Cour de cassation, Chambre criminelle, du 28 avril 1993, 92-82.801, Inédit

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Cour de cassation, Chambre criminelle, du 28 avril 1993, 92-82.801, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit avril mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller BATUT, les observations de la société civile professionnelle CELICE et BLANCPAIN et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;

Statuant sur les pourvois formés par :

– B… Alain,

– la société MOULINEX, civilement responsable, contre l’arrêt de la cour d’appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 27 avril 1992 qui, pour homicide involontaire et infractions au Code du travail, a condamné le premier à un mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d’amende ainsi qu’à l’affichage et à la publication de la décision, a prononcé sur les intérêts civils et a déclaré la seconde civilement responsable ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires ampliatif et en réplique produits, communs aux demandeurs, et le mémoire en défense ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du procès-verbal de l’inspecteur du travail, base de la poursuite, que Patrice Y…, employé depuis le 15 mars 1989 en qualité d’opérateur régleur dans une usine de la société Moulinex, dirigée par Alain B…, a été trouvé mort le 22 mars 1990 dans l’atelier où il travaillait, la tête coincée à l’intérieur d’une dégraisseuse de fers à repasser, entre une partie mobile constituée d’un ascenseur et le bâti fixe supérieur de la machine ; que celle-ci, dont la grille de protection avait été enlevée, se trouvait en position de fonctionnement automatique ; que le dirigeant de l’entreprise a été poursuivi pour homicide involontaire et infractions à la législation du travail ; que les premiers juges ont relaxé le prévenu, mis hors de cause la société Moulinex, citée comme civilement responsable, et déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des ayants droit de la victime, ainsi que celles de trois syndicats de travailleurs ; que par l’arrêt infirmatif attaqué, la cour d’appel a statué dans les termes ci-dessus rappelés ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 40 et 41 du décret du 6 juillet 1810, modifié par celui du 13 décembre 1965, et des articles R. 213-6 et R. 213-7 du Code de l’organisation judiciaire, défaut de motifs et manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué indique que « M. Passenaud, président suppléant » était « désigné par ordonnance de M. le premier président en date du 3 septembre 1990 » ;

« alors que ledit arrêt, qui doit jusfifier de la régularité de la composition de la juridiction qui l’a prononcée, ne constate pas que le président était empêché ;

« alors, d’autre part, que l’ordonnance du 3 septembre 1990 par laquelle le président suppléant avait été désigné, avait été prise pour l’année judiciaire 1991 et ne pouvait avoir aucune valeur pour

déterminer la composition d’une chambre statuant en avril 1992 » ;

Attendu que, s’il est vrai qu’il est mentionné dans l’arrêt attaqué qu’aux audiences des 11 mars et 27 avril 1992 la juridiction du second degré était présidée par « M. Passenaud, président suppléant », désigné par ordonnance du premier président de la cour d’appel en date du 3 septembre 1990, la Cour de Cassation est en mesure de s’assurer que cette mention résulte d’une erreur purement matérielle, dès lors qu’il ressort des pièces de procédure que par ordonnance du premier président du 15 décembre 1991, le magistrat précité a été désigné pour exercer, en 1992, les fonctions de président de la chambre des appels correctionnels ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l’article R. 233-11 du Code du travail, défaut de motif et manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a réformé le jugement, retenu M. B… dans les liens des préventions, l’a condamné à un mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d’amende ; a « dit M. B… seul et entier responsable des dommages subis par les parties civiles », l’a condamné « avec intérêts légaux à compter de cet arrêt, à payer 5 000 francs aux consorts Z… en remboursement de frais irrépétibles, 1 franc à chacun des syndicats en réparation de leurs préjudices moraux, plus 2 500 francs à chacun d’eux encore, en remboursement de frais irrépétibles » ; a « dit que la société Moulinex doit garantir M. B… pour le paiement de ces condamnations civiles ;

« aux motifs qu’il n’est pas contesté que M. Y… a eu la tête coincée dans une dégraisseuse Mabor, qui n’était pas équipée d’un système empêchant la remise en marche inopinée de l’ascenseur, après que, ayant déposé la plaque de protection, il eût introduit le haut de son corps dans cette dégraisseuse ; peu important la cause accidentelle de la remise en marche inopinée, bien qu’elle ait été sans doute consécutive au heurt d’un micro-contacteur » ; que « conformément à ce dont fait état le procès-verbal n° … et dressé par Rosine C…, inspectrice du travail de l’Orne, il est établi que n’avaient pas été prises les mesures nécessaires pour que ne pût avoir lieu cette remise en marche inopinée » ; et qu’ »il n’est pas contesté que M. Y… était déjà intervenu sur la dégraisseuse Mabor ; étant donc sans intérêt de savoir si, le jour de l’accident, on lui avait ou non demandé de le faire à nouveau » ;

« alors, d’une part, que l’infraction de l’article R. 233-11 suppose que le salarié ait été « admis » à exécuter les travaux dans les conditions prohibées ; que cet élément constitutif du délit n’est pas caractérisé dès lors que Barbe était appelé à travailler sur une autre machine, et que sont inconnues les circonstances dans lesquelles il a accédé à la dégraisseuse Mabor ;

« alors, d’autre part, et subsidiairement, qu’aucune infraction à l’article R. 233-11 du Code du travail ne saurait être constituée,

dès lors qu’il était acquis que l’accès aux organes en mouvement était effectivement protégé par une grille vissée et qu’il existait, de surcroît, un dispositif permettant de passer sur le mode « manuel » ce qui suffisait à empêcher la remise en marche inopinée des mécanismes ainsi que le prévoit l’article R. 233-11 du Code du travail ;

« qu’en subordonnant le respect de l’article R. 233-11 du Code du travail à la mise en place d’un système de sécurité complémentaire dit « système de consignation », l’arrêt attaqué ajoute au texte une condition qui n’y figure nullement et étend ainsi inconsidérément le champ de la répression pénale » ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité du dirigeant de l’établissement, poursuivi pour infraction à l’article R. 233-11 du Code de travail, la juridiction du second degré relève que le prévenu aurait dû faire procéder, conformément aux prescriptions de l’alinéa 5 du texte précité, à la mise en place sur la dégraisseuse d’un dispositif technique qui aurait permis d’éviter l’accident en empêchant la remise en marche inopinée de la machine au cours de l’intervention du salarié à l’intérieur de celle-ci ;

Attendu qu’en l’état de ces seules énonciations, et abstraction faite du motif surabondant relatif au remplacement de la machine, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-3-1 du Code du travail, 319 du Code pénal et 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a réformé le jugement, retenu M. B… dans les liens des préventions, l’a condamné à un mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d’amende ; a « dit M. B… seul et entier responsable des dommages subis par les parties civiles », l’a condamné « avec intérêts légaux à compter de cet arrêt, à payer 5 000 francs aux consorts A… en remboursement de frais irrépétibles, 1 franc à chacun des syndicats en réparation de leurs préjudices moraux, plus 2 500 francs, à chacun d’eux encore, en remboursement de frais irrépétibles », a « dit que la société Moulinex doit garantir M. B… pour le paiement de ces condamnations civiles » ;

« aux motifs qu’il n’est pas contesté que M. Y… était déjà intervenu sur la dégraisseuse Mabor ; étant donc sans intérêt de savoir si, le jour de l’accident, on lui avait ou non demandé de le faire à nouveau ; qu’avant d’occuper des fonctions d’opérateur-régleur, sur la dégraisseuse Mabor notamment, M. Y… devait recevoir une formation à la sécurité sur cette machine :

puisqu’il changeait de poste de travail ou de technique ; que n’est probant aucun des témoignages des salariés de l’entreprise, à partir desquels M. B… prétend établir que M. Y… avait, en ce qui concerne la dégraisseuse Mabor, reçu la formation pratique et appropriée en matière de sécurité ; que le témoignage de M. X… repose sur une pétition de principe, qu’il en est de même des témoignages de Forest et de D… ;

qu’aucune organisation rationnelle et systématique n’avait été mise en place pour former, de manière pratique et appropriée, des opérateurs-régleurs sur machines de production, même après l’accident de 1986 ; qu’il n’est pas contesté que M. Y… a eu la tête coincé dans une dégraisseuse Mabor, qui n’était pas équipée d’un système empêchant la remise en marche inopinée de l’ascenseur, après que, ayant déposé la plaque de protection, il eût introduit le haut de son corps dans cette dégraisseuse ; peu important la cause accidentelle de la remise en marche inopinée, bien qu’elle ait été sans doute consécutive au heurt d’un micro-ordinateur ; qu’il est d’ailleurs remarqué que, d’une part, sur le procès-verbal d’une réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l’usine Moulinex d’Alençon, qui s’est tenue le 2 octobre 1990, il est mentionné que la dégraisseuse Mabor « ne fonctionne plus en production », et, d’autre part, d’auditions auxquelles a procédé le magistrat instructeur, début novembre 1990, que cette dégraisseuse a été remplacée par une machine possédant une sécurité supplémentaire dite « système de consignation » : ce qui déjà laisserait suffisamment à penser qu’on l’avait, depuis l’accident mortel dont s’agit, considérée comme non entièrement conforme aux règles de sécurité » ;

« alors, d’une part, que dès l’instant où l’arrêt énonce qu’il serait sans intérêt de rechercher si le jour de l’accident la victime avait reçu pour instruction d’intervenir sur la dégraisseuse Mabor, il ne saurait être retenu aucun lien de causalité entre l’homicide par imprudence, seul objet de la répression, et l’infraction à l’article L. 231-3-1 du Code du travail qui prévoit une formation appropriée au poste de travail ;

« que de surcroît, l’arrêt attaqué se trouve entaché d’une insuffisance caractérisée de motifs en s’abstenant de rechercher quelle était la mission confiée à M. Y… le jour de l’accident (P. 7 alinéa 3), et en affirmant par ailleurs qu’il aurait dû recevoir une formation appropriée sur la dégraisseuse Mabor (p. 3 alinéa 5), puisqu’il changeait de poste ;

« alors, d’autre part, et subsidiairement, que se trouve dépourvu de toute pertinence le motif de l’arrêt selon lequel une infraction à l’article L. 231-3-1 du Code du travail pourrait être caractérisée du fait que M. Y… était déjà intervenu sur la dégraisseuse Mabor, dès lors que la cour d’appel ne s’explique pas sur le point de savoir si, dans les précédentes interventions, M. Y… agissait seul, comme il en avait pris l’initiative le jour de l’accident ou s’il était encadré par des personnes qualifiées, rendant sans objet une formation particulière de la victime ;

« qu’à cet égard, l’arrêt attaqué se trouve dépourvu de toute base légale au regard du procès-verbal (page 6) qui indiquait que la victime avait seulement assisté un régleur d’entretien, ainsi qu’au regard des déclarations du Sieur E… visées par l’arrêt page 8 d’où il résultait formellement que M. Y… avait travaillé « seul pour la première fois » le jour de l’accident ;

« alors, enfin, que se trouve encore privé de base légale au

regard de l’article 427 du Code de procédure pénale l’arrêt qui écarte trois déclarations concordantes de MM. E…, D… et X… au prétexte qu’elles constitueraient des pétitions de principe, ce qui est dans la nature même de tout témoignage se rapportant directement à des faits et exclusif de raisonnement » ;

Attendu que, pour déclarer Alain B… coupable d’avoir omis d’organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité au profit de Patrice Barbe à l’occasion de son affectation à un poste d’opérateur-régleur, en violation de l’article L. 231-3-1 du Code du travail, la cour d’appel énonce notamment que ce salarié n’avait qu’un CAP de menuisier à son arrivée dans l’entreprise en 1988 comme manutentionnaire ; que les trois formations dispensées à l’intéressé, dont la durée n’a pu être justifiée pour deux d’entre elles, ne concernaient en rien la dégraisseuse sur laquelle Patrice Y… allait intervenir à plusieurs reprises à l’occasion de ses dernières fonctions ; que par ailleurs, après avoir analysé le contenu de chacun d’eux, les juges du second degré écartent, comme non probants, les témoignages de plusieurs salariés de l’entreprise produits par le prévenu ; qu’ils déduisent de leurs constatations que celui-ci n’avait mis en place aucune organisation rationnelle et systématique pour former, de manière pratique et appropriée, les opérateurs-régleurs sur les machines de production, alors qu’un accident mortel avait eu lieu en 1986 sur un appareil similaire en service dans le même atelier ; qu’ils précisent que les deux infractions aux règles de sécurité commises par le dirigeant de l’entreprise sont en relation de cause à effet avec le décès du salarié, justifiant sa condamnation pour homicide involontaire ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant d’une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis aux débats contradictoires, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que le moyen, dès lors, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Fontaine, Massé, Guerder conseillers de la chambre, M. Nivôse, Mme Batut conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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