Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / le Comité central d’entreprise des usines Chausson, dont le siège est …, agissant poursuites et diligences de ses représentants statutaires en exercice, dûment habilités, domiciliés en cette qualité audit siège à 42000 Saint-Etienne,
2 / la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, dont le siège est …, agissant poursuites et diligences de ses représentants statutaires en exercice, dûment habilités, domiciliés en cette qualité audit siège, en cassation d’un arrêt rendu le 13 juillet 1993 par la cour d’appel de Paris (1re chambre, section A), au profit :
1 / de La Société des automobiles Peugeot, dont le siège est … Armée, 75016 Paris, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
2 / de la société Régie nationale des usines Renault, dont le siège est …, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
3 / de la société des Usines Chausson, société anonyme, dont le siège est …, société en redressement judiciaire, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
4 / de M. Jacques X…, demeurant …, représentant des créanciers de la société anonyme des Usines Chausson,
5 / de M. Jean-Michel Y…, demeurant …, administrateur du redressement judiciaire de la société anonyme des Usines Chausson,
6 / du Syndicat démocratique Chausson, dont le siège est chez M. Sylvain Z…, …, 60100, pris en la personne de son représentant statutaire dûment habilité en exercice, domicilié audit siège,
7 / de L’Union départementale CFTC de l’Oise, dont le siège est à la Bourse du Travail, rue Fernand Pelloutier, 60100 Creil, prise en la personne de son représentant statutaire dûment habilité en exercice, domicilié audit siège, défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 27 juin 1995, où étaient présents : M. Kuhnmunch, Président, M. Boubli, conseiller rapporteur, MM. Lecante, Bèque, Carmet, Le Roux-Cocheril, Brissier, Ransac, Mme Aubert, conseillers, Mmes Pams-Tatu, Girard-Thuilier, Barberot, conseillers référendaires, M. Martin, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Boubli, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat du Comité central d’entreprise des usines Chausson et de la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, de la SCP Gatineau, avocat de la Société des automobiles Peugeot, de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la Société régie nationale des usines Renault, de Me Roger, avocat de la société Usines Chausson, de Me Choucroy avocat de MM. X… et Y…, ès qualités, les conclusions de M. Martin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi et arrêté la décision au 30 juin 1995 ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 13 juillet 1993), que la société des Usines Chausson (SUC), dont le capital est en majeure partie détenu par les sociétés Renault et Peugeot qui en possèdent chacune 48,83 %, a présenté un plan social au Comité central d’entreprise concernant la suppression de 1 285 postes de travail ;
que le Comité central a désigné le 2 novembre 1992 un expert-comptable pour l’assister ; qu’estimant que compte tenu du lien de dépendance économique exceptionnel existant entre la SUC et les sociétés Renault et Peugeot, ces dernières devaient être condidérées comme exerçant effectivement et solidairement les droits et responsabilité du chef d’entreprise, le Comité central d’entreprise a demandé au juge de constater cet état de dépendance, de déclarer nulle et de nul effet la procédure de licenciement mise en oeuvre, et d’enjoindre aux deux sociétés de la reprendre en leur nom à des conditions régulières ;
Attendu que, le Comité central et la fédération des mines et de la métallurgie CFDT font grief à l’arrêt d’avoir rejeté ces demandes, alors, selon le moyen, d’une part, qu’en se fondant sur les seules relations contractuelles entre la SUC et son personnel et sur les seuls rapports de subordination, sans rechercher si les dirigeants de cette Société détenaient le pouvoir de décision quant aux décisions de gestion de l’entreprise et aux opérations qui contribuent à sa politique générale, prérogative essentielle du chef d’entreprise, seule de nature à éclairer les membres du comité d’entreprise, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 432-1, L. 321-2 et suivants du Code du travail ;
alors, d’autre part, surtout, que les organisations faisaient valoir que non seulement les sociétés Peugeot et Renault détiennent à elles seules la quasi-totalité du capital de la SUC, mais encore que les règles de fonctionnement imposées par ces actionnaires aux unités de production des Usines Chausson les réduisent au rang de simples établissements communs de ses actionnaires ;
qu’ainsi, la SUC n’a pas accès au marché et doit se conformer aux trois règles fondamentales des protocoles d’accord des 12 septembre 1991 et 24 janvier 1992, l’obligeant à réserver 100 % de ses capacités de production aux deux actionnaires et lui interdisant, en conséquence, tout autre débouché, lui imposant le prix de cession interne de ses productions à deux actionnaires-clients, découpant les unités de production de la SUC en « centre de frais », totalement intégrés dans les procédures bugétaires des deux sociétés actionnaires ;
qu’ainsi, en 1991, les dirigeants de la SUC avaient fait réaliser des études pour parvenir à la reconversion sur un nouveau site en vue d’une clientèle nouvelle, ce qui leur avait été interdit par les sociétés actionnaires, selon les propres déclarations du président directeur général de la SUC au comité central d’entreprise ;
que, par ailleurs, l’autonomie de ce président directeur général ne dépasse pas celle habituellement consentie à de simples chefs d’établissement, dès lors que, du fait de l’obligation de réserve capacitaire, la SUC n’est pas maîtresse, même au jour le jour, de l’affectation des lignes de production de ses propres usines ;
que les ateliers de ses usines ont purement et simplement intégré dans les prévisions de plan de charges des propres établissements des deux sociétés actionnaires ;
que la SUC n’a aucune maîtrise de sa politique d’investissement ni de sa politique salariale ;
qu’elle est pratiquement dépourvue de structure centrale à caractère administratif, commercial ou financier ;
que plusieurs plans de licenciement collectif se sont succédés, consécutifs à la décision prise par les deux sociétés actionnaires de faire cesser par la SUC la production de certains véhicules sans substitution d’autres fabrications ;
que le plan de compression d’effectifs litigieux résultait lui-même exclusivement et directement de décisions prises par ces sociétés de réorienter, en tout ou partie, l’attribution des productions entre les différents sites qui sont à leur disposition respective ;
que ces éléments étaient notamment constatés par l’expert-comptable du Comité central d’entreprise ;
qu’il s’en déduit que la SUC n’exerce, ni sur la marche générale de ses établissements, ni sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure de ses effectifs, les pouvoirs d’un chef d’entreprise ;
qu’elle ne peut utilement organiser elle-même la consultation de l’instance représentative tant sur les suppressions d’emplois envisagées que sur leur motif économique et sur les moyens d’éviter les licenciements ;
que seuls les véritables décideurs détiennent le pouvoir de fournir toutes informations utiles, d’organiser une véritable consultation et de négocier ;
qu’en outre, l’emploi était l’objet même du contrat, la qualité d’employeur doit d’abord être reconnue à celui qui a le pouvoir de le créer et de le supprimer ;
que, faute d’avoir répondu à ces chefs de conclusions, précis, circonstanciés et étayés de nombreux éléments de preuve, les juges du fond ont, en tout cas, privé leur décision de motifs, en violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors encore, que, l’arrêt attaqué n’aurait pu sans contradiction affirmer qu’il n’est pas démontré que la société Chausson soit conventionnellement tenue de ne travailler que pour les deux sociétés actionnaires sans qu’il lui soit possible de rechercher d’autres clients et relever, par adoption de motifs, que ces conventions et accords avaient été signés entre ces trois sociétés, imposant à la société Chausson de réserver aux deux autres ses capacités de production ;
qu’il y aurait, dès lors, violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Et alors, en toute hypothèse, qu’après avoir constaté que la SUC n’avait pas le pouvoir de fournir des clients autres que ses deux actionnaires ni de déterminer les prix de vente de sa production, décisions économiques déterminantes, les seules constatations relatives à sa qualité de fournisseur, de son pouvoir de définir les conditions dans lequelles elle proposait de réaliser le travail confié, du fait qu’à ce titre elle assurait sa propre gestion et sa propre organisation constitutive d’une vie économique et l’absence d’unité économique et sociale, ne sauraient établir que ses dirigeants eussent détenu le pouvoir de décision quant aux opérations qui contribuent à la politique générale de l’entreprise et eussent eu la qualité de chef d’entreprise ;
qu’en cet état, en tout cas, l’arrêt attaqué ne se trouverait pas mieux justifié au regard des articles L. 432-1 et suivants du Code du travail ;
Mais attendu, en premier lieu, que tant par motifs propres que par motifs adoptés, la cour d’appel a relevé que nonobstant le lien économique l’unissant aux sociétés Renault et Peugeot la société SUC était une entité juridiquement autonome, ayant une activité différente de ces firmes, exclusive de tout service commun et n’excluant pas la constitution d’une autre clientèle ;
Attendu, en second lieu, que la cour d’appel a également constaté que la SUC qui se borne a être le fournisseur des sociétés Renault et Peugeot, lesquelles conservent leur activité concurrentielle, était le partenaire des salariés à la conclusion des contrats de travail et qu’elle exerçait seule et sans partage le pouvoir de direction et de contrôle sur les salariés ;
Qu’ayant ainsi fait ressortir que les trois sociétés n’étaient pas confondues et que la SUC n’était pas une filiale des deux autres, elle a pu décider que la dépendance économique existant entre les firmes n’était pas de nature à caractériser un lien de subordination juridique entre les sociétés actionnaires et les salariés ;
que, sans être tenue d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, elle a, sans contradiction, légalement justifié sa décision ;
Et sur la demande présentée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile par la société des Automobiles Peugeot :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette la demande formée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne le Comité central d’entreprise des usines Chausson et la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. Lecante, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement de M. le président Kuhnmunch, conformément à l’article 452 du nouveau Code de procédure civile, en son audience publique du dix-huit octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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