Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq septembre deux mille sept, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller RACT-MADOUX, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– LA COOPERATIVE AGRICOLE DES PRODUCTEURS DE FROMAGES DE CHEVRE DE LA VALLEE DU CHER, partie civile,
contre l’arrêt de cour d’appel de BOURGES, chambre correctionnelle, en date du 21 septembre 2006, qui l’a déboutée de ses demandes, après relaxe d’Annie X…, épouse Y… du chef d’abus de confiance ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a relaxé Annie X… des fins de la poursuite du chef d’abus de confiance au titre des virements opérés par elle en octobre 2000 au préjudice de la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher au profit de la société de la Nere dans laquelle elle détenait, avec ses proches, 56 % des parts sociales ;
« aux motifs qu’avant toute discussion sur ces chefs de prévention, il convient de rappeler que la Fromagerie de la Vallée de la Nere assurait la collecte du lait de la zone AOC-Chavignol, le stockage du lait après transformation en caillé, et la fabrication des crottins ; qu’elle disposait pour cela d’une usine et d’un personnel propre ; que la Coopérative d’Anjouin assurait pour sa part la vente et la distribution de tous les fromages provenant de la Fromagerie de la Vallée de la Nere, ainsi que l’administration de cette société ;
que la gérante de la Fromagerie de la Vallée de la Nere était également directrice de la Coopérative d’Anjouin en la personne d’Annie X…, qui avait épousé en 1994, M. Z…, ancien directeur ; que la Fromagerie de la Vallée de la Nere facturait chaque mois la totalité de sa fabrication de fromages à la Coopérative d’Anjouin et recevait en contrepartie des paiements échelonnés tout au long du mois, ce qui lui permettait d’assurer sa trésorerie et en particulier trois éléments essentiels qui étaient : le paiement du lait ;
les salaires du personnel ; les autres charges de fonctionnement ;
que la Coopérative d’Anjouin facturait quant à elle à la Fromagerie de la Vallée de la Nere l’ensemble des frais qu’elle avait engagés pour assurer la livraison et l’administration ainsi que des refacturations de fournitures telles que des emballages ; que Annie X… est ainsi amenée à soutenir, s’agissant du premier chef de prévention, que les trois virements litigieux de 50.000 francs, 150.000 francs et 560.000 francs correspondaient au paiement de factures ; qu’il est de fait que ces virements s’inscrivaient dans le cadre d’une pratique visible et constante envers la Coopérative d’Anjouin et la société de la Nere qui était son unique cliente ; que cela est confirmé par le témoin cité par la défense, Yves A…, qui a été l’expert comptable de ladite SARL de 1990 à 2000, et qui précise que ces virements répondaient aux besoins de trésorerie de la Fromagerie de la Vallée de la Nere pour payer ses salariés, ses charges et les producteurs de lait ; qu’il ajoute que les rapports
spéciaux du commissaire aux comptes faisaient ressortir chaque année le montant des prestations réciproquement facturées et qu’ils n’ont suscité aucune réserve lors des assemblées générales chargées d’approuver les comptes ; que de même, il indique qu’à l’occasion de deux contrôles fiscaux dont a été l’objet la Fromagerie de la Vallée de la Nere, il n’a été relevé aucune anomalie dans les relations entre les deux sociétés, et en particulier aucune des facturations effectuées par l’une des sociétés à l’autre n’a été contestée ; que l’accusation repose en définitive sur les seules affirmations de la partie civile exploitant un rapport d’audit commandé par elle et réalisé de manière non contradictoire ; que l’auditeur, la société KPMG, prend soin cependant de mentionner que l’enregistrement comptable des opérations de caisse était réalisé, non pas par Annie X…, mais par la comptable, Mme B…, et surtout fait preuve de la plus grande prudence dans la rédaction de son rapport en écrivant notamment : » l’entreprise n’ayant pas été en mesure de nous fournir les pièces justificatives concernant les principales dépenses payées par le biais de la caisse, il est possible que ces pièces justificatives n’aient jamais existé et l’entreprise peut légitimement s’interroger sur la réalité d’une part importante des frais qui ont été réglés directement par l’ex directrice » ; que, sur ce point particulier, il ne saurait être reproché à la prévenue comme le fait la Coopérative d’Anjouin, de ne pas fournir les pièces justificatives en question, une instruction judiciaire ayant été
précisément ouverte pour faire toute la lumière à ce sujet, et Annie X… n’ayant en aucun cas à supporter la charge de la preuve ; qu’elle s’exposerait au demeurant à de lourdes sanctions si elle avait conservé par devers elle des documents comptables appartenant à la Coopérative d’Anjouin au sein de laquelle elle n’exerçait plus aucune activité depuis son licenciement intervenu en novembre 2000 ; qu’il n’est pas davantage établi qu’elle aurait volontairement cherché à se soustraire à l’instruction judiciaire en cours et ce en dépit du mandat d’amener qu’a dû délivrer le juge d’instruction à son encontre, les seules démarches engagées par ce magistrat pour tenter de la localiser ayant consisté en une recherche dans l’annuaire téléphonique de la région Centre ;
que rien ne saurait dès lors justifier le recours à un supplément d’information, au demeurant non expressément sollicité ; que concernant la notification de la nécessité du contre-seing du Président du conseil d’administration de la Coopérative d’Anjouin pour tout chèque d’un montant supérieur à 10.000 francs, objet d’une résolution votée par ce même Conseil le 04 octobre 2000, il sera simplement rappelé que cette notification n’a été effectuée par M. C… que le 07 octobre 2000, date de réception de la lettre recommandée avec accusé réception du 5 octobre 2000 informant Annie X… de ladite résolution ; que par ailleurs, il est justifié de la réaction immédiate d’Annie X… qui a, dès le lundi 09 octobre 2000, informé le Crédit Agricole de cette résolution, lequel lui en a donné acte dans la journée ; qu’il convient de relever en outre que le contre-seing désormais exigé valait uniquement pour les chèques et que les opérations reprochées en l’espèce à Annie X… consistent en des virements ; qu’en l’absence de la preuve certaine du détournement des sommes objet des trois virements litigieux, c’est donc à bon droit que les premiers juges ont relaxé la prévenue de ce premier chef de poursuite » ;
« 1 ) alors qu’en matière d’abus de confiance, lorsque la remise des fonds à titre précaire n’est pas contestée par le prévenu, la charge de la preuve de l’utilisation de ces fonds conformément à son mandat incombe à celui-ci ; qu’en l’espèce, dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d’appel, Annie X… ne contestait pas avoir, en sa qualité de directrice de la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher, opéré les trois virements visés dans la prévention au profit de la société de la Nere dans laquelle elle détenait 28 % des parts sociales ; que la cour d’appel a par ailleurs expressément constaté que la prévenue était gérante de ladite société de la Nere et a constaté que les règlements opérés par la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher au profit de la société de la Nere étaient normalement destinés à rémunérer la fabrication de fromages par ladite société ; que dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d’appel, la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher faisait valoir que, compte tenu de sa double qualité d’actionnaire majoritaire avec son groupe familial et de gérante de la société de la Nere, bénéficiaire des virements (qualité distincte
de ses fonctions de directrice de la Coopérative), Annie X… était en mesure de produire les pièces justificatives desdits virements ;
qu’eu égard à la règle de preuve liminairement énoncée, ce chef de conclusions était péremptoire et qu’en s’abstenant d’y répondre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
« 2 ) alors que la cour d’appel, qui relevait expressément le caractère lacunaire de l’information, ne pouvait, sans méconnaître ses pouvoirs, dire n’y avoir lieu à supplément d’information et faire bénéficier la prévenue d’une décision de relaxe motif pris de l’absence de preuve certaine du détournement des sommes, objet des trois virements litigieux » ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a relaxé Annie X… des fins de la poursuite du chef d’abus de confiance au titre des frais de déplacement présentés par elle au paiement de la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher ;
« aux motifs que, s’agissant du second chef relatif au détournement des sommes représentant les frais de déplacement facturés à la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher par Annie X…, que le témoin Yves A… entendu par la cour sur ce point, a indiqué avoir constaté dans le cadre de sa mission d’expert comptable des deux sociétés que les remboursements des frais de déplacement du personnel de la Coopérative étaient toujours effectués par les deux secrétaires sur présentation de justificatifs et qu’il n’avait jamais remarqué d’anomalies à ce sujet ; qu’il a ajouté que les commissaires aux comptes n’avaient également jamais évoqué devant lui ni mentionné dans leurs rapports spéciaux une quelconque absence de pièces justificatives et que l’on ne peut dès lors que s’étonner que ces éléments n’aient pas été fournis à l’auditeur KPMG ; que les détournements reprochés à Annie X… de ce chef ne sont pas davantage établis que les premiers ;
« 1 ) alors que, Annie X… était poursuivie du chef d’abus de confiance pour s’être fait rembourser des frais de déplacement pour un montant de 173.292,75 francs et qu’en faisant bénéficier la prévenue d’une décision de relaxe en se bornant à affirmer qu’il résultait des déclarations du témoin A… que « les remboursements des frais de déplacement du personnel de la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher étaient toujours effectués par les deux secrétaires sur présentation de justificatifs », la cour d’appel s’est fondée sur un motif d’ordre général qui n’est pas susceptible de conférer une base légale à sa décision ;
« 2 ) alors que dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d’appel, la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher faisait valoir qu’Annie X… se remboursait elle-même ses propres frais de déplacement et ne fournissait aucun justificatif et qu’en s’abstenant de s’expliquer sur ce chef péremptoire de conclusions, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
« 3 ) alors que comme le soutenait également la Coopérative dans ses conclusions régulièrement déposées et de ce chef délaissées, il appartient au préposé qui s’est fait rembourser des frais de déplacement de la part de son commettant de fournir les justificatifs de ses remboursements » ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a relaxé Annie X… des fins de la poursuite du chef d’abus de confiance au titre des frais d’emballage qui lui ont été payés par la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher ;
« aux motifs que, s’agissant du second chef relatif au détournement des sommes représentant les frais d’emballage, que plusieurs salariés de la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher dont M. D…, chauffeur livreur et M. E…, en charge des relations avec les producteurs de lait, attestent pareillement que leurs frais d’emballage étaient remboursés sur justificatifs ; que l’on ne peut dès lors que s’étonner que ces éléments n’aient pas été fournis à l’auditeur KPMG et qu’en cet état les détournement reprochés à Annie X… ne sont pas établis ;
« alors que, la cour d’appel ne pouvait relaxer Annie X… qu’autant qu’elle constatait qu’elle s’était fait personnellement rembourser ses frais de déplacements sur présentation de justificatifs et que la décision de la cour d’appel, qui ne procède à aucune constatation sur ce point, ne peut qu’être censurée » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n’était pas rapportée à la charge de la prévenue, en l’état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Mais sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 800-2 et R. 249-5 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que la cour d’appel a condamné la Coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher à verser à Annie X… au titre de l’article 800-2 du Code procédure pénale, la somme de 1.500 euros ;
« 1 ) alors qu’ il résulte des dispositions de l’article R. 249-5 du code de procédure pénale que l’indemnité prévue par l’article 800-2 du code de procédure pénale ne peut être mise par la juridiction de jugement à la charge de la partie civile que sur réquisitions du procureur de la République et par décision motivée si elle constate que la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire et qu’en l’espèce aucune de ces deux conditions n’est remplie par la décision attaquée en sorte que la cassation est encourue ;
« 2 ) alors que les juges doivent répondre aux conclusions dont ils sont régulièrement saisis et qu’en s’abstenant de répondre aux conclusions de la partie civile faisant valoir qu’elle n’avait commis aucune faute en déposant plainte, les faits découverts à l’occasion de l’audit étant suffisamment troublants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » ;
Vu les articles 800-2 et R. 249-5 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ces textes, en cas de renvoi des fins de la poursuite, la juridiction de jugement ne peut mettre l’indemnité correspondant aux frais non payés par l’Etat et exposés par la personne relaxée, à la charge de la partie civile, que sur réquisitions du procureur de la République et par décision motivée, si elle estime que la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que la coopérative agricole des producteurs de fromages de chèvre de la vallée du Cher a porté plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée devant le juge d’instruction de Chateauroux, notamment du chef d’abus de confiance ; qu’à l’issue de l’information, Annie Y… a été renvoyée devant le tribunal ; qu’après avoir relaxé la prévenue et débouté la partie civile de toutes ses demandes, l’arrêt énonce « que les conditions de l’article 800-2 du code de procédure pénale étant réunies en l’espèce, il y a lieu d’en faire bénéficier Annie Y… dont la demande de ce chef sera accueillie à hauteur de 1 500 euros » et condamne la partie civile au payement de cette indemnité ;
Mais attendu qu’ en statuant ainsi, sans mentionner les réquisitions du ministère public en ce sens et sans s’en expliquer autrement, la cour d’ appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l’arrêt de la cour d’appel de Bourges, en date du 21 septembre 2006, en ses seules dispositions ayant condamné la coopérative agricole des producteurs de
fromages de chèvre de la vallée du Cher à payer 1 500 euros à Annie Y…, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n’ y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bourges, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Ract-Madoux conseiller rapporteur, Mme Thin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;