Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
I – Sur le pourvoi n° Y 95-45.527 formé par l’association Santé et bien-être, Maison de retraite Saint-Vincent-de-Paul, dont le siège est …, en cassation d’un arrêt rendu le 25 octobre 1995 par la cour d’appel de Dijon (chambre sociale) , au profit Mme Taous X…, demeurant …, défenderesse à la cassation ;
II – Sur le pourvoi n° G 96-40.135 formé par Mme Taous X…, en cassation du même arrêt rendu entre eux ;
LA COUR, en l’audience publique du 11 février 1998, où étaient présents : M. Merlin, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Bourgeot, conseiller référendaire rapporteur, MM. Brissier, Finance, conseillers, M. Richard de la Tour, Mme Duval-Arnould, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Bourgeot, conseiller référendaire, les observations de Me Delvolvé, avocat de l’association Santé et bien-être, Maison de retraite Saint-Vincent-de-Paul, les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° G 96-40.135 et Y 95-45.527 ;
Attendu que Mme X…, engagée le 9 octobre 1978, en qualité de femme de ménage, par l’association Santé et bien-être, Maison de retraite de Saint-Vincent de Paul, a bénéficié les 19 octobre et 9 novembre 1993 d’examens par le médecin du travail qui l’a déclarée inapte à son emploi;
qu’elle a été licenciée le 17 novembre 1993 en raison de son inaptitude physique et de l’impossibilité de son reclassement;
qu’estimant son licenciement abusif, elle a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes en indemnité liées à la rupture de son contrat de travail ;
Sur le pourvoi n° G 96-40.135 de la salariée :
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir déboutée de sa demande en paiement d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que la cour d’appel a entaché son arrêt d’un manque de base légale;
qu’en effet, la cour d’appel a méconnu les dires du directeur tant lors des entretiens non conformes que lors de l’entretien préalable au licenciement;
que ces dires sont confirmés par son écrit au médecin du travail le 20 octobre;
qu’ils concernent l’âge qu’allait atteindre Mme X…;
que la cour d’appel méconnaît le fait que depuis 1987, le médecin du travail déconseillait le travail en hauteur et qu’ascenseur et monte-charge avaient été en panne très souvent;
qu’elle méconnaît aussi le fait que Mme X… n’avait pas été en arrêt de travail pour cause de maladie pendant 21 jours et que la visite médicale du 19 octobre 1993 ne pouvait être qualifiée de visite de reprise puisque la salariée travaillait depuis un arrêt de 78 heures;
que la cour d’appel ne peut privilégier plus les dispositions de l’article R. 241-49 du Code du travail et non celles de l’article R. 241-51 de ce Code puisqu’elle reconnaît que les fiches de visite des 19 octobre et 9 novembre ne sont assorties d’aucun écrit mentionnant le texte en vertu duquel les visites ont eu lieu;
qu’elle méconnaît le fait qu’il était impossible à Mme X… de demander une telle visite vu l’état de ses connaissances;
que la cour d’appel comme l’employeur qu’elle ne devrait pas suivre, qualifie à tort les dernières fiches de visite « d’avis d’inaptitude » alors que le médecin du travail n’a jamais déclaré « inaptitude totale » mais a simplement indiqué des restrictions en ce qui concernait le poste actuel lorsqu’il nécessitait le port de charges à répétition et les montées d’escaliers;
que la cour d’appel ne constate pas la précipitation de la direction de l’établissement alors que la 2e visite médicale est du 9 novembre 1993 et que l’on ne connaît pas la date de réception de la fiche de visite mais que dès le 10 novembre une convocation à l’entretien préalable en vue du licenciement est adressée à Mme X…;
que l’entretien préalable est fixé au 15 novembre et que le 17 novembre une lettre de licenciement à effet immédiat est écrite alors que Mme X… avait travaillé non seulement auparavant mais pendant toute cette procédure et même le 18 novembre;
que c’est encore un fait que la cour d’appel ne prend pas en considération;
qu’il en est de même pour les faits suivants : que la direction n’a ni sollicité lors de la réception de la 2e convocation une réponse à son courrier ni fait connaître au médecin du travail après la 2e visite les motifs qui s’opposaient au reclassement tel que suggéré par le médecin du travail ;
que la cour d’appel ne constate pas que l’employeur n’a pas fait les efforts de reclassement exigés par les textes et a omis d’étudier organigramme et livre des entrées et sorties du personnel alors que les notes remises avaient été explicites à ce sujet;
que la cour d’appel cite la lettre de licenciement mais en partie seulement puisqu’elle invoque le 1er motif à savoir « l’avis d’inaptitude » ce qui est contraire à la réalité;
qu’elle ne prend pas en compte les deux motifs énoncés dans l’alinéa 2 ;
Mais attendu que le moyen qui, sans invoquer la violation d’aucune règle de droit, se borne à remettre en cause l’appréciation des faits par la cour d’appel qui a constaté que l’employeur n’avait pas procédé à une mise en oeuvre hâtive du licenciement et qu’il avait établi l’impossibilité de reclassement de la salariée, ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la salariée fait encore grief à l’arrêt d’avoir statué comme il l’a fait, alors, selon le moyen, que l’article L. 122-14-3 du Code du travail prévoit qu’en cas de litige, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les deux parties;
que si un doute subsiste, il profite au salarié;
que la cour d’appel se contente de constater que les limites du litige sont fixées par les termes de la lettre à savoir le licenciement suite à l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail;
qu’en s’appuyant sur cette énonciation, elle légitime le licenciement alors que le juge ne doit pas limiter sa recherche de l’exactitude et du sérieux de la cause du licenciement à l’analyse des motifs allégués par l’employeur mais qu’il doit également vérifier si le motif prétendument véritable est ou n’est pas réel et sérieux;
que la cause réelle est d’abord une cause objective indépendante de la bonne ou mauvaise humeur de l’employeur et que cela signifiait que le juge se devait non seulement de vérifier que les faits allégués par l’employeur comme cause du licenciement existent mais que les faits allégués par le salarié n’étaient pas la véritable cause du licenciement;
que la salariée avait soutenu que son âge était la cause réelle du licenciement ;
Mais attendu que la cour d’appel ayant constaté que le licenciement avait été prononcé en raison de l’inaptitude de la salariée, dûment constatée par le médecin du travail, a légalement justifié sa décision ;
Sur les troisième, quatrième et cinquième moyens réunis :
Attendu que la salariée fait également grief à l’arrêt d’avoir statué comme il l’a fait, alors, selon les moyens, que les articles R. 241-48, R. 241-49 et R. 241-51 du Code du travail fixent les règles régissant la visite médicale d’embauche, la visite obligatoire annuellement, donnent la possibilité au salarié de solliciter une visite supplémentaire et organisent la reprise de travail après une absence notamment pour maladie d’une durée d’au moins 21 jours;
que la cour d’appel pour légitimer le licenciement décide que seul l’article à prendre en considération est l’article R. 241-49 du Code du travail;
qu’autrement dit elle ferait supporter à Mme X… son initiative et la rendrait responsable d’avoir été déclarée inapte à son poste de travail actuel;
que ces textes ont été créés au profit du salarié;
que, quelle que soit la cause de l’examen médical, le médecin doit proposer éventuellement les adaptations du poste de travail ou l’affectation à d’autres postes;
que l’employeur doit solliciter des précisions, de l’aide ou donner les motifs qui l’empêchent de suivre les instructions du médecin;
que les articles 09-01-2-4 et 09-O2-2-4 de la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif fixent les règles permettant le licenciement des salariés après une longue absence ou des arrêts répétés pour maladie;
qu’ainsi, après une absence d’au moins 6 mois continus ou d’absences répétées dont le total s’élève à 180 jours au cours d’une période de 12 mois et si, à la suite de ces faits, le médecin du travail a constaté l’inaptitude à l’emploi occupé, l’employeur doit reclasser le salarié et pour ce faire avec les conclusions écrites du médecin obtenir l’avis des délégués du personnel et leur aide en vue dudit reclassement;
que la cour d’appel dit que Mme X… ne peut se prévaloir des dispositions de ces articles qui ne concernent que les licenciements liés aux absences pour maladie;
que c’est là une mauvaise interprétation de ces textes que l’on peut par ailleurs assimiler à l’article L. 122-24-4 du Code du travail introduit par la loi du 31 décembre 1992 instituant un véritable droit au reclassement;
que, d’autre part, si ces articles fixent les règles permettant le licenciement, il est bien évident qu’il n’est pas possible de licencier un salarié qui ne répond pas aux conditions établies;
qu’ en outre, estimer qu’ils ne sont pas applicables dans ce cas, ne peut permettre de justifier le licenciement, puisque de toute façon le non-respect de conventions collectives rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse;
qu’enfin l’article L. 241-10-1 du Code du travail fixe le rôle du médecin du travail et les obligations de l’employeur par rapport aux propositions de ce médecin et par rapport à la suite qu’il entend y donner;
que c’est le seul article que la cour d’appel veut bien appliquer mais qu’elle en fait une mauvaise interprétation;
qu’elle estime que l’employeur a rempli les obligations fixées à l’alinéa 2 de cet article en écrivant la lettre du 20 octobre 1993 et qu’il est libéré parce que le médecin du travail n’a pas répondu à ce courrier;
qu’or, hormis l’application de la convention collective, l’employeur avait à sa disposition l’alinéa 3 dudit article;
que de plus le courrier pris en considération n’a pas été renouvelé après la deuxième visite alors que l’employeur doit solliciter des propositions avant de procéder au licenciement;
que l’employeur doit être condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque le caractère hâtif fait apparaître qu’il n’a pas pris en considération les recommandations du médecin du travail ;
Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel qui a constaté que l’examen médical dont a bénéficié la salariée le 19 octobre 1993 ne faisait pas suite à un arrêt de travail pour maladie a pu déduire que cet examen avait été effectué par application de l’article R. 241-49 du Code du travail ;
que contrairement aux énonciations du moyen, elle a exactement décidé que l’employeur était tenu d’une obligation de reclassement du salarié déclaré inapte à la suite de cet examen ;
Attendu ensuite, que la cour d’appel en a exactement déduit que le licenciement prononcé en raison de l’impossibilité de reclassement du salarié déclaré inapte par le médecin du travail ne relevait pas du régime conventionnel concernant les licenciements liés aux absences pour maladie ;
Et attendu qu’appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a constaté que l’employeur qui n’avait pas procédé à une mise en oeuvre hâtive du licenciement, n’avait pas manqué à son obligation de reclassement ;
D’où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le sixième moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de sa demande en paiement de l’indemnité de préavis, alors, selon le moyen, que l’article L. 122-6 du Code du travail fixe un délai appelé délai-congé entre la notification du licenciement et la cessation du contrat de travail;
que la cour d’appel fait une mauvaise interprétation de ce texte et ignore totalement la jurisprudence de la Cour de Cassation en décidant qu’il ressort du dernier avis d’inaptitude émis par le médecin du travail que Mme X… n’était pas en mesure d’exécuter son préavis;
que selon l’article applicable seule une faute grave peut priver le salarié du préavis qu’il soit effectué ou que le salarié en soit dispensé;
que seules les absences dues à la maladie ou par exemple à des intempéries privent le salarié du bénéfice du délai-congé qui ne peut être suspendu c’est à dire prorogé ;
que Mme safi n’étant pas en arrêt pour maladie ne pouvait être privée du bénéfice du préavis, l’employeur ayant pris le risque de ne pas le faire exécuter ;
Mais attendu que la cour d’appel qui a constaté que la salariée n’était pas en mesure d’exécuter son préavis, a exactement décidé qu’elle ne pouvait prétendre au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis ;
que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le septième moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de n’avoir pas prononcé la nullité du jugement rendu par le conseil de prud’hommes alors que ce jugement notifié n’a pas le même bureau de jugement que celui portant le n° 23 dans les pièces adressées à la cour d’appel ;
Mais attendu que le moyen portant sur la composition du conseil de prud’hommes est inopérant ;
Mais sur le pourvoi n° Y 95-45.527 de l’employeur :
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 133-9 du Code du travail et la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, étendue par arrêté du 27 février 1961 ;
Attendu que, pour condamner l’association Santé et bien-être, Maison de retraite Saint-Vincent de Paul à payer à Mme X… une somme à titre de solde d’indemnité conventionnelle de licenciement, l’arrêt énonce qu’il résulte de l’article 01-01-1-1 de la convention collective de 1951, révisée par les avenants du 13 janvier 1988 que cette convention s’applique aux établissements d’hospitalisation, de soins, de cure, de garde et d’assistance privés à but non lucratif compris notamment dans le groupe 85-04 de la nomenclature d’activité, et que l’association Santé et bien-être étant classée sous le numéro de code APE 85-04, elle doit faire bénéficier la salariée des dispositions de l’article 09-02-4 de cette convention relatives à l’indemnité de licenciement ;
Attendu, cependant, que les avenants à la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 postérieurs à l’arrêté d’extension du 27 février 1961 ne sont pas applicables à un établissement n’adhérant pas à l’une des organisations patronales signataires des avenants modificatifs dès lors qu’ils n’ont pas été eux-mêmes étendus;
d’où il suit qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que l’article 09-02-4 de la convention collective résulte d’un avenant modificatif postérieur à l’arrêté d’extension du 27 février 1961, sans rechercher si cet avenant avait été lui-même étendu ou constater que l’employeur appartenait à l’organisation patronale signataire dudit avenant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE mais seulement en celles de ses dispositions ayant condamné l’association Santé et bien-être à payer à Mme X…, avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 1994, une somme à titre de solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement, l’arrêt rendu le 25 octobre 1995, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Besançon ;
Condamne Mme X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de l’association Santé et bien-être, Maison de retraite Saint-Vincent de Paul ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.