées ;

Que les biens immobiliers sis à Jarry (terrain et immeubles) avaient été évalués par Maître Y… lui-même, selon courrier du 08/ 03/ 1999, à la somme de 12 millions d’euros ; qu’aux termes de la déposition effectuée par Mme Vve X… dans le cadre de la procédure pénale, les seuls bâtiments sis à Jarry, à l’exclusion du terrain de 8 000 m ², avaient été évalués à 10 MF en 1996 par la Société d’expertise COLLOME FRERES ;

Qu’il est établi, au travers de la procédure pénale et des attestations versées aux débats, que M. X… (il est à cette date âgé de 80 ans et décèdera le 12/ 08/ 2006), homme d’honneur et qui avait une confiance totale en Maître Z…, sera convaincu par ses avocats de la nécessité de mettre en vente les immeubles de JARRY ; que c’est dans ces conditions qu’il écrivait le 1er octobre 1999 à l’Agence A…, agent immobilier, à fin de proposer les locaux de Jarry à la vente au prix de 10° Millions de Francs, frais d’agence inclus, avec un prix plancher de 8, 40 Millions de Francs, voulant, comme homme d’honneur, honorer ses dettes ;

Que les événements vont alors s’enchaîner avec une extrême rapidité, rendant impossible tout retour en arrière pour la SA X…, le cabinet d’avocat Z… Y… rédigeant et proposant à la signature l’ensemble des actes, que ce soit du côté de ses clients ou de l’acheteur ;

Qu’en effet :

– dès le 25/ 10/ 1999, soit 3 semaines après le courrier de M. Emmanuel X… à l’agence A…, un projet de PV du conseil d’administration, établi par le cabinet Z… donnait tous pouvoirs à son Président Emmanuel X… pour vendre les immeubles de JARRY au prix de 6 150 000 Francs,

-8 jours plus tard, soit le 3 novembre 2009, le PV définitif du conseil d’administration, toujours rédigé par le cabinet Z…, sera effectivement signé et donnait pouvoir à son Président pour vendre sur la base, non plus de 6 150 000, mais de 6 000 000 Francs,

– le même jour, soit le 3/ 11/ 1999, la promesse de vente, encore rédigée par le cabinet Z…, entre la SA X…, représentée par M. Emmanuel X…, avec un certain Frédéric B… (ami de Maîtres Z… et Y… et présenté par ces derniers), ou toute personne physique ou morale qu’il substituerait, était signé, pour le prix de 6 000 000 de Francs, payable à hauteur de 450 000 F lors de la signature des présentes et le solde soit 5 500 000 Fs au comptant à l’acte notarié ;

Que cet acte précisait qu’en cas de refus de réaliser la vente, la SA Etablissements Emmanuel X… devrait, à titre d’indemnité, la somme de 450 000 F, ce qui représentait approximativement le montant des impayés bancaires de la SA X… et rendait donc impossible toute rétractation de cette dernière ;

Que parallèlement, soit 7 jours plus tard, le 10 décembre 1999, la SCI LA SOURCE sera créée avec comme associé Monsieur B… et son amie Mademoiselle E…; que cette SCI était indiquée comme gérée par Monsieur B…, chacun des deux associés possédant 50 parts sociales ;

Qu’avant même que l’acte de vente authentique ne soit passé devant notaire, Maître Z… n’hésitait pas, de façon occulte, vis-à-vis de ses clients, la X…, toujours en rédigeant elle-même les actes :

– le 22 mars 2000, à se faire désigner comme co-gérante de la SCI LA SOURCE, suivant assemblée générale ordinaire, cette même assemblée autorisant M. B… ou Madame Z… Annick à procéder pour le compte de la SCI LA SOURCE à l’acquisition, par crédit-bail, d’un local commercial sis à Jarry Rue de la Source, selon la promesse du 3 Novembre 2011,

– le lendemain, soit le 23 Mars 2000, à racheter 90 parts sociales, soit 45 à M. B…, 45 à son amie Melle E…, devenant ainsi porteur de 90 % des parts de cette SCI LA SOURCE ;

Que, lors de la signature de l’acte authentique de vente, soit le 20/ 06/ 2000, en l’étude de Maître F…, entre la SA X… et la Sté FRUCTICOMI, Maître Z… était déjà, non seulement gérante de la SCI LA SOURCE mais également propriétaire de 90 % des parts de cette SCI ;

Que la SA X… et ses dirigeants ne pouvaient donc se rendre compte qu’au travers de ce montage juridique, c’est leur Avocat Maître Z… détentrice de 90 % des parts et gérante de la SCI LA SOURCE, qui achetait l’immeuble de Jarry leur appartenant puisque, seul dans l’acte authentique apparaissait comme acquéreur la Sté FRUCTICOMI ; que les défendeurs ne contestent toutefois pas que c’est bien la SCI LA SOURCE qui, par acte séparé concomitant achetait ledit immeuble via un crédit-bail, même si cet acte n’est pas en possession de la présente juridiction ;

Que ce n’est que le 12/ 06/ 2006, soit plus de 6 ans plus tard, que via le greffe du Tribunal de commerce de Basse-Terre, la famille X… découvrira l’ensemble de ce stratagème lors du transfert du siège de la SCI LA SOURCE des Abymes, au domicile de Mme Z…, à ST MARTIN ;

Qu’au vu de ces éléments, il ressort que Maître Z… et son conjoint Maître Y…, alors qu’ils étaient avocats attitrés de la SA X… et avaient toute la confiance depuis des années de cette société et de ses dirigeants, ont acculé ces derniers, de façon particulièrement précipitée, à cette vente, à un prix bien inférieur au prix réel, sans aucunement faire jouer la concurrence, ni proposer d’autre solution, comme tenter la vente d’autres biens telle une maison d’habitation sise à Dampierre-Gosier, violant délibérément leur obligation de conseil vis-à-vis de leurs clients ;

Que non seulement les défendeurs ont violé leur obligation de conseil, qu’ils n’ont pas hésité à rédiger tous les actes que ce soit pour le vendeur ou l’acquéreur, sans se soucier des conflits d’intérêts, mais que de surcroît et surtout, ils n’ont pas hésité, de façon occulte vis-à-vis de leurs clients à présenter un client « homme de paille » qui était leur ami, et à procéder à un montage juridique illicite, en étant à la fois l’avocat du vendeur et de l’acheteur et, enfin et surtout, en permettant à Maître Z…, avocat de la SA X…, de se porter elle-même acquéreur des biens de ses clients, au travers d’une SCI dont elle était gérante et associé majoritaire, ce que déontologiquement elle n’avait pas le droit de faire ;

Qu’une telle attitude est non seulement contraire à la plus élémentaire probité, qu’elle viole toutes les règles déontologiques ci-dessus rappelées, mais est de surcroît constitutive de fautes lourdes commises de concert par les deux avocats, l’un jouant le rôle de conseil, Maître Y…, ancien agent immobilier, et Maître Z… de rédacteur d’actes, ces deux avocats, mari et femme, alliant leur malignité pour spolier leur client ;

Que ce faisant, les défendeurs ont agi comme des prédateurs vis-à-vis de leur client, une telle attitude entraînant pour ce dernier, un préjudice certain et important eu égard au montant des sommes en jeu, et alors que comme l’indiquent justement les demandeurs, le mécanisme juridique mis en place aurait pu l’être à leur profit ;

Que Madame Z… et Monsieur Y… seront donc condamnés conjointement et solidairement à indemniser la SA X… du grave préjudice découlant des lourdes fautes commises dans l’exercice de leur profession ;

Sur le préjudice :

Sur le préjudice moral :

Que l’accumulation des fautes professionnelles lourdes commises par les défendeurs est particulièrement grave et choquante ; qu’elle procède d’un esprit de lucre et de malversation, déjà souligné par la Cour d’appel de Paris ; qu’il eût été fort intéressant de connaître le montant des honoraires réclamés par eux pour cette transaction ¿ ;

Qu’au vu de l’ensemble des fautes commises et des éléments de faits sus-indiqués, la présente juridiction dispose d’éléments permettant de fixer à 100 000 euros le montant du préjudice moral subi ;

Sur le préjudice matériel :

Que les malversations commises par les défendeurs au détriment de la SA X… et à leur bénéfice, ont fait vendre par la SA X… à 6 Millions de francs, un immeuble que M. Y… estimait lui-même à une valeur de 12 Millions de francs ; que la précipitation dans laquelle s’est faite cette transaction, au travers du montage juridique ci-dessus évoqué, au profit des propres avocats de la SA X…, confirme que cette vente a été faite à vil prix et que la SA X… a perdu, le jour de la vente, une somme de 6 Millions de Francs ;

Que le montant des intérêts, sur 11 ans, calculé de cette somme indexée sur la base moyenne de 3, 50 % (base moyenne d’un placement de bon père de famille) s’élève à 2 305 403, 22 Francs, ce qui porte la somme réévaluée à la somme de 8 300 000 Frs, soit 1 265 237 euros ; que cette somme correspond au montant du préjudice matériel subi par la SA X… ;

Que les défendeurs seront donc condamnés conjointement et solidairement au paiement de cette somme dans les termes du dispositif ci-après ;

Que cette somme dédommage la SA X… de son préjudice matériel ; quelle sera déboutée de ses autres chefs de demande » ;

1/ ALORS QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; qu’en l’espèce, pour décider que Maîtres Z… et Y… auraient commis des fautes ayant causé à la société X… un dommage matériel et moral, le jugement a retenu que « les deux avocats, l’un jouant le rôle de conseil, Maître Y…, ancien agent immobilier, et Maître Z… de rédacteur d’actes, ces deux avocats, mari et femme, alliant leur malignité pour spolier leur client ; que ce faisant les défendeurs ont agi comme des prédateurs vis-à-vis de leur client » (jugement, p. 12, alinéas 2 et 3) ; qu’il a encore retenu que « l’accumulation des fautes professionnelles lourdes commises par les défendeurs est particulièrement grave et choquante ; qu’elle procède d’un esprit de lucre et de malversation, déjà souligné par la Cour d’appel de Paris ; qu’il eût été fort intéressant de connaître le montant des honoraires réclamés par eux pour cette transaction ¿ » (jugement, p. 12, alinéa 5) ; qu’en statuant ainsi, à supposer ces motifs adoptés, en des termes injurieux et manifestement incompatibles avec l’exigence d’impartialité, la Cour d’appel a violé l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;

2/ ALORS QUE pour retenir que les prétendues fautes commises par Maîtres Z… et Y… auraient causé un dommage à la société X…, la Cour d’appel a postulé que le prix de 6 millions de francs auquel a été vendu l’immeuble à la société FRUCTICOMI constituerait un « moindre prix » (arrêt, p. 5, alinéa 2) ; en postulant de la sorte que l’immeuble aurait pu être vendu à un prix supérieur, sans aucunement répondre aux conclusions des exposants qui démontraient longuement que ce prix était « réel et sérieux » et correspondait aux contraintes concrètes du marché (conclusions, p. 6 à 10), la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

3/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QUE seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ; qu’en l’espèce, pour allouer à la société X… une somme de 700 000 ¿ en réparation de son prétendu préjudice matériel, la Cour d’appel a retenu que devaient être indemnisées « la perte d’une chance de vendre l’immeuble à un prix supérieur sans précipitation et manipulation, et, en cas de passation de crédit-bail, la perte de chance de conserver l’immeuble dans le patrimoine de la société et de percevoir des fruits plus importants à la suite de la division des locaux et de l’augmentation du prix du bail y afférents » (arrêt, p. 5, alinéa 3) ; qu’elle a ainsi alloué une indemnité compensant tout à la fois la chance perdue de vendre l’immeuble à un meilleur prix, et celle de le conserver pour en tirer des revenus supérieurs ; qu’en statuant ainsi, cependant que ces chances perdues, même à admettre leur existence, étaient incompatibles entre elles et ne pouvaient donc être cumulées, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:C101120


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