Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 11 octobre 2017, 16-25.259, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 11 octobre 2017, 16-25.259, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 25 octobre 2016), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 7 octobre 2015, pourvoi n° 14-16.898), que la société eBizcuss.com (eBizcuss) s’est vue reconnaître la qualité de revendeur agréé pour les produits de la marque Apple par contrat conclu le 10 octobre 2002 avec la société Apple Sales International, contenant une clause attributive de compétence au profit des juridictions irlandaises ; qu’invoquant des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale commis à partir de l’année 2009 par les sociétés irlandaise Apple Sales International, américaine Apple Inc. et française Apple retail France, la société eBizcuss, désormais représentée par la société MJA, en qualité de mandataire liquidateur, les a assignées en réparation de son préjudice devant le tribunal de commerce, sur le fondement des articles 1382, devenu 1240 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; que l’arrêt ayant accueilli l’exception d’incompétence soulevée par la société Apple Sales International a été cassé, au visa de l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, une clause attributive de juridiction pouvant être prise en compte à la condition qu’elle se réfère aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence, alors que la clause litigieuse ne se référait pas à des pratiques anticoncurrentielles ;

Attendu que les sociétés Apple Sales International, Apple Inc. et Apple retail France font grief à l’arrêt de déclarer la juridiction française compétente, alors, selon le moyen :

1°/ qu’une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce qui limite la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue ; qu’il s’en déduit qu’une clause attributive de juridiction se référant de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels a vocation à s’appliquer à tous les litiges qui trouvent leur origine dans la relation contractuelle, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle ; qu’en revanche, les différends étrangers à la relation contractuelle ne peuvent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence que s’ils sont expressément mentionnés dans la clause attributive de juridiction ; qu’en énonçant, pour refuser de donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss, que les demandes de la société eBizcuss fondées sur la violation des règles de concurrence en matière d’abus de position dominante avaient un fondement délictuel et que la clause attributive de juridiction ne prévoyait pas expressément son application en matière d’abus de position dominante, bien que les faits d’abus de position dominante invoqués par la société eBizcuss trouvent leur origine dans les rapports contractuels avec la société Apple Sales International, la cour d’appel a violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

2°/ qu’une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce qui limite la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue ; qu’il s’en déduit qu’une clause attributive de juridiction se référant de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels a vocation à s’appliquer à tous les litiges qui trouvent leur origine dans la relation contractuelle, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle ; qu’en revanche, les différends étrangers à la relation contractuelle ne peuvent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence que s’ils sont expressément mentionnés dans la clause attributive de juridiction ; qu’en énonçant, pour refuser de donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss, que les demandes de la société eBizcuss fondées sur la concurrence déloyale avaient un fondement délictuel et que la clause attributive de juridiction ne prévoyait pas expressément son application en matière de concurrence déloyale, bien que les faits de concurrence déloyale invoqués par la société eBizcuss trouvent leur origine dans le rapport contractuel avec la société Apple Sales International, la cour d’appel a de nouveau violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

3°/ qu’une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce qui limite la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue ; qu’il s’en déduit qu’une clause attributive de juridiction se référant de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels a vocation à s’appliquer à tous les litiges qui trouvent leur origine dans la relation contractuelle, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle ; qu’en revanche, les différends étrangers à la relation contractuelle ne peuvent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence que s’ils sont expressément mentionnés dans la clause attributive de juridiction ; qu’en énonçant, pour refuser de donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss, que les demandes de la société eBizcuss avaient un fondement délictuel et que la clause attributive de juridiction n’énumérait pas précisément les litiges de nature délictuelle pouvant surgir entre les parties, bien que les fautes invoquées par la société eBizcuss trouvent leur origine dans le rapport contractuel avec la société Apple Sales International, la cour d’appel a de nouveau violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

4°/ qu’une clause attributive de juridiction a vocation à s’appliquer à tous les différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé ; que la formation et l’exécution du contrat peuvent donner naissance à des litiges de nature délictuelle, qui sont prévisibles pour les cocontractants et doivent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence ; qu’en affirmant, pour refuser de donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss, que, dans un souci de prévisibilité, une clause se réfèrant de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels ne pouvait s’appliquer aux litiges de nature délictuelle trouvant leur source dans le rapport contractuel qu’à la condition d’y être expressément énumérés, la cour d’appel a violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

5°/ qu’en énonçant, pour affirmer que le litige résultant d’un abus de position dominante du cocontractant ne saurait être rattaché à l’exécution du contrat, qu’il ne peut résulter d’une exécution loyale du rapport de droit, la cour d’appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

6°/ qu’une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce qui limite la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue ; qu’il s’en déduit qu’une clause attributive de juridiction se référant de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels a vocation à s’appliquer à tous les litiges qui trouvent leur origine dans la relation contractuelle, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle ; qu’en revanche, les différends étrangers à la relation contractuelle ne peuvent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence que s’ils sont expressément mentionnés dans la clause attributive de juridiction ; qu’il s’en déduit que l’action en responsabilité délictuelle fondée sur une violation des règles de concurrence trouvant sa source dans la relation contractuelle a vocation à bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence, à l’inverse de l’action tendant à la réparation du préjudice résultant d’une infraction au droit de la concurrence constatée par l’autorité de concurrence, européenne ou nationale (action dite de « follow-on ») ; qu’en refusant de donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss, bien qu’aucune infraction au droit de la concurrence n’ait été constatée par une autorité de concurrence, européenne ou nationale, la cour d’appel a violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

7°/ que la société eBizcuss invoquait, au soutien de son action, des faits de concurrence déloyale, d’abus de position dominante et d’abus de dépendance économique ; qu’en se bornant à énoncer, pour refuser de donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss, qu’elle ne prévoyait pas expressément son application en matière d’abus de position dominante et de concurrence déloyale, sans rechercher si elle ne devait pas s’appliquer aux faits allégués d’abus de dépendance économique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu qu’aux termes de l’article 23, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles I, si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents et cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ;

Attendu que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 21 mai 2015, Cartel Damage Claims c. Akzo Nobel NV et a., aff. C-352/13) a dit pour droit que l’article 23 précité doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans le cas où des dommages-intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, dudit règlement, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence ;

Attendu que la Cour a précisé, d’une part, que la portée d’une convention attributive de juridiction est limitée aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue, afin d’éviter qu’une partie ne soit surprise par l’attribution à un for déterminé de l’ensemble des différends qui surgiraient dans les rapports qu’elle entretient avec son cocontractant et qui trouveraient leur origine dans des rapports autres que celui à l’occasion duquel l’attribution de juridiction a été convenue, d’autre part, qu’une clause qui se réfère de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels ne couvre pas un différend relatif à la responsabilité délictuelle qu’un cocontractant a prétendument encourue du fait de son comportement conforme à une entente illicite ;

Attendu que se pose la question de savoir si, à défaut de les viser spécialement, une clause d’élection de for doit être écartée en cas d’actions autonomes au sens du droit de la concurrence, notamment lorsqu’aucune infraction au droit de la concurrence n’a été préalablement constatée par une autorité nationale ou européenne ;

Attendu qu’en effet, par arrêt du 7 octobre 2015, rendu dans un litige relatif à une allégation d’abus de position dominante au regard du droit de l’Union, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, qu’une clause attributive de juridiction ne peut être prise en compte qu’à la condition qu’elle se réfère aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence ;

Attendu, cependant, que, par un arrêt du 16 février 2016, postérieur à ceux de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, la Cour suprême du Portugal (Supremo Tribunal de Justiça, Interlog et Taboada c. Apple) a jugé que la clause attributive de juridiction rédigée en termes généraux, s’applique aux parties, dans un litige relatif à une même allégation d’abus de position dominante au regard du droit de l’Union ;

Attendu que l’application du droit de l’Union européenne imposant son interprétation unifiée dans tous les Etats membres, il y a lieu de surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée ;

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1. L’article 23 du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au juge national saisi d’une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l’encontre de son fournisseur sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de faire application d’une clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat liant les parties ?

2. En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 23 du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au juge national, saisi d’une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l’encontre de son fournisseur sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de faire application d’une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties, y compris dans le cas où ladite clause ne se référerait pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence ?

3. L’article 23 du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au juge national, saisi d’une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l’encontre de son fournisseur sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’écarter une clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat liant les parties dans le cas où aucune infraction au droit de la concurrence n’a été constatée par une autorité nationale ou européenne ?

Sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Réserve les dépens ;

Dit qu’une expédition du présent arrêt, ainsi qu’un dossier comprenant notamment le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Wallon, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille dix-sept.

ECLI:FR:CCASS:2017:C101065


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