Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l’article L. 533-4 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l’article 1147 du code civil ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, le banquier qui fait souscrire à ses clients un investissement, est tenu de s’enquérir de leur situation financière, de leur expérience en matière d’investissement ainsi que de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés, en tenant compte de leur compétence professionnelle en matière de services d’investissement, et de leur fournir une information adaptée en fonction de cette évaluation ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 25 janvier 2006, les époux X… ont adhéré, pour une durée de huit années, à un contrat collectif d’assurance sur la vie souscrit par la Banque CIAL, devenue Banque CIC Est (la banque), auprès de la société Assurances du crédit mutuel en versant une prime initiale, que le contrat précisait comme choix des supports la formule « Sécurité – profil sécurité TE 75/25 », soit un actif sécurisé de 150 000 euros représentant 75 % de la prime, le surplus étant distribué entre 12 % d’actions CIC France et 13 % d’actions CM France, qu’ayant constaté une dévalorisation du capital par eux investi, ils ont signé avec la banque, le 27 février 2009, une demande d’arbitrage faisant mention d’un actif sécurité à 100 %, que, soutenant que la banque avait engagé sa responsabilité contractuelle pour avoir manqué à ses devoirs d’information et de mise en garde relativement aux opérations d’investissement, ils l’ont assignée en responsabilité et en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que, pour rejeter leurs demandes, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que des fonctions des époux X… dans la société Hydrovolt, il se déduit qu’ils n’étaient pas des investisseurs incultes ou avertis mais, en tout cas, des investisseurs avisés et intelligents, que leurs activités ne traduisaient pas nécessairement des compétences en matière de services d’investissement et ne caractérisaient pas une compétence professionnelle en la matière, la société Hydrovolt ayant pour objet la production d’électricité, domaine de compétence tout à fait distinct, mais que, pour autant, le destinataire de l’information et de la mise en garde à délivrer ne doit pas être considéré comme un incapable, complètement ignare, mais comme étant avisé et intelligent ;
Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la banque avait procédé, lors de la conclusion du contrat, à l’évaluation de la situation financière des époux X…, de leur expérience en matière d’investissement et de leurs objectifs en ce qui concernait leur adhésion au contrat litigieux, et qu’elle leur avait fourni une information adaptée en fonction de cette évaluation, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nancy ;
Condamne la société Banque CIC Est aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Banque CIC Est ; la condamne à verser aux époux X… la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour les époux X…
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté les époux X… de leur demande tendant à voir condamner la BANQUE CIC EST à leur payer la somme de 42.351,05 euros ;
Aux motifs propres que « le premier juge reproduit in extenso l’article L533-4 du Code monétaire et financier dans sa version applicable au moment de l’adhésion ; qu’il en a à juste titre déduit, au regard des fonctions des époux X… dans la société HYDROVOLT, que ceux-ci n’étaient pas des investisseurs incultes ou avertis mais en tout cas des investisseurs avisés et intelligents ; que par ailleurs, il appartient à la cour de rechercher si les caractéristiques essentielles du contrat et des divers supports financiers proposés figurent dans les dispositions générales valant note d’information remises aux époux lors de la souscription du contrat (Cass. com. 09.12.2010) ; que si, à juste titre, la banque intimée souligne que la comparaison avec la banque Boursorama, qui est une banque en ligne sans contact physique avec ses clients, ne saurait être retenue, les époux X… ne contestant nullement au contraire avoir été reçus par la directrice d’agence, il résulte de la lecture des pièces dont le premier juge a fait une parfaite lecture que les conditions générales définissent les différents termes employés, et notamment le terme OPCVM, mais aussi la formule profile sécurité 75/25, dans un langage clair et compréhensible pour un investisseur non professionnel, d’autant qu’elle définit également la formule profil sécurité 100, permettant ainsi une comparaison aisée entre les deux formules ; que, de même, le premier juge a souligné qu’en page 3 des conditions générales, sous l’article 12, il était spécifié que l’engagement ne portait que sur le nombre de parts et non sur leur valeur et que les valeurs liquidatives des parts évoluaient à la hausse ou à la baisse selon les mouvements des marchés financiers ; que sur ce point, les appelants sont malvenus de considérer qu’ils ne savent pas à quoi correspondent les parts, alors que le contrat est un contrat « multisupports », qu’il indique que le terme part signifie unité de compte et que les placements proposés par l’assureur dans le cadre du plan Assur Horizons peuvent être un OPCVM libellé en parts ou un actif de l’assureur libellé en euros ; que comme le relevait à juste titre le premier juge, la demande d’adhésion, signée et donc approuvée en ses mentions, indique clairement que l’adhérent a reçu et pris connaissance d’un spécimen des conditions générales valant note d’information, que le choix du support y est précisé avec répartition en pourcentage de la prime entre les divers supports, étant précisé que, et sans renverser la charge de la preuve, M. et Mme X… ne justifient nullement de ce qu’ils souhaitaient effectuer un placement 200% sécurité ni ne prouvent qu’ils aient été trompés sur la formule choisie en raison des mentions expresses figurant sur la demande d’adhésion ; qu’enfin, le premier juge a relevé à juste titre que le terme de l’adhésion ayant été fixé au départ à huit ans, suite à l’arbitrage intervenu en février 2009 à la demande expresse des époux X…, soit bien avant l’échéance du contrat, les objectifs du placement ne pouvaient plus être les mêmes ; qu’en conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a estimé que les appelants ne démontraient pas la preuve d’un manquement imputable à la banque ; que, subsidiairement, avec raison, le premier juge a souligné que les époux X… ne rapportaient pas la preuve de ce qu’ils subissaient un préjudice en lien direct et certain avec les griefs allégués à l’encontre de la banque et que, tout au plus, en cas de manquements non avérés en l’espèce ils auraient subi une perte de chance » (arrêt attaqué, p. 5-6) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « Monsieur et Madame X… agissent à l’encontre de la banque CIC EST, venant aux droits de la Banque CIAL motif pris qu’elle aurait engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard, d’une part, sur le fondement des articles 1147 du Code civil et L.533-l et suivants du Code monétaire et financier pour manquement aux devoirs d’information et de mise en garde relativement aux opérations d’investissement, et d’autre part, sur le fondement des articles L.132-l et suivants du Code des assurances pour manquement à l’obligation d’information propre aux opérations d’assurance vie ; qu’ils soutiennent avoir subi un préjudice financier du fait des manquements susmentionnés ; qu’il est établi par les pièces versées aux débats que Monsieur et Madame X… sont clients de l’agence CIAL devenue CIC EST et que, le 25 janvier 2006, Monsieur Jean-Louis X… a adhéré à un contrat collectif d’assurance sur la vie souscrit par la banque CIAL auprès de la S.A. Assurances du Crédit Mutuel, en versant une prime initiale de 200.000 ¿ ; que Madame Astrid Y… épouse X… a signé le même jour, le 25 janvier 2006, une demande d’adhésion conjointe avec dénouement du contrat au deuxième décès ; que s’agissant du manquement à l’obligation d’information propre aux opérations d’ assurance-vie, Monsieur et Madame X… soutiennent que le CIAL n’aurait pas respecté les dispositions du Code des assurances comme ne leur ayant pas remis une note d’information distincte des conditions générales, de sorte que, l’information n’étant pas régulière, elle ne serait pas valable et ne pourrait être retenue pour établir qu’il aurait été satisfait à l’obligation afférente ; que ce débat est cependant sans emport en ce que les dispositions invoquées s’appliquent à la Compagnie d’assurance et non au souscripteur du contrat, à savoir la banque qui propose ensuite à ses clients d’y adhérer ; que c’est sur la Compagnie d’assurance, en l’occurrence la S.A. Assurances du Crédit Mutuel, que pèse l’obligation d’information résultant des articles L.132-l et suivants du Code des assurances ; que les griefs formulés de ce chef sont donc mal dirigés en ce qu’ils ne le sont pas à l’égard du débiteur de l’obligation ; que la banque CIC EST n’a en conséquence pas pu engager sa responsabilité pour manquement à une obligation qui ne pesait pas sur elle ; que s’agissant du manquement aux devoirs d’information et de mise en garde relativement aux opérations d’investissement, l’article L533-4 du Code monétaire et financier, dans sa version applicable au moment de l’adhésion, disposait que « Les prestataires de services d’investissement et les personnes mentionnées à l’article L. 421-8 ainsi que les personnes mentionnées à l’article L. 214-83-1, sont tenus de respecter des règles de bonne conduite destinées à garantir la protection des investisseurs et la régularité des opérations. Ces règles sont établies par l’Autorité des marchés financiers. Elles portent, le cas échéant, sur les services connexes que ces prestataires sont susceptibles de fournir. Elles obligent notamment à : 1. Se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de leurs clients et de l’intégrité du marché ; 2. Exercer leur activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent, au mieux des intérêts de leurs clients et de l’intégrité du marché ; 3. Etre doté des ressources et des procédures nécessaires pour mener à bien leurs activités et mettre en oeuvre ces ressources et procédures avec un souci d’efficacité ; 4. S’enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d’investissement et de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés ; 5. Communiquer, d’une manière appropriée, les informations utiles dans le cadre des négociations avec leurs clients ; 6. S’efforcer d’éviter les conflits d’intérêts et, lorsque ces derniers ne peuvent être évités, veiller à ce que leurs clients soient traités équitablement ; 7. Se conformer à toutes les réglementations applicables à l’exercice de leurs activités de manière à promouvoir au mieux les intérêts de leurs clients et l’intégrité du marché ; 8. Pour les sociétés de gestion de portefeuille, exercer les droits attachés aux titres détenus par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières qu’elles gèrent, dans l’intérêt exclusif des actionnaires ou des porteurs de parts de ces organismes de placement collectif en valeurs mobilières et rendre compte de leurs pratiques en matière d’exercice des droits de vote dans des conditions fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers. En particulier, lorsqu’elles n’exercent pas ces droits de vote, elles expliquent leurs motifs aux porteurs de parts ou actionnaires des organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Les règles énoncées au présent article doivent être appliquées en tenant compte de la compétence professionnelle, en matière de services d’investissement, de la personne à laquelle le service d’investissement est rendu » ; que la défenderesse fait valoir, et justifie, que Monsieur X… était actionnaire et dirigeant social d’une société anonyme dont il a ensuite transféré le capital à son fils tout en restant président du conseil d’administration, et que Madame X… était quant à elle administratrice de cette même société, pour soutenir qu’ils n’étaient nullement ignorants, profanes ; que, toutefois, ces activités ne traduisent pas nécessairement l’existence de compétences en matière de services d’investissement, et en tout état de cause elles ne caractérisent pas une compétence professionnelle en la matière, la société dont il s’agit ayant pour activité la production d’électricité ; que le domaine de compétence est tout à fait distinct de sorte qu’il ne saurait valablement être soutenu que Monsieur et Madame X… avaient des connaissances en matière d’investissements ; que pour autant, le destinataire de l’information et de la mise en garde à délivrer ne doit pas être considéré comme un incapable, complètement ignare, mais comme étant avisé et intelligent ; qu’en l’espèce, Monsieur et Madame X… reprochent à la banque d’avoir méconnu leur demande de souscrire un placement sécurité, de ne pas avoir respecté leur objectif d’investissement ; qu’ils prétendent ne pas avoir été mis en garde de ce qu’ils pouvaient perdre leur capital et ne pas avoir été informés de ce qu’ils se portaient acquéreurs de parts ; que, cependant, la demande d’adhésion, signée et donc approuvée en ses mentions, indique clairement que l’adhérent a reçu et pris connaissance d’un spécimen des conditions générales valant note d’information ; qu’en outre, sous l’intitulé du contrat, il est précisé qu’il s’agit d’un contrat collectif d’assurance sur la vie « multisupports », et, dans la rubrique relative à l’adhésion, il est expressément indiqué que les primes sont converties en parts sur la base de règles indiquées dans les conditions générales ; qu’il est également fait référence dans cette même rubrique aux OPCVM et à leur cotation ; qu’en page 6 des conditions générales figurent les définitions de différents termes employés et notamment des OPCVM ; que, de même, il est mentionné sur la demande d’adhésion, dans la partie relative au choix des supports, qu’il a été opté pour la formule sécurité, profil sécurité 75/25, avec le détail correspondant à cette option relativement à la somme placée, à savoir 150.000 ¿ (75%) en actif sécurité et 12 et 13 %, soit un total de 25% en CIC France et CM France Actions ; qu’en page 7 des conditions générales, la dite formule profil sécurité 75/25 est clairement explicitée, de même que la formule profil sécurité 100 ce qui permet une comparaison facile, et l’information est donnée dans un langage clair, compréhensible pour un investisseur non professionnel : qu’en page 3 des conditions générales, sous l’article 12, il est spécifié que l’engagement ne porte que sur le nombre de parts et non sur leur valeur, et que les valeurs liquidatives des parts évoluent à la hausse ou à la baisse selon les mouvements des marchés financiers ; que Monsieur et Madame X…, qui ont accepté les termes du contrat, ne justifient nullement de ce qu’ils souhaitaient effectuer un placement 100% sécurité, et en tout état de cause ils ne peuvent valablement prétendre s’être mépris sur la formule choisie en raison des mentions expresses figurant sur la demande même d’adhésion, et ne pas avoir été mis en garde sur la nature du placement choisi en ce qu’ils ont disposé d’une information préalable claire, facilement compréhensible et complète sur celui-ci ; qu’enfin, il convient de relever que le terme de l’adhésion avait été fixé par l’adhérent à 8 ans et que, à la demande expresse de Monsieur et Madame X…, la banque CIC EST a conclu avec eux un arbitrage en février 2009, soit bien avant l’échéance du contrat ; que les objectifs d’un placement se calculent en fonction de sa durée, le résultat annoncé devant être atteint au terme du délai contractuellement fixé ; que, par suite, Monsieur et Madame X… ne démontrent pas que, s’ils avaient attendu l’échéance normale du contrat, ils auraient subi des pertes ; qu’ainsi, Monsieur et Madame X… ne rapportent pas la preuve d’un manquement imputable à la banque, mais ils ne justifient pas non plus l’existence d’un préjudice subi en lien direct et certain avec les griefs allégués ; que, tout au plus, en cas de manquement avéré, auraient-ils subi une perte de chance » (jugement entrepris, p. 2-4) ;
1°) Alors que les établissements financiers sont tenus de s’enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d’investissement et de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés ; qu’au cas présent, pour débouter les époux X… de leur demande fondée sur le manquement de la banque à son obligation de s’enquérir de la situation financière de ses clients, de leur expérience et de leurs objectifs en ce qui concerne les service demandés, l’arrêt retient que la banque a correctement informé les époux X… des caractéristiques de leur investissement ; qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que la banque avait procédé, lors de la conclusion du contrat, à l’évaluation de la situation financière des époux X…, de leur expérience en matière d’investissement et de leurs objectifs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 533-4 du Code monétaire et financier dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l’article 1147 du Code civil ;
2°) Alors que celui qui est tenu de l’exécution d’une obligation particulière d’information ou de renseignement doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ; que pour débouter les époux X… de leur demande fondée sur le manquement de la banque à son obligation de s’enquérir de la situation financière de ses clients, de leur expérience et de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés, l’arrêt retient que les époux X… ne justifient nullement qu’ils souhaitaient effectuer un placement 100% sécurité (arrêt attaqué, p. 5, in fine) ; qu’en statuant ainsi, cependant qu’il appartenait à la banque de prouver qu’elle s’était acquittée de son obligation d’information, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du Code civil ;
3°) Alors que la perte de chance constitue un préjudice réparable ; qu’au cas présent, en considérant que les époux X… ne rapporteraient pas la preuve d’un préjudice subi en lien direct et certain avec les griefs allégués, dans la mesure où « tout au plus, en cas de manquement avéré, ils auraient subi une perte de chance » (jugement entrepris, p. 4, in fine, et arrêt attaqué, p. 6, § 3), la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil.
ECLI:FR:CCASS:2013:C100915