Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept novembre deux mille un, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de Me JACOUPY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– La Société SICRA,
contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 2 février 2001, qui, pour homicide involontaire, l’a condamnée à 80 000 francs d’amende ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 221-6 du Code pénal, 25 du décret 47-1592 du 23 août 1947, 25 et 39 du décret n° 65-48 du 8 janvier 1965, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société Sicra pénalement responsable des faits d’homicide involontaire commis le 16 mai 1997 à Bonneuil-sur-Marne et l’a condamnée à une peine d’amende ;
« aux motifs que, le 16 mai 1997, M. Grova Y…, qui participait sur la plate-forme d’un camion, aidé d’un collègue, au déchargement de poutres préfabriquées en béton manoeuvrées par une grue en les arrimant, a été mortellement blessé par la chute d’une poutre d’une hauteur d’environ trois mètres ; que l’inspecteur du Travail a dressé un procès-verbal le 25 juin 1997 aux termes duquel aucun agent spécialement désigné à cet effet n’assurait la liaison entre le conducteur de la grue et les personnes occupées au sol sur l’aire au-dessus de laquelle la charge évoluait ; que, de ce fait, il a été contrevenu aux dispositions de l’article L 231-2, 2ème alinéa, du Code du travail et de l’article 25 du décret n° 47-1592 du 23 août 1947 modifié qui dispose que « Lorsqu’un appareil de levage n’est pas commandé du sol, mais d’une cabine suspendue, un agent devra notamment assurer la liaison par signaux entre le conducteur et les personnes occupées au sol sur l’aire que la charge est susceptible de surplomber. Cet agent dirigera l’amarrage, l’enlèvement, la translation, la dépose et le décrochage des charges
… » ; qu’il ressort du tableau figurant en page 19 du plan particulier de sécurité et de protection de la santé établi par la société Sicra pour le chantier dont il s’agit, que le risque de « chute de hauteur » concernant la phase « déchargement » des éléments de façade préfabriqués au moyen d’une « grue à tour, élingue » nécessitait au titre de la « prévention et protection » la « vérification des élingues » ;
qu’il résulte du rapport d’expertise que l’accident a été causé par l’emploi de chaînes trop courtes et par le défaut de contrôle de l’état des sangles ; qu’il y a eu à cet égard une carence fautive imputable à un organe ou représentant de la société Sicra ; qu’il en est de même en ce qui concerne l’organisation du chantier puisqu’il n’existait pas d’agent de liaison tel que prévu par l’article 25 du décret du 23 août 1947 susvisé ; qu’en l’absence de délégation de pouvoirs valable, la faute commise dans l’organisation du chantier dont s’agit (absence d’un agent de liaison, défaut de directive pour le contrôle des matériaux et moyens utilisés pour l’accomplissement du travail) est réputée commise par le directeur, en l’occurrence Michel X…, représentant de la personne morale dont la responsabilité est prévue par l’article 121-2 du Code pénal ;
« alors, d’une part, que la cour d’appel, qui relevait qu’il ressortait du tableau figurant en page 19 du plan particulier de sécurité et de protection de la santé établi par la société Sicra pour le chantier en cause que le risque de chute de hauteur nécessitait au titre de la prévention et protection la « vérification des élingues », ce qui impliquait que l’employeur avait donné des consignes précises de sécurité, ne pouvait, sans se contredire, après avoir relevé que l’accident avait été causé par « l’emploi de chaînes trop courtes et par le défaut de contrôle de l’état des sangles », énoncer « qu’il y a lieu à cet égard une carence fautive imputable à un organe ou représentant de la société Sicra » et qu’une faute avait été commise dans l’organisation du chantier, soit « défaut de directives pour le contrôle des matériaux et moyens utilisés pour l’accomplissement du travail » ;
« alors, d’autre part, que le décret du 23 août 1947 portant règlement d’administration publique en ce qui concerne les mesures particulières de sécurité relatives aux appareils de levage n’est applicable aux établissements dont le personnel exécute des travaux de bâtiment qu’autant que ces dispositions ne sont pas contraires à celles du décret du 8 janvier 1965 relatif aux mesures particulières de protection applicables aux établissements dont le personnel exécute des travaux du bâtiment ; que, selon l’article 39 de ce dernier décret, « le poste de manoeuvre d’un appareil de levage doit être disposé de telle sorte que le conducteur puisse suivre des yeux toutes les manoeuvres effectuées par les éléments mobiles de l’appareil » et que ce n’est que « si les conditions d’utilisation d’un appareil de levage ne permettent pas l’observation » de ces dispositions qu’un chef de manoeuvre doit diriger le conducteur et avertir les personnes qui peuvent survenir dans la zone où évoluent les éléments mobiles de l’appareil ; qu’ainsi, en retenant en faute l’absence de l’agent de liaison prévu par l’article 25 du décret du 23 août 1947, sans rechercher si le poste de manoeuvre de l’appareil de levage ne permettait pas, au cas particulier, à son conducteur de suivre les manoeuvres effectuées, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
« alors, enfin, que la responsabilité pénale des personnes morales n’est encourue que dans les cas prévus par la loi ou le règlement, pour les infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu’ainsi, la cour d’appel ne pouvait déclarer la société Sicra pénalement responsable des faits d’homicide involontaire commis le 16 mai 1997 alors que les manquements ponctuels relevés par la Cour – utilisation de chaînes trop courtes et absence de vérification de l’état des sangles – n’avaient pas été commis par ses organes ou représentants » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’en 1997, un salarié de la société Sicra, posté sur la remorque d’un camion où il était occupé à amarrer des poutres en béton pour permettre leur déchargement à l’aide d’une grue, a été écrasé par l’une d’elles, les sangles la retenant s’étant rompues alors que, hissée par la grue, elle se trouvait à une hauteur d’environ trois mètres ; qu’à la suite de cet accident, la société Sicra a été poursuivie pour homicide involontaire ; qu’il lui est reproché, au titre de la faute constitutive de ce délit, d’avoir méconnu les prescriptions des articles L. 230-2 du Code du travail et 25 du décret n° 47-1592 du 23 août 1947 portant règlement d’administration publique en ce qui concerne les mesures particulières de sécurité relatives aux appareils de levage autres que les ascenseurs et monte-charge, alors en vigueur ;
Attendu que, pour retenir la culpabilité de la société, la cour d’appel énonce qu’en méconnaissance des prescriptions du plan particulier de sécurité établi par elle, aucun contrôle de l’état des élingues n’avait été effectué avant l’accident ; qu’elle ajoute que l’usure des sangles a été favorisée par l’utilisation de chaînes trop courtes ; qu’elle retient encore qu’en méconnaissance des dispositions du décret précité, aucun salarié n’assurait la liaison entre le conducteur de la grue, posté dans une cabine suspendue, et les personnes occupées sur l’aire au-dessus de laquelle la charge évoluait ; que les juges précisent que les fautes relevées sont imputables à Michel X…, directeur de la société, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité, ayant, comme tel, la qualité de représentant au sens de l’article 121-2 du Code pénal ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction et dès lors que les prescriptions de l’article 25 du décret du 23 août 1947 ne sont pas contraires à celles de l’article 39 du décret n° 65-48 du 8 janvier 1965, en vigueur à l’époque des faits, les juges ont justifié leur décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;