Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente et un octobre deux mille, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général FROMONT ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– Y… André, partie civile,
contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de PARIS, en date du 9 décembre 1999, qui, dans la procédure suivie contre personne non dénommée des chefs de faux et usage, présentation et publication de comptes annuels infidèles et abus de biens sociaux, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;
Vu l’article 575, 3 du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-2 de la loi du 24 juillet 1966, 6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a constaté la prescription du délit de présentation et publication de bilan inexact ;
» aux motifs que les délits de présentation et publication de bilans inexacts sont des délits instantanés se prescrivent par trois ans à compter de la commission de l’infraction ; que le bilan 1991-1992, était par conséquent prescrit le 16 décembre 1996, date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile ;
» alors qu’en matière de présentation et publication de bilan inexact, la présentation du bilan aux actionnaires marque le point de départ du délai de prescription, et le jour de la publication, qui fait naître un délit distinct, constitue le point de départ d’un nouveau délai de prescription ; qu’en l’espèce l’arrêt attaqué qui a estimé prescrits les faits de présentation et de publication de bilan inexact en se référant à la date de commission, sans rechercher à quelle date le bilan avait été présenté aux actionnaires et le cas échéant publié, n’a pas mis la chambre criminelle en mesure de s’assurer que les faits étaient prescrits, tant au regard de la date de présentation que de celle de la publication du bilan » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’André Y… a déposé plainte avec constitution de partie civile du chef, notamment, de présentation et publication de comptes annuels infidèles ; qu’à l’appui de sa plainte, il a fait valoir que le bilan de la société Nardel relatif à l’exercice 1991-92 était faux puisqu’il masquait le transfert de l’une des filiales de ladite société du Royaume-Uni vers l’Irlande ;
Attendu que, pour juger que cette infraction, à la supposer établie, serait prescrite, la chambre d’accusation énonce, par motifs propres et adoptés, que le bilan incriminé, arrêté au 31 juillet 1992, a été présenté à l’assemblée générale du 28 janvier 1993 et que la plainte d’André Y… n’a été déposée que le 16 décembre 1996 ;
Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que la partie civile ne faisait pas état d’une publication du bilan postérieurement à sa présentation aux actionnaires, la chambre d’accusation a justifié sa décision ;
Qu’il s’ensuit que le moyen doit être rejeté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 441-1 du Code pénal et 437 de la loi du 24 juillet 1966, violation du principe de la saisine in rem, des articles 201, 205, 575-6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de non-lieu ;
» aux motifs propres que les abus de biens sociaux de crédit et de pouvoirs supposent un usage contraire à l’intérêt de la société à des fins personnelles à son président, ses administrateurs ou directeurs financiers ; qu’il ressort de l’expertise ordonnée par la cour d’appel en 1994 que le transfert de BPM en Irlande était justifié par un changement de législation fiscale au Royaume Uni défavorable à Nardel ; que l’opération incriminée relevait de l’objet social et des décisions de gestion courante des sociétés de gestion de participations financières et que Nardel n’avait subi aucune perte de substance au niveau de sa participation, réalisant même une légère plus-value ;
» et aux motifs adoptés que sur les abus de biens de crédit et de pouvoirs et sur le point relatif au » transfert » en Irlande, il est indispensable de déterminer si ce transfert était indispensable et si les conditions dans lesquels il a été réalisé l’ont été au détriment de la S. A Nardel ; que, divers témoins ont été entendus et deux experts se sont prononcés dont les analyses se rejoignent ; qu’il apparaît en effet très clairement que la filiale anglaise BPM, créée en 1984, était une société off shore exonérée d’impôts sur les bénéfices au Royaume Uni ; qu’ainsi que l’explique Mme X…, expert désigné à la requête d’André Y…, » le 15 mars 1988 une modification de la législation anglaise est intervenue ; dorénavant toute société enregistrée au Royaume Uni sera réputée y avoir une résidence et donc soumise à la fiscalité anglaise, une tolérance jusqu’au 15 mars 1993 étant accordée aux sociétés existantes » ; qu’il fallait donc transférer BPM UK ; que selon les témoignages et notamment celui de M. B…, les discussions sont intervenues entre partenaires (les associés + B… + C…) et que c’est la solution irlandaise qui fut retenue, malgré l’avis d’André Y… qui penchait pour le Luxembourg ; que l’expert désigné par le magistrat instructeur le 7 avril 1997, M. A…, confirme cette analyse ;
Qu’il est donc clairement établi que ce » transfert » était nécessaire, ce que André Y… reconnaissait d’ailleurs lui-même ; que, sur les conditions de transfert, Mme X… conclut dans son rapport : » la décision de vendre sa participation dans BPM UK et d’acquérir une participation dans BPM Irlande relève de l’objet social et des décisions de gestion courante des sociétés de gestion de participations financières (holdings) » ; que pour M. A…, dans cette opération Nardel S. A s’est dessaisie d’une participation de 90 % du capital social de BPM UK d’une valeur de 2 077 297 francs cédée pour 2 600 000 francs, réalisant ainsi une plus-value de 522 703 francs pouvant être ramenée à 334 592 francs du fait du taux de change du dollars US, et a acquis 90 % du capital social de BPM Irlande d’une valeur de 2 485 000 francs pour 2 600 000 francs, soit une moins-value de 115 000 francs ; que l’expert estime donc : Elle (Nardel S. A) n’a donc à cette occasion subi aucune perte de substance au niveau de sa participation et elle a même constaté une légère plus-value latente de 334 000 francs-115 000 francs = 219 000 francs » ; que M. A… souligne enfin que les comptes de BPM UK ont été certifiés ; que le commissaire aux comptes de BPM Irlande a certifié que l’actif net n’était pas entamé de pertes conséquentes et que les bilans de la société Nardel ont été certifiés sans réserve ; que, concernant enfin la répartition du capital social de BPM Irlande, M. B… précise que c’est parce qu’il s’opposait à la solution irlandaise que André Y… a refusé d’en être actionnaire ; qu’il résulte donc de ces éléments que le délit d’abus de biens sociaux n’est pas constitué ;
» alors que, d’une part, le mémoire d’André Y… tendait à démontrer que le transfert des disponibilités de BPM Londres vers BPM Dublin, effectif dès le 20 avril 1992 (sans toutefois apparaître au bilan 1992 de Nardel) pour un montant de 449 485 US, représentant les capitaux propres après déduction du dividende intérimaire, était supposé avoir fait l’objet d’une facture de BPM Dublin à BPM Londres du 30 juin 1992 qui n’avait pas été produite, ce dont il résultait que ce transfert qui n’était justifié par aucun acte, apparaissait comme un détournement d’actifs, dissimulé notamment par les cessions fictives du 17 août 1992, constitutif d’abus de biens sociaux au préjudice de la société Nardel, laquelle contrairement aux conclusions de l’expert A… avait vu la valeur de sa participation dans BPM Dublin minorée par rapport à celle détenue dans BPM Londres et avait été privée des produits financiers sur sa part de dividende intérimaire, sans que la raison avancée du changement de législation fiscale britannique justifie économiquement ce transfert ;
» qu’en l’état de cette argumentation péremptoire mettant en évidence les lacunes des rapports de Mme X… et de M. A…, et dont se déduisaient les éléments constitutifs de l’infraction d’abus de biens sociaux, la Cour qui pour confirmer l’ordonnance du magistrat instructeur sur l’absence de constitution de ce délit a cru pouvoir se déterminer par les motifs propres et adoptés reproduits au moyen a privé sa décision de motifs ;
» alors que, d’autre part, le demandeur soulignait dans son mémoire que les faits visés dans sa plainte étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale différente de celle retenue par l’ONL, ce dont il demandait à la Cour de tirer toute conséquence, de sorte que l’arrêt confirmatif attaqué qui s’est abstenu d’envisager les faits dénoncés sous toutes leurs qualifications pénales possibles ainsi qu’il en était requis a méconnu le principe de la saisine in rem des juridictions d’instruction et entaché sa décision de défaut de réponses à une articulation essentielle des écritures du demandeur, la privant de base légale ;
» et alors, qu’enfin le demandeur demandait encore à la Cour d’ordonner un supplément d’information aux fins de déterminer notamment le préjudice subi par Nardel au titre de la variation des taux de change, de rechercher la justification de la facture de 450 000 US du 30 juin 1992 de BPM Dublin à BPM Londres, ainsi que le rôle de M. Z… dans le cadre du transfert de fonds de BPM Londres à BPM Dublin ;
» qu’en cet état, l’arrêt confirmatif attaqué qui a omis de se prononcer sur cette demande a là encore entaché sa décision de défaut de réponse à une articulation essentielle des écritures du demandeur, la privant derechef de base légale » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu entreprise en ce qui concerne l’infraction d’abus de biens sociaux dénoncée dans la plainte, la chambre d’accusation, après avoir analysé l’ensemble des faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, a exposé les motifs pour lesquels elle a estimé qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis ce délit, ni toute autre infraction ;
Que le demandeur se borne à critiquer ces motifs, sans justifier d’aucun des griefs que l’article 575 du Code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l’appui de son pourvoi contre un arrêt de chambre d’accusation en l’absence de recours du ministère public ;
Que, dès lors, le moyen est irrecevable ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Schumacher conseiller de la chambre ;
Avocat général : Mme Fromont ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;