Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit mars deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle CHOUCROY, GADIOU et CHEVALLIER, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– LA SOCIETE HONDA MOTOR EUROPE SOUTH,
partie civile,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, 3ème section, en date du 26 janvier 2005, qui, dans l’information suivie contre personne non dénommée des chefs de présentation de comptes annuels infidèles, non-révélation de faits délictueux par un commissaire aux comptes et abus de biens sociaux, a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile ;
Vu l’article 575, alinéa 2, 2 , du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 225-18, L. 225-2 40, L. 242-6-2 et L. 820-7 du Code de commerce, 2, 3, 575 alinéa 2-2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Honda Motor Europe South ;
« aux motifs que la société Honda Motor Europe South fait valoir qu’en tant que créancier de deux des sociétés du Groupe Dorphin, elle justifie d’un préjudice personnel et direct résultant des délits d’abus de biens sociaux, présentation aux actionnaires de comptes annuels inexacts et non-révélation de faits délictueux objet de l’information ; que, sur les délits d’abus de biens sociaux et de non-révélation de faits délictueux, les créanciers d’une société ne peuvent souffrir, en raison de ces infractions, que d’un préjudice qui, à le supposer établi, serait indirect et dont la réparation ne pourrait être demandée qu’à une juridiction civile ; que, sur le délit de présentation aux actionnaires de comptes annuels inexacts, la société Honda Motor Europe South ne justifie pas, en sa qualité de créancier, d’un préjudice direct et personnel découlant de cette infraction dès lors qu’il ressort de la plainte déposée le 21 janvier 2002 devant le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris que la plaignante a pris connaissance des documents comptables de la Société Nouvelle Garage de l’Alhambra dans le cadre de la préparation de sa défense à l’occasion d’un litige civil intenté le 23 août 2000 – date de l’assignation – par la société Claude Dorphin (D.60/1) et que l’information obtenue par cette voie, postérieurement à cette dernière date, n’est nullement à l’origine du maintien de ses relations contractuelles avec cette société au cours de l’année 1999 et des premiers mois de l’année
2000 ;
« alors que pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possible l’existence d’un préjudice en relation directe avec une infraction à la loi pénale ; que notamment en l’espèce, où la société Honda Motor Europe South expliquait dans son mémoire qu’elle avait livré des véhicules à ses concessionnaires au vu des faux comptes que ces dernières lui avaient présentés conformément à ses obligations contractuelles, la chambre de l’instruction a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale en invoquant le caractère indirect du préjudice résultant pour la demanderesse des délits d’abus de biens sociaux, présentation de comptes annuels inexacts et non-révélation de faits délictueux faisant l’objet de l’information, sous prétexte que dans sa plainte, cette partie civile avait indiqué qu’elle avait pris connaissance de documents comptables de sa créancière après la rupture de ses relations contractuelles avec cette dernière, ce motif n’excluant nullement que, comme cela résultait de sa plainte, de faux documents comptables aient été présentés à la partie civile au cours des relations contractuelles qui ont existé entre elle et ses concessionnaires, pour que la demanderesse accepte de leur livrer des véhicules, ce qui constitue le délit d’abus de confiance » ;
Vu les articles 2, 3 et 85 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant le juge d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que la société Honda Motor Europe South (HMES), exerçant une activité de distributeur automobile, a dénoncé aux procureurs de la République de Paris et de Créteil les agissements des sociétés Claude Dorphin et Nouvelle Garage de l’Alhambra, concessionnaires automobiles, avec lesquelles elle était en relation d’affaires et qui auraient présenté des bilans falsifiés et détourné des fonds sociaux ; qu’une information a été ouverte à Paris des chefs d’abus de biens sociaux, présentation de comptes annuels infidèles et non-révélation de faits délictueux ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la société HMES, l’arrêt énonce que le délit de non-révélation de faits délictueux par un commissaire aux comptes ne peut occasionner aux créanciers d’une société qu’un préjudice indirect et que l’information sur le caractère mensonger des comptes annuels des sociétés Dorphin et Nouvelle Garage de l’Alhambra, qui a été obtenue par la demanderesse après le 23 août 2000, à l’occasion d’un litige civil, n’est pas à l’origine du maintien des relations contractuelles avec ces sociétés au cours de l’année 1999 et des premiers mois de l’année 2000 ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que, d’une part, la partie civile faisait valoir que, dès l’année 1995, les comptes annuels qui lui avaient été présentés et avaient justifié le maintien des relations contractuelles avec les sociétés mises en cause, comportaient des indications fausses, et que, d’autre part, les infractions de présentation de comptes annuels infidèles et de non-révélation de faits délictueux par un commissaire aux comptes, à les supposer établies, sont de nature à occasionner à la société un préjudice direct et personnel, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
Que, dès lors, la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 26 janvier 2005, et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;