Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 27 février 1989, 88-80.840, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 27 février 1989, 88-80.840, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-sept février mil neuf cent quatre vingt neuf, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller TACCHELLA, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER et de Me RYZIGER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;

Statuant sur les pourvois formés par :

1)- L’ADMINISTRATION DES DOUANES, partie intervenante,

contre l’arrêt de la 10ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de PARIS, en date du 20 novembre 1987 qui a relaxé X… Dé, X… Than, Y… Peter et Z… Phong des chefs d’association ou d’entente dans le but d’importer en France une marchandise de contrebande, en l’espèce de l’héroïne, et pour tentative d’importation en contrebande de 56 kilogs de ce stupéfiant ;

2)- Y… Peter

3)- X… Than, prévenus,

contre le même arrêt qui les a déclarés coupables d’abus de biens sociaux et les a condamnés respectivement Y… à un an d’emprisonnement et 250 000 francs d’amende, X… Than à un an d’emprisonnement et 50 000 francs d’amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I.- Sur le pourvoi de X… Than :

Attendu qu’aucun moyen de cassation n’est proposé par ce demandeur ;

II.- Sur le pourvoi de l’administration des Douanes :

Vu les mémoires produits, tant en demande qu’en défense ;

Sur le moyen unique de cassation proposé, et pris de la violation des articles 38, 215, 343, 373, 382, 388, 392, 398, 399, 409, 416, 417, 419, 435, 438 du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

 » en ce que l’arrêt attaqué a prononcé la relaxe au profit des prévenus ;

 » aux motifs qu’ » aucune demande de licence d’importation en France de sirop de rambutan n’avait été déposée ; qu’il était exclu que les boîtes de rambutan aient pu franchir la frontière française sans autre formalité et à bref délai ;

 » et surtout alors qu’une partie de l’accusation se fonde sur l’affirmation que les boîtes de sirop de rambutan destinées à la France étaient nécessairement celles qui contenaient l’héroïne, force est de constater qu’au moment de l’intervention de la police belge, rue Fruithaffam, plus aucune boîte ne contenait de stupéfiants, puisqu’A… et B… les avaient toutes vidées de leur contenu, et que c’est en vrac, dans des emballages en plastique, que les 56 kilogrammes d’héroïne furent saisis ;

 » que pour entrer en condamnation, les premiers juges se sont longuement attardés sur des faits remontant à 1980, et révélés par les aveux de C… devant la justice belge ; qu’à cette époque, une saisie de 11 kilos 800 d’héroïne avait été effectuée à Paris ; que, C… devait dévoiler que c’était en réalité 35 kilogrammes d’héroïne base qui avaient été introduits en France à cette occasion, et ce dans une machine à fabriquer les nouilles chinoises, laquelle était destinée à la société Mann Yee ;

 » que la mise en cause de cette société ramène nécessairement aux prévenus de la présente procédure puisque les frères X…, X… Than et X… Dé, en sont les actionnaires et que Y… Peter en a été le fondateur et le principal financier ; qu’il a été prouvé qu’en 1980 précisément, les frères X… et Ng Peter lui-même, avaient été en contact, notamment à Bangkok, avec un certain D… dit E…, dépeint comme l’un des maîtres du trafic d’héroïne entre le sud-est asiatique et l’Europe occidentale, et condamné récemment à 37 années d’emprisonnement par la justice thaïlandaise ;

 » que cette référence, si sérieuse et si précise soit-elle, et qui, ajoutée à d’autres éléments du dossier, (tels que prêts de véhicule, contacts répétés des uns avec les autres, voyages dont les dates coïncident avec l’expédition et l’arrivée de l’héroïne en Europe) permet de présumer que les prévenus dont le cas est examiné ce jour, sont effectivement liés de très près aux trafiquants internationaux qui sévissent à partir de Hong-Kong, Bangkok ou Singapour ;

 » Mais qu’elle ne doit pas faire oublier que, dans le dossier soumis à la Cour, l’aboutissement des poursuites est subordonné à la preuve que ce trafic, en décembre 1983- janvier 1984, était destiné au marché français ;

 » que, de l’ensemble des éléments qui précèdent, il ressort que cette preuve n’est pas rapportée et que, s’il résulte de la procédure un faisceau de présomption-énumérées avec précision par le tribunal à propos de chacun des prévenus-permettant de conclure que ceux-ci ne sont pas étrangers au trafic qui a connu son terme à Anvers le 28 janvier 1984, rien par contre n’autorise à affirmer que ce trafic devait avoir des prolongations sur le territoire français  » ;

 » alors que toute tentative de délit douanier est considérée comme le délit même ; qu’en l’espèce l’arrêt attaqué a constaté que 35 kg d’héroïne base avaient été introduits en France dans une machine destinée à une société dont les prévenus étaient les fondateurs et les responsables financiers ; que l’arrêt a relevé que les prévenus étaient en relation avec un des maîtres du trafic d’héroïne entre le sud-est asiatique et l’Europe ; qu’il a constaté l’existence en France de prêts de véhicule, de contacts répétés avec des trafiquants, de voyages dont les dates coïncidaient avec l’expédition et l’arrivée de l’héroïne ; qu’en prononçant cependant la relaxe des prévenus  » qui ne sont pas étrangers  » au trafic litigieux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et partant a violé les articles visés au moyen  » ;

Attendu que pour relaxer X… Dé, X… Than, Y… Peter et Z… Phong renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir courant 1983 et 1984 conclu une association ou une entente en vue d’importer, détenir et céder une marchandise de contrebande, en l’espèce de l’héroïne, et qui avaient été cités devant la même juridiction à la requête de l’administration des Douanes pour avoir, en outre, tenté dans les mêmes circonstances de temps et de lieu d’introduire sur le territoire national ce même stupéfiant, l’arrêt attaqué énonce que s’il n’est pas discutable que les trafiquants arrêtés à Anvers le 27 janvier 1984 avaient réussi à introduire en Belgique 56 kilos d’héroïne dissimulés dans des boîtes de conserves alimentaires, aucun de ceux-ci n’avait mis en cause les ressortissants chinois, vietnamiens ou cambodgiens vivant à Paris et renvoyés ou cités devant le tribunal correctionnel de cette ville ; que si ces derniers avaient entretenu avec les personnages arrêtés en Belgique des relations téléphoniques fréquentes et troublantes,

rien ne permettait d’affirmer que si la drogue n’avait pas été saisie, à l’arrivée du cargo battant pavillon thaïlandais, dans le port d’Anvers, celle-ci aurait transité par la Belgique pour parvenir en France ; que les seuls indices retenus par les premiers juges ne suffisaient pas à établir la culpabilité, d’autant plus que le paquebot qui avait été arraisonné en Belgique avait auparavant fait escale au Havre, où aucun des cartons de conserves truffés d’héroïne n’avait été débarqué ; que, par suite les quatre prévenus poursuivis en France pour les deux délits douaniers qui leur étaient imputés et celui de stupéfiants qu’ils n’avaient cessé de contester ne pouvaient que bénéficier d’une relaxe de ces chefs ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, dépourvus d’insuffisance et de contradiction, la cour d’appel a justifié sa décision ; que le moyen qui tente en vain de remettre en cause devant la Cour de Cassation les éléments de preuve contradictoirement débattus devant les juges du fond ne peut donc être accueilli ;

III.- Sur le pourvoi de Y… Peter :

Vu le mémoire produit ;

1)- Sur le premier moyen de cassation proposé par ce demandeur, et pris de la violation de l’article 446 du Code de procédure pénale ;

Attendu que par mémoire additionnel en date du 28 septembre 1988 Y… Peter a déclaré renoncer expressément à invoquer ce grief ; qu’il convient de lui en donner acte ;

2)- Sur le second moyen de cassation proposé par ce demandeur (devenant ainsi son moyen unique de cassation), et pris de la violation de l’article 437 du Code pénal, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ;

 » en ce que la décision attaquée a déclaré l’exposant coupable d’abus de biens sociaux ;

 » aux motifs que dans le cadre de l’information diligentée sur le trafic d’héroïne, le magistrat instructeur et les enquêteurs avaient relevé d’importantes distorsions entre les ressources avouées des prévenus et leurs moyens réels d’existence ; que c’est ainsi qu’il a été établi que X… avait reçu en espèces de 1980 à 1984, une somme de 311 200 francs, et que plus d’un million de francs avaient transité pendant la même période sur les comptes bancaires de X… Than ; ce dernier s’en est expliqué, en partie par des prêts qui lui auraient été consentis, en partie par le fait que des sommes prélevées sur la société Chinatown pour renflouer la société Mann Yee en difficulté auraient transité par ses comptes personnels ; que cette dernière explication qui justifierait à elle seule les poursuites du chef d’abus de biens sociaux n’a pas été démentie par Y… Peter, qui a précisé que des règlements sans factures avaient été effectués dans les deux sociétés et que des fonds avaient été prélevés sur la société Chinatown, non seulement pour

renflouer Mann Yee, mais aussi pour verser des dividendes occultes et des salaires non déclarés aux actionnaires et employés ; que devant la Cour, Ng Peter a lui-même chiffré à 300 000 francs le montant des opérations ainsi réalisées ;

 » alors, d’une part, que le délit d’abus de biens sociaux consiste dans le fait, pour un dirigeant social, de faire des biens de la société, un usage contraire à l’intérêt social soit à des fins personnelles, soit pour favoriser une autre entreprise constituée sous forme de société ou non, dans laquelle il est directement ou indirectement intéressé ; que l’indication que des règlements auraient été effectués sans factures, sans indication de la nature de ces règlements, n’est pas de nature à établir à lui seul l’existence d’un abus de biens sociaux et ne permet pas à la Cour de Cassation d’exercer son contrôle sur l’existence des éléments légaux du délit d’abus de confiance ;

 » alors, d’autre part, que la décision attaquée qui n’indique pas si l’exposant aurait eu des intérêts dans la société Mann Yee, ni les raisons pour lesquelles il n’aurait pas été conforme à l’intérêt social de la société Chinatown d’utiliser des fonds pour renflouer Mann Yee, ni dans quelles conditions cette société aurait été renflouée, ne caractérise pas le délit d’abus de biens sociaux prévu et réprimé par l’article 437 de la loi du 24 juillet 1966 ;

 » alors, enfin, que le fait de distribuer en espèces des dividendes, s’il peut constituer une infraction fiscale, ne constitue pas un abus de biens sociaux, et ne saurait constituer une infraction à l’article 437 de la loi du 24 juillet 1966 s’il n’est pas établi que les dividendes occultes ainsi réalisés sont fictifs  » ; Attendu que pour dire le prévenu coupable de ce délit, l’arrêt attaqué énonce que dans le cadre de l’information ouverte le magistrat instructeur avait relevé d’importantes distorsions entre les ressources avouées par l’intéressé et ses moyens réels d’existence ; que Y… Peter avait de son coté admis avoir, avec des fonds de la SA  » Chinatown  » qu’il dirigeait, procédé à des achats et à des ventes sans facture, renfloué une société  » Mann Yee  » en difficulté et versé des dividendes occultes notamment à certains de ses employés, 300 000 francs de fonds sociaux ayant été ainsi dilapidés pour des fins toutes étrangères à l’activité commerciale de la SA  » Chinatown  » et préjudiciables à ses intérêts économiques ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations et constatations l’arrêt attaqué a justifié l’ensemble des éléments constitutifs tant matériels qu’intentionnel du délit prévu et puni par l’article 437 de la loi du 24 juillet 1966 dont Y… Peter a été reconnu coupable ;

Que dès lors le moyen par lui proposé ne peut qu’être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Tacchella conseiller rapporteur, MM. Souppe, Gondre, Hébrard, Hecquard, Guilloux, Blin conseillers de la chambre, M. Bayet, Mme Bregeon conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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