Cour de Cassation, Chambre sociale, du 17 juin 2003, 01-41.588, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre sociale, du 17 juin 2003, 01-41.588, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu que, dans le cadre d’une restructuration du groupe Alitalia, un accord a été conclu le 19 juin 1996, entre la société Alitalia Spa et des syndicats italiens, qui prévoyait notamment des réductions d’effectif en Italie et une participation des salariés au capital de l’entreprise ; que le 15 janvier 1998 une assemblée générale extraordinaire des associés de la société italienne Alitalia a décidé une augmentation du capital social et l’attribution d’un droit d’option sur les actions nouvellement émises à cet effet aux salariés du groupe, en conformité avec les accords syndicaux conclus à ce sujet ; que le 3 juin 1998, un nouvel accord-cadre entre la société Alitalia et des syndicats italiens a prévu que les actions nouvellement émises seraient attribuées aux salariés ayant un contrat italien à durée indéterminé, y compris le personnel transféré à l’étranger ; que 122 salariés de la société Alitalia employés en France ayant été exclus de ce droit d’option, ont saisi le juge prud’homal pour obtenir l’exécution forcée, à leur profit, de l’accord du 3 juin 1998, par l’attribution d’actions nouvelles ;

Sur le premier moyen du pourvoi formé au nom des salariés X… et Y… et les deux premières branches du moyen unique du pourvoi formé au nom de quinze autres salariés :

Attendu que les salariés font grief à l’arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2001) de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à obtenir l’application à leur profit de l’accord du 3 juin 1998 alors, selon le premier moyen du pourvoi formé aux noms de MM. X… et Y…, que dans leurs conclusions d’appel, les salariés faisaient valoir qu’en droit italien, comme en droit français, seule l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires peut, à l’exclusion de tout autre organe, décider d’une augmentation de capital et des modalités de cette augmentation ; que la résolution n 1 de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Alitalia SpA en date du 15 janvier 1998 prévoyait « l’offre (…) aux salariés du groupe Alitalia, conformément aux ententes syndicales à ce sujet, de l’émission de 317 000 000 actions incessibles entre vifs pendant une période de trois ans à compter de leur émission, avec inscription de cette clause sur le titre, au moment de l’émission » ; qu’en estimant que la société Alitalia avait pu, dans le cadre d’un accord ultérieurement conclu le 3 juin 1998 avec les syndicats italiens, modifier les modalités de l’augmentation de capital prévue par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires, pour réserver l’opération aux seuls salariés sous contrat de travail soumis au droit italien, la cour d’appel, qui n’a pas répondu au moyen tiré du caractère inopérant d’un accord syndical pour décider des modalités d’une augmentation de capital d’une société par action, a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

et alors, selon les deux premières branches du moyen unique du pourvoi formé au nom de quinze autres salariés :

1 / que l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires d’Alitalia avait décidé « l’offre d’actions à la valeur nominale, conformément à l’article 2441 du Code civil, dernier alinéa, aux salariés du groupe Alitalia » ; que l’accord cadre sur la participation au capital des salariés des sociétés du groupe Alitalia du 3 juin 1998 rappelait en outre aux parties que « l’implication de tout le personnel des sociétés du groupe Alitalia (était) un élément essentiel pour le redressement et le développement de ce même groupe » ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;

2 / que l’accord du 3 juin 1998 stipulait expressément que les actions de la société Alitalia devraient être attribuées « aux salariés ayant un contrat italien à durée indéterminée, y compris le personnel italien transféré à l’étranger » ; qu’il résultait de ces termes clairs et précis que l’attribution des actions était destinée, d’une part, aux salariés ayant un contrat italien à durée indéterminée, d’autre part, au personnel italien transféré à l’étranger ; qu’en se livrant à une interprétation de l’accord du 3 juin 1998 sur la notion de « personnel italien transféré à l’étranger », la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de l’accord susvisé et violé l’article 1134 du Code civil ;

Mais attendu d’abord que, répondant ainsi au moyen qui lui était soumis, la cour d’appel a retenu que les actionnaires de la société Alitalia, réunis en assemblée générale extraordinaire, avaient décidé que l’attribution d’un droit d’option sur les actions nouvelles au personnel de l’entreprise se réaliserait en conformité avec les accords syndicaux à ce sujet ; qu’elle a pu déduire de cette délibération que la mise en oeuvre de la décision de l’assemblée générale et les modalités du droit d’option des actions nouvellement émises devaient être déterminés par voie d’accords avec les syndicats ;

Attendu ensuite, qu’en retenant que le personnel italien transféré à l’étranger désignait les salariés de la société Alitalia sous contrat de droit italien, la cour d’appel n’a pas dénaturé l’accord du 3 juin 1998, dont l’imprécision appelait sur ce point une interprétation ;

Que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi formé au nom de MM. X… et Y… et sur les deux dernières branches du moyen unique du pourvoi formé au nom de quinze autres salariés :

Attendu que les salariés font encore grief à l’arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à obtenir l’attribution d’actions nouvellement émises alors, selon le second moyen du pourvoi formé au nom de MM. X… et Y… :

1 / que la règle de l’égalité de traitement entre les salariés prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu’en estimant que l’accord du 3 juin 1998 n’établissait pas de discrimination suivant la nationalité des salariés, dès lors que « les salariés travaillant en Italie et dont le contrat de travail est soumis au droit italien bénéficient des dispositions de l’accord du 3 juin 1998, quelle que soit leur nationalité », sans rechercher si la discrimination opérée entre les salariés titulaires d’un contrat de travail soumis au droit italien, qui pouvaient bénéficier de l’ouverture du capital de la société Alitalia, et les salariés titulaires d’un contrat soumis à un autre droit, qui ne pouvaient y prétendre, n’aboutissait pas à instaurer une discrimination liée au pays de résidence, ce qui revenait à introduire un critère équivalent à celui tiré de la nationalité du salarié, la cour

d’appel a privé sa décision de base légale, au regard de l’article L. 122-45 du Code du travail, du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 12 et 39 du Traité de Rome ;

2 / que si la négociation collective au sein d’un établissement distinct permet d’établir, par voie d’accord collectif, des différences de traitement entre les salariés de la même entreprise, de telles différences de traitement ne peuvent en aucun cas être fondées sur la mise en oeuvre d’un critère lié, directement ou indirectement, à la nationalité ; qu’en estimant que, dans la mesure où les accords des 19 juin 1996 et 3 juin 1998 avaient été signés par des syndicats italiens, les salariés titulaires d’un contrat de travail soumis au droit français ne pouvaient se plaindre d’un traitement discriminatoire, cependant que la discrimination fondée sur un critère de nationalité ne pouvait se justifier à aucun titre, la cour d’appel a violé l’article L. 122-45 du Code du travail, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 12 et 39 du Traité de Rome ;

3 / que le pouvoir de direction reconnu à l’employeur au sein de l’entreprise ne peut légitimer des mesures discriminatoires lésant un salarié ou une catégorie de salariés et qu’il appartient à l’employeur d’établir que la disparité invoquée est fondée sur des critères objectifs, excluant toute discrimination ; qu’en estimant, pour écarter l’existence d’une discrimination prohibée, que « l’attribution d’actions aux seuls titulaires d’un contrat de travail de droit italien est la contrepartie des sacrifices acceptés par ceux-ci dans le plan de restructuration de 1996 », après avoir cependant relevé que « compte tenu de la situation personnelle de chaque salarié, l’existence des sacrifices ne constitue pas (…) un critère satisfaisant », la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 122-45 du Code du travail ;

4 / que la règle de l’égalité de traitement entre les salariés prohibe non seulement les discrimination ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu’en estimant que l’attribution d’actions aux seuls titulaires d’un contrat de travail de droit italien n’était pas discriminatoire, dès lors que « l’applicabilité au contrat de travail d’une loi déterminée constitue (…) un critère objectif susceptible de justifier un traitement différent des salariés d’une entreprise », la cour d’appel a violé l’article L. 122-45 du Code du travail, le préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 12 et 39 du Traité de Rome ;

et alors, selon les deux dernières branches du moyen unique du pourvoi formé au nom de quinze autres salariés :

1 / qu’est interdite toute discrimination entre travailleurs en raison de la nationalité ; qu’en l’espèce, l’accord du 3 juin 1998 faisait référence, pour l’attribution des actions de la société Alitalia, à un critère fondé sur la nationalité des salariés ; qu’en déclarant néanmoins licite cet accord, la cour d’appel a violé les articles 12 et 39 du Traité de Rome ;

2 / que le principe de l’égalité de traitement des salariés suppose l’application d’un traitement identique aux salariés placés dans une situation identique ; qu’en décidant que le critère de la nationalité, lequel aboutissait à priver les salariés non italiens de l’attribution des actions Alitalia, ne constituait pas une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, la cour d’appel a violé les articles L. 133-5 et L. 136-2 du Code du travail, ensemble les articles 12 et 39 du Traité de Rome ;

Mais attendu, qu’abstraction faite de motifs surabondants, la cour d’appel a constaté que l’attribution d’actions aux seuls titulaires d’un contrat de travail de droit italien constituait la contrepartie des sacrifices acceptés par ceux-ci dans le plan de restructuration de 1996 et qu’il n’était pas établi que les mesures prévues dans ce plan devaient s’appliquer aussi aux salariés dont les contrats relevaient de la loi française ; qu’elle a ainsi fait ressortir dans son arrêt, sans se contredire, que l’avantage conféré aux salariés dont les contrats relevaient de la loi italienne reposait sur une raison objective, indépendante de la nationalité des salariés concernés, et que cette mesure était proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par l’accord du 3 juin 1998 ;

Que les moyens ne sont pas fondés ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Alitalia aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Alitalia ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille trois.


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