Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu que le docteur Evelyne X…, arrière-petite-fille du fondateur de la clinique est entrée au service de la société Etablissement Médical de Meyzieu, devenu Clinique psychiatrique du docteur Y…, le 1er septembre 1970 ; que, le 1er février 1978, un contrat écrit a été conclu entre les parties ; qu’il y était notamment précisé à l’article 1er : « Le présent contrat est consenti et accepté pour une durée de trente années. Il ne pourra y être mis fin avant l’expiration de cette durée, excepté les cas suivants : – radiation du bénéficiaire du tableau de l’ordre. – faute professionnelle lourde du bénéficiaire constatée par le conseil de l’ordre. – maladie supérieure à deux ans. Dans ces trois cas exclusivement, la clinique pourra donc résilier le contrat par anticipation sans indemnité aucune » ; qu’en l’article 4 était fixée la rémunération de ce médecin salarié ; que l’avenant du 24 septembre 1980 à effet du 1er juin 1980 a précisé que Mme X… exerce désormais les fonctions de médecin chef ; que, le 2 juillet 2001, Mme X… a cédé la totalité des actions qu’elle détenait dans la société Majolaine de participation et Clinique psychiatrique du docteur Y… à la société Clinéa ; qu’elle a alors cessé ses fonctions de directeur général, abandonné son statut de médecin chef pour devenir médecin psychiatre à plein temps moyennant une nouvelle rémunération mensuelle ; qu’un avertissement lui a été notifié le 9 avril 2002, puis une mise à pied le 6 mai 2002 ; qu’elle a été licenciée pour faute grave le 23 mai 2002 ; qu’elle a saisi le conseil de prud’hommes de diverses demandes ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Clinéa fait grief à l’arrêt attaqué (Lyon, 25 juin 2005) d’avoir déclaré licite et (à elle) opposable la clause de garantie d’emploi limitant le droit pour l’employeur de résilier le contrat de travail et de l’avoir en conséquence condamnée à payer à Mme X… une somme au titre de la garantie d’emploi outre des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1 / que les jugements doivent être motivés ; qu’en l’espèce, la cour d’appel s’est bornée à affirmer que le contrat signé par Mme X… le 1er février 1978 était un contrat de travail de médecin salarié avec possibilité d’exercice privé et non un contrat d’exercice libéral, avant d’en déduire qu’il avait été transféré à la société Clinéa en application de l’article L. 122-12 du code du travail ; qu’en se déterminant ainsi sans retenir aucune motivation permettant à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la qualification de ce contrat, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;
2 / que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; qu’en déduisant de la seule analyse de certaines clauses du contrat du 1er février 1978 la conclusion qu’il s’agissait d’un contrat de médecin salarié et non d’un contrat d’exercice libéral sans rechercher, comme elle y était invitée par la société Clinéa, si Mme X… qui cumulait les fonctions de médecin chef, directrice générale et actionnaire de la clinique, exerçait en fait son activité de médecin dans un lien de subordination avec la clinique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 121-1 du code du travail ;
3 / que la clinique faisait valoir dans ses conclusions d’appel que le contrat du 1er février 1978 comprenant la clause de garantie d’emploi avait pris fin après la cession de la clinique le 30 juin 2001, Mme X… ayant accepté un nouveau contrat de travail à compter du 1er juillet 2001 ; qu’elle justifiait de l’existence de ce nouveau contrat en produisant l’acte de cession du 2 juillet 2001 dans lequel les parties s’étaient accordées sur les nouvelles conditions de travail de Mme X… ; qu’en se bornant dès lors à énoncer, pour dire la clause de garantie opposable à la société Clinéa, que le contrat du 1er février 1978 s’était poursuivi lors du rachat de la clinique, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les parties n’avaient pas accepté de conclure un nouveau contrat de travail postérieurement à ce rachat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 121-1 et L. 122-12 du code du travail ;
4 / que les juges ne peuvent dénaturer les conventions claires et précises des parties ; qu’en l’espèce, il résultait du contrat de travail du 1er février 1978 de Mme X… que son contrat était conclu pour une durée de trente ans et qu’ »il ne pourra y être mis fin avant l’expiration de cette durée, excepté les cas suivants : radiation du bénéficiaire du tableau de l’ordre – faute professionnelle lourde du bénéficiaire constatée par le conseil de l’ordre – maladie supérieure à deux ans. Dans ces trois cas exclusivement, la clinique pourra donc résilier le contrat par anticipation sans indemnité aucune » ; qu’en énonçant, pour dire cette clause licite, qu’elle n’avait pas pour effet de soumettre le droit de l’employeur de procéder à son licenciement à l’avis du conseil de l’ordre mais seulement de rappeler que la subordination du médecin salarié se limite aux règles administratives, de gestion et d’organisation de service, la cour d’appel a dénaturé les clauses claires et précises du contrat litigieux qui soumettait clairement la possibilité de rompre le contrat à une décision du conseil de l’ordre, et violé l’article 1134 du code civil ;
5 / que la violation de la clause de garantie d’emploi incluse dans un contrat de travail n’ouvre droit pour le salarié qu’à une indemnisation en fonction du préjudice subi et non à une indemnisation forfaitaire d’un montant au moins égal aux salaires restant dus jusqu’à la fin de la période de garantie d’emploi, cette sanction n’étant prévue que pour les contrats de travail à durée déterminée rompus avant terme ;
qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que du fait de son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme X… avait droit à une indemnisation forfaitaire correspondant aux salaires qu’elle aurait dû percevoir de la date de rupture du contrat de travail jusqu’à la date de fin de période de garantie d’emploi ; en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé les articles L. 122-3-9 du code du travail, 1134 et 1149 du code civil ;
Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel a constaté l’exercice par la société Clinéa d’un pouvoir disciplinaire ressortant d’un contrat de travail et fait ressortir que le contrat conclu en 1978 était de même nature, qu’elle a bien recherché si les parties n’avaient pas conclu un nouveau contrat de travail postérieurement au rachat des actions de Mme X… ;
Et attendu, ensuite, qu’un salarié peut être licencié pour faute grave nonobstant une clause de garantie d’emploi ;
Et attendu enfin que les dommages-et-intérêts alloués au salarié en cas de violation par l’employeur d’un engagement de garantie d’emploi sont équivalents aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme de cette période de garantie ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu’il est encore fait grief à l’arrêt d’avoir dit le licenciement de Mme X… dépourvu de cause réelle et sérieuse et d’avoir en conséquence condamné la société Clinéa à lui payer des sommes au titre de la mise à pied conservatoire, des congés payés afférents, au titre du préavis, au titre des congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, d’indemnité à titre de la garantie d’emploi, alors, selon le moyen :
1 / que seuls les griefs déjà sanctionnés précédemment sur le plan disciplinaire ne peuvent être retenus comme motifs de licenciement en vertu du principe de non-cumul ; qu’en l’espèce, pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a énoncé que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement avaient déjà été sanctionnés dans l’avertissement et la mise à pied disciplinaire adressés à la salariée ; qu’en statuant ainsi lorsque la lettre de licenciement invoquait d’une part, « une contestation incessante de l’organisation et de la gestion administrative de la clinique » se traduisant notamment par un refus répété de respecter les horaires habituels pratiqués au sein de la clinique, une critique violente des plannings et de la mise en place de nouveaux horaires, une critique des badges en vigueur, une critique de la nouvelle gestion rigoureuse par la pharmacienne de son service, d’autre part, une « incapacité à travailler sereinement en équipe » et enfin le dénigrement des responsables de l’entreprise, et que ces griefs n’étaient nullement invoqués à l’appui de l’avertissement du 9 avril 2002 et de la mise à pied conservatoire du 6 mai 2002, la cour d’appel a violé l’article L. 122-40 du code du travail ;
2 / que les juges du fond doivent viser et analyser les documents sur lesquels ils se fondent et ne peuvent se borner à se référer aux documents de la cause ; qu’en l’espèce, pour dire le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel s’est bornée à retenir que les compte rendu et attestations des salariés ne lui permettaient pas de retenir des faits nouveaux susceptibles de justifier le licenciement ; qu’en se déterminant ainsi, par le seul visa des documents de la cause sans procéder à leur analyse, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que les juges ne peuvent dénaturer le sens ou la portée des écrits clairs et précis ; qu’en l’espèce, pour rejeter la faute grave, la cour d’appel a énoncé que le compte rendu signé le 17 mai 2002 par Mmes Z…, A… et B… était rédigé en termes généraux insusceptibles de justifier le licenciement de la salariée ; qu’en se déterminant ainsi lorsque ces salariés invoquaient au contraire des faits précis en reprochant à Mme X… de critiquer ou rejeter toute modification (dossiers soins, nouvelles ordonnances ANAES, planning des médecins, horaire, tenues, badges, astreintes) et de déstabiliser le personnel en contestant la nouvelle gestion rigoureuse de la pharmacienne Mme C…, en mettant systématiquement Mme D… à l’écart des décisions médicales et en faisant un début de pétition contre elle pour contester la prise en charge de ses malades, en conseillant aux patients de Mme Z… de s’adresser à l’ancienne psychologue, et enfin en remettant en cause l’utilité du poste de l’animatrice Céline le jour de sa présentation officielle devant l’équipe infirmière et les psychiatres ; la cour d’appel, qui a dénaturé cet élément de preuve de nature à justifier le licenciement a violé l’article 1134 du code civil ;
4 / que les juges ne peuvent dénaturer le sens ou la portée des écrits clairs et précis ; qu’en énonçant, pour écarter la faute grave, que l’attestation de Mme B… était rédigé en termes généraux insusceptibles de justifier le licenciement de la salariée lorsque cette attestation énonçait au contraire des faits précis en reprochant à Mme X… de modifier les plannings de garde et d’astreinte, de refuser de porter la blouse et le badge d’identification, et de dénigrer publiquement le nouveau directeur en le qualifiant d’ »incompétent » ; la cour d’appel, qui a dénaturé cet élément de preuve de nature à justifier les griefs invoqués à l’encontre de la salariée, a violé l’article 1134 du code civil ;
Mais attendu, d’abord, que, contrairement aux allégations du moyen, il était bien, dans l’avertissement du 17 avril 2002 et la mise à pied du 6 mai 2002, fait état de griefs de même nature que ceux allégués en la lettre de licenciement ;
Et attendu, ensuite, que la cour d’appel a relevé que les documents produits par l’employeur à l’appui du licenciement postérieur à ces mesures disciplinaires ne permettaient pas de dater ces derniers griefs ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen après accomplissement des formalités prévues à l’article 1015 du nouveau code de procédure civile :
Vu les articles 11 et 12 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;
Attendu qu’aux termes du premier de ces textes sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu’ils constituent des faits passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles ; que sauf mesure individuelle accordée par décret du Président de la République, sont exempts du bénéfice de l’amnistie prévue par cet article des faits constituant des manquements à l’honneur, à la probité et aux bonnes moeurs ; qu’aux termes du second de ces textes sont amnistiés dans les conditions prévues à l’article 11, les faits retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur ;
Attendu que la société Clinéa fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir annulé l’avertissement du 9 avril 2002 adressé à Mme E… ;
Mais attendu que, n’étant pas contraire à la probité, aux bonnes moeurs ou à l’honneur, les faits sont amnistiés en application des textes susvisés ; qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le troisième moyen portant exclusivement sur la sanction elle-même, laquelle était dépourvue de toute conséquence financière ;
PAR CES MOTIFS :
Constate l’amnistie des faits ayant donné lieu à l’avertissement du 9 avril 2002 ;
REJETTE pour le surplus le pourvoi ;
Condamne la société Clinéa aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X… la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt février deux mille sept.