Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général le FOYER de COSTIL;
Statuant sur les pourvois formés par : – Y… René,
– X… Joëlle, épouse Y…,
contre l’arrêt de la cour d’appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 16 août 1995, qui a condamné le premier pour abus de biens sociaux et abus de pouvoir, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d’amende, la seconde pour abus de biens sociaux à 20 000 francs d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation pris de violation des articles 425-4° et 5° de la loi du 24 juillet 1966, 1289 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré René Y… coupable d’abus de bien sociaux et d’abus de pouvoir;
« aux motifs que le prévenu a fait valoir que le matériel et les camions de la SARL Fromagerie Dauphinoise avaient été rachetés par compensation d’une créance que la société Ter’Frais avait eue sur cette société et a produit pour justifier de ses dires, d’une part, un extrait du 30 avril 1990 de la balance informatique de cette société, d’autre part, un document de la même date signé conjointement par la gérante de droit et par lui-même qui faisait effectivement état d’une compensation de dettes et de créance entre les deux sociétés, et enfin une facture du 3 mai 1990;
« que ces documents, tous établis postérieurement au mois de janvier 1990, date de la reprise effective des divers matériels, sont totalement inopérants et ne peuvent établir que la société Ter’Frais avait acquis les divers matériels en cause;
« que, par ailleurs, il n’est pas inutile de relever que l’ensemble de ce matériel a été vendu aux enchères publiques dans le cadre de la liquidation judiciaire des Fromageries Dauphinoises après qu’eut été rejetée, comme hors délai, l’action en revendication formée par Terrier;
« qu’il résulte de ces éléments que le prévenu a fait des biens de la société Fromagerie Dauphinoise un usage qu’il savait contraire à l’intérêt de celle-ci puisque cette société, privée de ce fait de ses éléments d’actif, ne pouvait plus matériellement exercer d’activité et ce exclusivement pour favoriser la société Ter’Frais;
« qu’également Terrier a abusé des prérogatives et des pouvoirs attachés à son statut de gérant de fait en incitant, comme il l’a reconnu, le personnel de la société à démissionner courant décembre 1989 en affirmant qu’il risquait d’être licencié, avant de l’embaucher courant janvier 1990 au sein de la société Ter’Frais;
« que cet abus des pouvoirs a définitivement obéré le fonctionnement et la survie de la société et ce, toujours dans le but de favoriser une société au sein de laquelle le prévenu était intéressé personnellement;
« alors que, d’une part, en l’état des conclusions d’appel du prévenu dans lesquelles ce dernier expliquait que la société dont il avait été le gérant de fait avait été contrainte par le refus de son principal actionnaire d’assumer ses engagements, d’abandonner son activité essentielle qui était devenue largement déficitaire et avait généré une dette importante envers son principal fournisseur constitué par une autre société dont il était le gérant légal, en sorte que c’était en raison de cette situation qu’il avait dû céder à cette dernière personne morale les camions appartenant à la société afin d’apurer cette dette et de supprimer la charge du remboursement du leasing de ces véhicules pour ne conserver qu’une activité de location-gérance, les juges du fond, qui n’ont pas recherché si ce moyen, de nature à exclure l’existence du délit d’abus de biens sociaux poursuivi, était ou non fondé et qui ne se sont même pas expliqués sur la réalité de la dette ayant entraîné la cession des camions en se bornant à énoncer des motifs inopérants pour rejeter l’existence de la compensation invoquée, ont ainsi laissé sans réponse un moyen péremptoire de défense et privé leur décision de motifs;
« alors, d’autre part, que le délit d’abus de pouvoir prévu par l’article 425-5° de la loi du 24 juillet 1966 supposant, comme le délit d’abus de biens sociaux visé par le même article que l’acte reproché au dirigeant d’une SARL ait causé un préjudice à la société, les juges du fond qui ont complètement omis de rechercher si, comme le prévenu le soutenait pour conclure à sa relaxe, la société dont il avait été le dirigeant de fait n’était pas condamnée à voir disparaître sa principale activité devenue déficitaire quand il avait incité son personnel à démissionner pour être immédiatement réembauché par la société dont il était le dirigeant légal afin d’éviter d’avoir à prononcer un licenciement collectif économique qui aurait entraîné la disparition immédiate de la personne morale maintenue en vie grâce à sa seule activité de location-gérance, et qui se sont bornés à prétendre que le départ de l’intégralité du personnel avait définitivement obéré le fonctionnement et la survie de la société, ont ainsi à nouveau entaché leur décision d’un défaut de réponse aux conclusions caractérisé »;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 425-4° de la loi du 24 juillet 1966, et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Joëlle Y… coupable d’abus de biens sociaux;
« aux motifs qu’il n’est pas contesté que, bien qu’absente de la société Fromagerie Dauphinoise depuis 1987, Joëlle Y… a cependant perçu de 1987 jusqu’au mois de mai 1990, en sa qualité de gérante de droit, des rémunérations s’élevant annuellement à 220 000 francs pour les deux premières années et mensuellement à environ à 8 000 francs pour la période ultérieure;
« que ne saurait constituer une cause d’exonération de responsabilité pénale, le fait que René Y… qui avait « pris la place de son épouse », n’avait perçu aucune rémunération en sa qualité notamment de gérant de fait;
« qu’en agissant comme elle l’a fait Joëlle Y… a imposé de mauvaise foi à la société des charges financières sans aucune contrepartie à son seul profit personnel;
« alors que les juges du fond ayant eux-mêmes reconnu qu’en raison de son état de santé la gérante légale de la société n’avait plus pu assurer ses fonctions à partir de 1987, mais qu’elle avait été remplacée par son mari qui avait travaillé gratuitement à sa place, ils ne pouvaient sans se mettre en contradiction avec leurs propres constatations, affirmer l’existence d’un préjudice financier causé à la société par ces agissements »;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être accueillis;
Que la peine prononcée à l’encontre de René Y…, étant ainsi justifiée par la déclaration de culpabilité du chef d’abus de biens sociaux, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde branche du premier moyen relative au délit d’abus de pouvoir reproché à celui-ci;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme de la Lance conseiller rapporteur, MM. Roman, Schumacher, Martin, Pibouleau conseillers de la chambre, M. de Larosière de Champfeu conseiller référendaire;
Avocat général : M. le Foyer de Costil ;
Greffier de chambre : Mme Ely ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;