Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
I Sur le pourvoi n° X/91-44.107 formé par la société anonyme Cote Desfosses, dont le siège est … des Victoires, à Paris (2ème), agissant poursuites et diligences de ses représentants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,
CONTRE :
1°) M. Jean Y…, demeurant …, à L’Etang-laVille (Yvelines),
2°) l’ASSEDIC des Yvelines, dont le siège est … (Yvelines),
II Sur le pourvoi n° B/91-45.008 formé par M. Jean Y…,
CONTRE :
la société anonyme Cote Desfosses,
EN PRESENCE DE :
l’ASSEDIC des Yvelines, en cassation d’un arrêt rendu le 19 juin 1991 par la cour d’appel de Paris (22ème chambre A).
LA COUR, en l’audience publique du 15 juin 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Boittiaux, conseiller rapporteur, MM. Saintoyant, Lecante, Waquet, Bèque, Carmet, Boubli, conseillers, Mmes Beraudo, Pams-Tatu, Bignon, Girard-Thuilier, conseillers référendaires, M. Kessous, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Boittiaux, les observations de Me Cossa, avocat de la société Cote Desfosses, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l’ASSEDIC des Yvelines, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n°s X/91-44.107 et B/91-45.008 ;
Sur le premier moyen du pourvoi formé par M. Y… :
Attendu que, M. Y…, engagé en 1959 par la société Cote Desfosses, est devenu journaliste en 1962 puis rédacteur en chef ; qu’en 1977 il est nommé administrateur puis, en 1981, directeur général ; qu’un avenant à son contrat de travail, le 30 juin 1981, a précisé qu’il ne percevait aucune rémunération au titre des fonctions sociales exercées, et l’a confirmé dans ses fonctions de rédacteur en chef jusqu’au 3 juin 1996 ; qu’après le décès du président directeur général de la société, M. X…, actionnaire majoritaire de la société, et beau-père de M. Y…, M. Y… est devenu le 23 février 1983 président et actionnaire majoritaire de la société, avec son épouse ; que, le 3 février 1989, M. Z…, après rachat des actions, a été nommé président du conseil d’administration, M. Y… devenant rédacteur en chef ; qu’il était mis fin à son mandat d’administrateur le 22 février 1989 ; que, M. Y…, licencié pour faute grave le 23 février 1989, a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de diverses créances salariales et des indemnités de rupture ; Attendu que M. Y… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat de
travail alors, que, selon le moyen, en premier lieu d’une part, dans ses conclusions devant la cour d’appel, M. Y… sollicitait une somme de 4 501 516 francs à titre de dommages et intérêts pour
rupture abusive de son contrat de travail, en date du 30 juin 1981, conclu pour une durée de quinze années devant expirer le 30 juin 1996 ; que cette somme correspondait au montant des salaires qu’il aurait dû percevoir si le contrat avait été normalement mené à son terme ; que pour résister à cette demande, l’employeur faisait exclusivement valoir que la durée de ce contrat était exorbitante au regard des dispositions régissant le contrat de travail à durée déterminée ; que M. Y… avait répliqué en précisant que seul le salarié pouvait solliciter la requalification de cette convention en contrat de travail à durée indéterminée ; qu’ainsi, à aucun moment, l’une ou l’autre des parties ne se sont prévalues, ou n’ont entendu se prévaloir, des dispositions de l’article 101 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu’en soulevant ainsi un moyen d’office tiré de ces dispositions, sans à aucun moment réouvrir les débats et provoquer la contradiction des parties, la cour d’appel a violé les droits de la défense et l’article 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors que, d’autre part, il résulte de l’article 105, alinéa 1er, de la loi du 24 juillet 1966, que les conventions visées par l’article 101 de cette loi, qui n’auraient pas été soumises à l’autorisation préalable du conseil d’administration, ne peuvent être annulées que si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui n’a à aucun moment précisé, et même recherché, en quoi le contrat de travail à durée déterminée de M. Y… avait eu des conséquences dommageables pour la société Cote Desfosses, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 105 de la loi du 24 juillet 1966 ; et alors que, enfin, il résulte de l’article L. 121-1 du Code du travail que le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun et, notamment, de l’article 1134 du Code civil ; que le contrat de travail étant conclu entre le salarié et son employeur, il a force de loi entre les deux parties ; qu’une société commerciale employeur reste liée dans les mêmes termes avec son salarié, quand bien même interviendrait-il des modifications dans sa direction ou son capital n’affectant pas sa personnalité morale ;
qu’en l’espèce, les modifications intervenues dans le capital de la société anonyme Cote Desfosses, n’ont pas affecté la personnalité de celle-ci qui est donc restée liée dans les mêmes termes à son salarié, M. Y… ; qu’en conséquence, la cour d’appel qui déclare inopposable à la société le contrat de travail à durée déterminée de M. Y…, au motif que les nouveaux titulaires du capital de cette société n’en avaient pas été informés, a violé les dispositions combinées des articles L. 121-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ; et alors que, en deuxième lieu, dans ses conclusions devant la cour d’appel, M. Y… faisait valoir que la nouvelle direction de la société ne l’avait pas mis en mesure d’exercer ses fonctions de rédacteur en chef du journal ; qu’il était constant qu’un nouveau rédacteur en chef avait été nommé en ses lieu et place ; que dans ces conditions, la cour d’appel qui écarte le moyen de M. Y…, au motif que la nouvelle direction de la société lui aurait permis d’exercer des fonctions de président d’honneur ou encore de conseiller, sans rechercher si cette même nouvelle direction lui avait permis de poursuivre ses fonctions techniques et salariées de rédacteur en chef, n’a pas donné de base légale à sa
décision au regard de l’article L. 122-14-4 du Code du travail ;
Mais attendu, en premier lieu, que la validité et la portée de l’avenant de 1981 fixant à 15 ans la durée du contrat était dans le débat ;
Attendu, en second lieu, que la cour d’appel ayant fait ressortir que, en raison de son caractère exorbitant du droit commun, la convention avait des effets dommageables pour la société et que sa dissimulation jusqu’au moment du licenciement de M. Y… permettait à la société d’en contester la validité, a décidé à bon droit qu’en application des articles 101 et 105 de la loi du 24 juillet 1966, l’avenant n’était pas opposable à la société ;
Attendu, enfin, que la cour d’appel a relevé que, bien qu’ayant reçu les moyens d’exercer ses nouvelles fonctions, M. Y…, s’était borné, à
partir de février 1989, à effectuer quelques passages dans l’entreprise ; qu’en l’état de ces constatations, elle a décidé dans l’exercice du pouvoir qu’elle tient de l’article L. 122-14-3 du Code du travail, par une décision motivée, que le licenciement procédait d’une cause réelle et sérieuse ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi formé par M. Y… :
Attendu que M. Y… fait encore grief à l’arrêt d’avoir retenu que son contrat de travail avait été suspendu entre le 23 février 1983 et le 3 février 1989, pendant qu’il exerçait les fonctions de président directeur général, alors que, selon le moyen, il n’existe pas d’incompatibilité l égale entre les fonctions de salarié et celles de président du conseil d’administration, et que celui-ci peut, dans l’exercice effectif de tâches distinctes de la direction générale de la société, rester sous la subordination de celle-ci même si, en fait, il ne reçoit pas d’ordres, et cumule alors un contrat de travail avec son mandat ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui relève que M. Y… avait, postérieurement à sa nomination comme président directeur général, continué à exercer ses fonctions techniques de rédacteur en chef du journal, distinctes de celles de mandataire social, et qui ne constatent aucun élément novatoire si ce n’est, selon elle, la nomination de M. Y… en qualité de président directeur général, a violé l’article 93 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu que la cour d’appel a constaté que M. Y… avait exercé, du 23 février 1983 au 3 février 1989, l’ensemble de ses fonctions en toute indépendance ; qu’elle a pu décider qu’il ne se trouvait pas dans un lien de subordination vis-à-vis de la société et que le contrat de travail se trouvait suspendu ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi formé par la société :
Attendu que la société Cote Desfosses fait grief à l’arrêt d’avoir jugé que M. Y… a bénéficié du statut de journaliste professionnel du 2 mai 1962 au 28 mars 1983 et à partir du 3 février 1989, alors que, selon le moyen d’une part,
l’article L. 761-2 du Code du travail ne confère la qualité de journaliste professionnel qu’à celui dont l’activité dominante est le journalisme, et qui en tire le principal des ressources nécessaires à son existence ; que, dès lors en s’abstenant de rechercher si M. Y…, qui avait exercé les fonctions d’administrateur de la société du 28 février 1977 au 22 février 1989, n’avait pas tiré le principal de ses ressources durant cette période de sa qualité de mandataire social, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; alors d’autre part que, en vertu de l’article L. 761-2 du Code du travail, la qualité de journaliste professionnel est incompatible avec l’exercice de responsabilités inhérentes au directeur d’une publication ; qu’en omettant de rechercher si, compte-tenu du nombre important d’actions qu’il possédait avec son épouse, et de sa qualité de gendre de l’ancien président directeur général de la société, M. Y… n’avait pas exercé, en fait, les fonctions de directeur du journal « la Cote Desfosses », dans la période pendant laquelle il en était administrateur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions du texte susvisé ;
Mais attendu que la cour d’appel a relevé que M. Y… avait exerçé sous les ordres du président de la société l’activité de journaliste et que cette activité constituait la source principale de ses revenus professionnels ; qu’elle a légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi formé par la société :
Attendu que la société fait grief à l’arrêt d’avoir jugé que l’indemnité de licenciement due à M. Y… devait être fixée par la commission arbitrale des journalistes du fait de son ancienneté dans la profession de 1962 à 1983 et à partir du 3 février 1989, alors que, selon le moyen, l’article L. 761-5 du Code du travail n’accorde au journaliste congédié son indemnité légale de licenciement, dans les conditions qu’il prévoit, que lorsque le congédiement provient du fait de l’employeur ; qu’en statuant ainsi, tout en retenant que le licenciement litigieux procédait d’une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Mais attendu que l’article L. 761-5 du Code du travail précise que l’indemnité est fixée par la commission, dès lors que le congédiement provient du fait de l’employeur, même si le salarié a commis une faute ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi formé par la société :
Attendu que la société fait grief à l’arrêt de ne pas avoir retenu l’existence d’une faute grave,
alors que, selon le moyen, commet une faute grave privative de toute indemnité, le salarié investi d’importantes responsabilités dont les absences injustifiées revêtent un caractère délibéré et réitéré ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait des attestations versées aux débats, que depuis l’installation de la nouvelle direction en février 1989, « M. Y… n’effectuait plus que de brefs passages plusieurs fois par semaine dans les locaux de la société, alors même qu’il devait assumer les fonctions de rédacteur en chef et qu’il percevait une rémunération brute de 44 675 francs par mois », et que « l’intéressé n’est pas fondé à soutenir que la nouvelle direction l’aurait tenu à l’écart, alors que dans sa lettre du 4 avril 1989, il reconnait que, désigné président d’honneur, partageant le bureau du président directeur général, son avis a été sollicité à maintes reprises et qu’il lui a été offert un poste de conseiller » ; que, dès lors, en écartant la qualification de faute grave, au motif inopérant que l’intéressé n’avait pas été mis en garde sur les conséquences de son comportement, qu’en raison de ses fonctions il ne pouvait ignorer, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, au regard des dispositions des articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail qu’elle a violés ;
Mais attendu que la cour d’appel a pu décider que, compte tenu de la situation résultant du changement de direction, l’attitude de M. Y… ne rendait pas impossible le maintien du contrat de travail pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen du pourvoi formé par la société :
Attendu que la société fait encore grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer diverses sommes à M. Y… avec intérêts à compter de la notification de la demande à l’employeur, alors que, selon le moyen, en fixant le point de départ des intérêts de droit des sommes allouées à compter d’une date différente de celle de sa décision, sans assortir ce chef d’aucun motif, la cour d’appel a violé les articles 1153-1 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’en fixant à une date autre que celle de sa décision le point de départ des intérêts, la cour d’appel n’a fait qu’user de la faculté remise à sa discrétion par l’article 1153-1 du Code civil ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;