Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Fournitures et matériels de déménagement (FMD), dont le siège social est 73, …,
en cassation d’un arrêt rendu le 4 avril 1997 par la cour d’appel de Paris (18e chambre, section E), au profit de Mme Claude Y…, demeurant …,
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l’audience publique du 26 mai 1999, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Lebée, conseiller référendaire rapporteur, M. Bouret, conseiller, Mme Andrich, MM. Rouquayrol de Boisse, Funck-Brentano, Leblanc, conseillers référendaires, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Lebée, conseiller référendaire, les observations de Me Thouin-Palat, avocat de la société Fournitures et matériels de déménagement (FMD), de Me Hemery, avocat de Mme Y…, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Mme Y…, engagée le 14 mai 1973 par la société FMD en qualité de comptable, devenue en dernier lieu directeur administratif et comptable, s’est vue confier le 24 mars 1993 tous pouvoirs pour examiner la comptabilité de la filiale belge de la ssociété FMD, puis le 24 juin 1993 le service administratif et comptable de celle-ci ; que le 9 décembre 1993, la société FMD l’a licenciée pour faute lourde ;
qu’elle a été licenciée le 9 décembre 1993 pour faute lourde ;
Sur les deux premiers moyens réunis :
Attendu que l’employeur reproche à l’arrêt attaqué (Paris, 4 avril 1997) d’avoir dit que le licenciement n’était fondé ni sur une faute lourde, ni sur une faute grave, ni même sur une cause réelle et sérieuse, alors, selon les moyens, que, de première part, il ressort des mentions de l’arrêt que Mme Y… a été chargée par le président d’examiner la comptabilité de la FMD Benelux le 24 mars 1993, et qu’elle a déposé un rapport d’audit, le 30 avril 1993, faisant état de manquements dans la tenue de la comptabilité et de pertes importantes pour l’exercice 1992, tandis que Mme X… n’a été nommée administrateur de la société FMD Benelux qu’à la suite du conseil d’administration du 24 juin 1993 ;
que les appréciations défavorables que Mme Y… a portées sur la gestion de cette société concernaient donc une période durant laquelle Mme X… n’était pas encore administrateur ; qu’en refusant, cependant, toute valeur probante à l’attestation de Mme X… au motif que cette dernière, « administrateur » de la société, « ne pouvait être satisfaite de l’appréciation négative » des méthodes de gestion portée par Mme Y…, et que sa relation des propos de l’intéressée « ne pouvait donc être objective », sans expliquer en quoi l’intéressée aurait pu se sentir concernée par les remarques négatives faites par Mme Y… sur la gestion de la société durant la période précédant sa nomination en qualité d’administrateur, et aurait, de ce fait, été par définition partiale à l’égard de la salariée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-9 et L. 223-14 du Code du travail ;
alors que, de deuxième part, Mme Y… avait cru devoir déclarer hors de la réunion de préparation du Conseil d’administration de FMD Benelux, le 19 juin 1993, qu’elle voterait pour le dépôt de bilan immédiat, et les premiers juges avaient relevé que
cette prise de position était « étonnante » de la part d’une personne qui n’était ni administrateur ni même actionnaire de la société ; qu’il ressort des constatations de l’arrêt que l’intéressée n’était alors chargée que d’examiner la comptabilité de la société FMD Benelux, tandis que le président faisait tous ses efforts pour permettre la poursuite de l’activité de cette filiale ; qu’en affirmant, cependant, qu’il n’était pas établi que la salariée aurait outrepassé ses pouvoirs ni cherché à contredire la politique du président, mais qu’elle aurait seulement exprimé un avis « technique » en se prononçant pour le dépôt de bilan, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a ainsi violé les articles L. 122-6, L. 122-9 et L. 223-14 du Code du travail ; alors que, de troisième part, la socité FMD faisait valoir, à titre de preuve de la déloyauté de Mme Y…, le rapport qu’elle avait présenté au conseil d’administration de la société FMD Benelux du 19 octobre 1993, en exposant de manière détaillée en quoi ce rapport était tendancieux et de nature à induire en erreur les administrateurs, aussi bien sur les investissements de la société en matériel informatique que sur la progression du chiffre d’affaires ou le montant des provisions sur stocks et des créances clients, et en affirmant que cette présentation fallacieuse de la situation de la société découlait de sa volonté d’aboutir, contre l’avis du président, à la liquidation de cette filiale ; qu’en se bornant à affirmer que la société FMD n’apportait aucun élément et ne s’appuyait que sur les propos de Mme X…, sans s’expliquer sur la portée de ce rapport du 19 octobre 1993, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-9 et L. 223-14 du Code du travail ; alors que, de quatrième part, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin, après les mesures d’instruction qu’il estime utiles, sans faire supporter la charge de la preuve plus spécialement sur l’une
ou l’autre des parties ; qu’en fondant exclusivement sa décision sur le fait que la société ne démontrerait pas la réalité des griefs invoqués à l’encontre de Mme Y…, et en faisant ainsi exclusivement peser la charge de la preuve sur l’employeur, la cour d’appel a violé l’article L. 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d’appel, sans méconnaître les règles de la preuve, et appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, a retenu que certains des faits reprochés à la salariée n’étaient pas établis et que les autres ne lui étaient pas imputables ; que les moyens, qui, sous couvert des griefs non fondés de manque de base légale et violation de la loi, ne tendent qu’à remettre en cause cette appréciation, ne sauraient être accueillis ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l’employeur fait encore grief à l’arrêt de l’avoir condamné à payer une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts à raison des circonstances abusives de licenciement, alors, selon le moyen, que, de première part, la circonstance que l’employeur ait cru pouvoir qualifier de faute lourde les faits qu’il reprochait au salarié et l’absence de préavis qui est la conséquence de cette appréciation, ne constituent pas un abus du droit de licencier distinct de celui qui est déjà réparé par l’octroi de l’indemnité conventionnelle de licenciement, de l’ndemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu’en condamnant la société FMD à payer une indemnité à Mme Y… pour abus du droit de licencier, sans caractériser de sa part une faute distincte de celle consistant à avoir licencié sans préavis et sans indemnité la salariée dont les juges estiment que la faute lourde n’est pas établie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du Code civil, L. 122-6, L. 122-14-3 et L. 122-9 du Code du travail ; alors, de seconde part, qu’en admettant même que le seul fait d’alléguer une faute lourde non justifiée constitue un abus, la preuve de l’existence et de l’étendue du préjudice en résultant incombe au salarié ;
qu’en condamnant la société FMD à payer à Mme Y… une indemnité de 100 000 francs pour préjudice moral, sans faire état d’aucun élément justifiant de l’importance du préjudice qui résulterait de manière directe et certaine de cette faute distincte, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du Code civil, L. 122-6, L. 122-14-3 et L. 122-9 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d’appel, ayant relevé que la salariée, qui avait donné toute satisfaction pendant vingt ans et s’était vue confier des responsabilités importantes, avait été licenciée brutalement et de façon vexatoire, a caractérisé le comportement fautif de l’employeur, qui cause à la salariée un préjudice distinct de celui résultant du licenciement, préjudice qu’elle a apprécié souverainement ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fournitures et matériels de déménagement aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Fournitures et matériels de déménagement à payer à Mme Y… la somme de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.