Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
IRRECEVABILITE, REJET ET CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par le procureur général près la cour d’appel de Versailles, X… Arnaud, Y… Élisabeth, veuve X…, la société Lambda, partie civile, contre l’arrêt de ladite cour d’appel, 9e chambre, en date du 30 juin 2005, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre Jean-Luc X…, du chef d’abus de biens sociaux, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I. – Sur le pourvoi du procureur général :
Sur sa recevabilité contestée en défense :
Attendu que, le ministère public n’étant pas recevable à se pourvoir contre une décision qui ne concerne que des intérêts civils, le pourvoi formé par le procureur général, qui n’invoque aucune violation affectant l’intérêt général dont il a la garde, est irrecevable ;
II. – Sur les autres pourvois :
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que les sociétés Matra et Hachette, devenues Lagardère SCA, présidées par Jean-Luc X…, ont conclu des conventions avec la société Arjil groupe, également dirigée par celui-ci, aux termes desquelles elles s’engageaient à verser un honoraire forfaitaire annuel égal à 0,20 % de leurs chiffres d’affaires consolidés, révisable en cas de variation brutale et sensible de ces chiffres, pour la rémunérer de prestations d’animation, de relation, d’assistance, définies de manière globale et devant faire chaque année l’objet d’un rapport particulier ; que ces conventions ont été approuvées par les assemblées générales des sociétés tenues respectivement les 20 et 26 juin 1989 ; que la société Lambda, actionnaire des sociétés Matra et Hachette, qui exerce l’action sociale au nom de la société Lagardère SCA, estimant que la rémunération de la société Arjil groupe était très supérieure au coût réel des prestations qu’elle était censée procurer, a porté plainte et s’est constituée partie civile le 29 décembre 1992 pour des abus de biens sociaux commis, au préjudice des premières, de 1988 à 1992 ;
Attendu que, par arrêt confirmatif du 25 janvier 2002, la cour d’appel de Paris a constaté la prescription de l’action publique après avoir relevé que le point de départ du délai devait être fixé aux dates auxquelles les assemblées générales des sociétés Matra et Hachette ont approuvé les conventions ; que, par arrêt du 8 octobre 2003, la Cour de cassation, après avoir constaté l’extinction de l’action publique par le décès de Jean-Luc X… survenu le 14 mars 2003, a cassé et annulé cette décision en toutes ses dispositions civiles ;
En cet état :
1°) Sur le pourvoi des ayants droit de Jean-Luc X… :
Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Arnaud X…, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 2, 3, 6, 497, 591, 593 et 609 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
» en ce que la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Versailles s’est déclarée compétente pour statuer sur les demandes de la société Lambda, partie civile exerçant l’action ut singuli dirigée contre les héritiers de Jean-Luc X… à l’encontre duquel l’action publique était éteinte et a prononcé sur les intérêts civils ;
» aux motifs que si le décès de la personne poursuivie entraîne l’extinction de l’action publique, l’action civile se poursuit devant la juridiction répressive si le décès de l’auteur de l’infraction intervient après le prononcé d’une décision statuant sur l’action publique ; que tel est le cas des décisions constatant la prescription émanant du tribunal et de la cour de Paris, juridictions de jugement régulièrement saisies par l’ordonnance de renvoi et se prononçant donc sur l’action publique avant le décès de Jean-Luc X… ; que seule la juridiction correctionnelle demeure dès lors compétente pour rechercher si la prescription des faits est acquise et, dans la négative, si, au regard des intérêts civils, les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux étaient réunis à l’encontre de Jean-Luc X… ; que c’est au demeurant ce qu’a décidé la Cour de cassation en renvoyant la cause devant la cour de Versailles ; en effet, si elle avait retenu la thèse de la défense, la chambre criminelle aurait considéré qu’il n’y avait lieu à statuer sur le pourvoi ;
» 1° alors que, l’action publique s’éteignant par la mort de la personne poursuivie, la partie civile ne peut agir en principe que devant les juridictions civiles, la juridiction répressive ne demeurant compétente pour statuer sur les demandes dirigées contre les ayants droit qu’autant qu’elle avait rendu du vivant de la personne poursuivie un jugement sur le fond c’est-à-dire se prononçant sur la culpabilité et que ni le tribunal correctionnel de Paris ni la cour d’appel de Paris ne s’étant prononcés sur la culpabilité avant le décès de Jean-Luc X… puisqu’ils s’étaient bornés à constater la prescription des faits qui lui étaient reprochés, la cour de renvoi ne pouvait, sans méconnaître le principe susvisé, retenir sa compétence pour statuer sur les demandes de la société Lambda dirigées contre les héritiers de Jean-Luc X… ;
» 2° alors que, l’arrêt de renvoi n’étant pas attributif mais simplement indicatif de compétence, la juridiction de renvoi a l’obligation de vérifier sa compétence avant de statuer, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, elle y a été expressément invitée par les conclusions des parties » ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton pour Élisabeth Y…, pris de la violation de l’article 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles 2, 3, 6, 8, 591, 593 et 609 du code de procédure pénale :
» en ce que l’arrêt s’est déclaré compétent pour statuer sur les intérêts civils ;
» aux motifs que, « si le décès de la personne poursuivie entraîne l’extinction de l’action publique, l’action civile se poursuit devant la juridiction répressive si le décès de l’auteur de l’infraction intervient après le prononcé d’une décision statuant sur l’action publique ; que tel est le cas des décisions constatant la prescription émanant du tribunal ou de la cour d’appel de Paris, juridictions de jugement régulièrement saisies par l’ordonnance de renvoi et se prononçant donc sur l’action publique avant le décès de Jean-Luc X… ; que seule la juridiction correctionnelle demeure dès lors compétente pour rechercher si la prescription des faits est acquise et dans la négative si, au regard des intérêts civils, les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux étaient réunis à l’encontre de Jean-Luc X… ; que c’est au demeurant ce qu’a décidé la Cour de cassation en renvoyant devant la cour de Versailles ; qu’en effet, si elle avait retenu la thèse de la défense, la chambre criminelle aurait considéré qu’il n’y avait lieu à statuer sur le pourvoi ; que l’exception d’incompétence sera, dès lors, écartée » ;
» 1° alors que, lorsque le décès du prévenu se produit avant toute décision sur le fond, la juridiction correctionnelle devient incompétente pour connaître de l’action civile ; qu’en affirmant, comme un principe, que la compétence de la juridiction répressive serait maintenue dès lors qu’une décision sur l’action publique serait rendue avant le décès du prévenu laissant ainsi supposer que le maintien de la compétence des juridictions répressives concernerait toute décision sur l’action publique qu’elle constitue ou non une décision sur le fond, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
» 2° alors que, le jugement qui constate l’extinction de l’action publique est une décision distincte d’un jugement sur le fond ; qu’en affirmant que les juridictions répressives restent compétentes pour connaître de l’action civile lorsqu’une décision constatant l’extinction de l’action publique est rendue par une juridiction de jugement avant le décès du prévenu bien que le juge, qui ne s’est alors prononcé que sur la validité de la poursuite, soit devenu incompétent pour connaître de l’action civile, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
» 3° alors que, l’arrêt de renvoi n’étant pas attributif mais seulement indicatif de compétence, la juridiction de renvoi a l’obligation de vérifier sa compétence avant de statuer, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, elle y a été expressément invitée par les conclusions des parties » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour écarter l’exception d’incompétence de la juridiction répressive pour connaître de l’action civile prise, par les ayants droit de Jean-Luc X…, de ce qu’aucune décision n’avait été rendue, au fond, sur l’action publique, avant le décès du prévenu, l’arrêt énonce, notamment, que les jugement et arrêt constatant la prescription de l’action publique ont statué sur celle-ci avant le décès du prévenu ; que les juges ajoutent que la juridiction correctionnelle, saisie sur renvoi après cassation, est seule compétente pour rechercher si la prescription est acquise et si, au regard des intérêts civils, les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux sont réunis ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision ;
Qu’en effet, les juridictions de jugement régulièrement saisies des poursuites avant l’extinction de l’action publique demeurent compétentes pour statuer sur l’action civile ;
D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Arnaud X…, pris de la violation des articles L. 242-6 du code de commerce, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné Arnaud X…, solidairement avec Elisabeth Y… à payer à la SCA Lagardère la somme de 14 345 452,52 euros ;
» aux motifs que contrairement à ce que soutient la défense et comme l’ont relevé la partie civile et les experts, aucune plus-value, aucune valeur ajoutée n’ont été apportées par la société Arjil groupe aux sociétés Matra et Hachette justifiant le bénéfice de 94,1 MF qu’elle a encaissé ; en effet, il n’est pas contesté que les redevances payées par Matra et Hachette étaient les seules ressources d’Arjil groupe et que celle-ci s’est contentée de prendre en charge, d’abord de façon partielle puis de façon complète, la rémunération des cadres dirigeants des sociétés Matra et Hachette qui ont continué à exercer leurs fonctions avec la même efficacité au sein de chaque société, comme ils le faisaient avant l’exécution des conventions, lorsqu’ils étaient directement rémunérés par ces dernières ; que de même, les prestations extérieures payées par la société Arjil groupe au profit de Matra et Hachette étaient les mêmes que celles commandées et payées auparavant par ces sociétés et le fait qu’elles soient demandées par Arjil groupe ne leur conférait aucune qualité supérieure justifiant un bénéfice pour Arjil groupe, au détriment des sociétés Matra et Hachette ; qu’il résulte, en outre, de la consultation des rapports annuels d’activités sur les prestations effectuées par Arjil groupe, prévus à l’article 4 des sociétés de 1988 que ceux-ci se bornent à retracer l’activité de chacune des sociétés du groupe Matra et Hachette, les interventions distinctes de leurs dirigeants, leurs voyages à l’étranger, leurs conférences, sans mettre en évidence, en dehors d’une réunion mensuelle, puis hebdomadaire, une activité spécifique d’Arjil groupe qui aurait pu bénéficier à Matra et Hachette et justifier le montant de leurs redevances ; qu’aucune référence n’est d’ailleurs faite à la société Lagardère Elevage ; qu’il a été précisé à l’audience qu’Arjil groupe n’avait pas de locaux spécifiques mais était hébergée par Matra, qu’elle ne disposait pas de personnels propres mais avait recours soit à des consultants extérieurs, soit à du personnel de Matra et Hachette ; que, si M. Z…, ancien ministre de la défense, de 1986 à 1988, a été recruté directement par Arjil groupe et a fait bénéficier la société Matra de ses activités de lobbying, celles-ci auraient pu tout aussi bien être directement rémunérées par Matra pour le même montant sous réserve d’un éventuel conflit d’intérêts et il n’est pas démontré que la prise en charge de cette rémunération par Arjil groupe constitue une plus-value pour Matra, justifiant une marge supplémentaire imposée à cette société ; que de même, la fusion entre Matra et Hachette a été réalisée grâce à des travaux d’intervenants extérieurs facturés et payés par Arjil groupe au moyen de la redevance, pour un montant de 4 MF ; mais, ces prestations se seraient élevées au même montant si elles avaient été directement commandées par Matra et Hachette, sans qu’une plus-value spécifique, au-delà de la coordination des études, qui relève du rôle naturel du président, soit apportée par Arjil groupe ; qu’enfin, la mise en commun de moyens par des entreprises ayant un même dirigeant doit permettre d’optimiser le coût total de leur personnel de direction, donc de faire faire des économies aux sociétés concernées et n’a pas pour finalité de faire réaliser au dirigeant des bénéfices personnels supplémentaires, au détriment du résultat des sociétés ; il a été démontré que tel n’a pas été le cas en l’espèce ;
qu’en conclusion, si le développement du groupe Matra-Hachette est incontestable, il est néanmoins établi que le système mis en place par le cabinet Arthur Andersen, à la demande de Jean-Luc X…, consistant à faire verser par des sociétés, dont il était le président, qui n’avaient entre elles aucun intérêt économique, au profit d’une « société faîtière », qui n’était pas dans le périmètre de consolidation, et dont il était, avec son fils, le seul propriétaire, des redevances supérieures aux charges engagées par cette dernière avec pour cette société un bénéfice de 94,1 MF, sans réelle valeur ajoutée, est constitutif du délit d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette ;
» 1° alors qu’en retenant que des versements avaient été réalisés au profit d’une « société faîtière » qui n’était pas dans le périmètre de consolidation, circonstance inopérante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
» 2° alors que, la cour d’appel, ayant constaté qu’Arjil groupe avait pris en charge « d’abord de façon partielle puis de façon complète » la rémunération des cadres dirigeants des sociétés Matra et Hachette, avait payé les prestations extérieures y compris de lobbying au profit de Matra et Hachette et avait permis ce faisant la réalisation de cette importante opération que constitue la fusion entre les sociétés du groupe de dimension internationale, ne pouvait, sans se contredire, affirmer d’un autre côté que ces sociétés n’avaient entre elles « aucun intérêt économique » ;
» 3° alors que, dans la mesure où il se déduisait de ses constatations que l’activité de dirigeant des sociétés Matra et Hachette et des intervenants extérieurs, les uns et les autres rémunérés par la société Arjil groupe, avait permis au travers de la fusion entre Matra et Hachette, un développement du groupe incontestable, la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer que les redevances perçues par la société Arjil groupe en provenance de Matra et Hachette n’avaient produit « aucune réelle valeur ajoutée » ;
» 4° alors que, la cour d’appel, qui constatait expressément dans sa décision que le développement du groupe Matra-Hachette dont les sociétés Matra et Hachette sont les principales sociétés est « incontestable », ne pouvait, sans s’expliquer préalablement sur le chef péremptoire des conclusions d’Arnaud X… mettant en évidence l’augmentation fulgurante au cours de la période de la prévention des résultats du groupe tant en terme de croissance, qu’en terme de rentabilité et qu’en terme de capitalisation boursière, affirmer que la mise en commun des moyens par des entreprises ayant le même dirigeant avait eu pour finalité de faire réaliser au dirigeant des bénéfices personnels supplémentaires au détriment du résultat des sociétés ;
» 5° alors que, la notion d’équilibre entre l’engagement respectif des diverses sociétés concernées implique l’examen de l’ensemble des avantages apportés par lesdites sociétés et des risques encourus par elles ; que dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour de renvoi, Arnaud X… faisait valoir, d’une part, que ni l’accusation ni la partie civile n’apportaient la preuve de la disproportion entre le prix payé par les sociétés Matra et Hachette, prix parfaitement raisonnable au regard des capacités financières de ces sociétés, et les prestations fournies par la société Arjil groupe et, d’autre part, qu’à l’inverse, l’avis technique motivé (annexé aux conclusions) porté sur la rémunération d’Arjil groupe par MM. A…, ancien président de la compagnie nationale des commissaires aux comptes et B…, ancien président du conseil supérieur des experts-comptables, établissait que la marge dégagée par Arjil groupe trouvait sa légitimité tant dans les avantages notamment incorporels procurés au groupe par cette société au-delà des coûts qu’elle supporte que dans les risques encourus par elle au bénéfice du groupe, le niveau de rémunération de cette structure de management correspondant au demeurant à un système de commandite et étant comparable à celui constaté auprès d’experts et de conseils de haut niveau ou dirigeants de groupes internationaux et français et qu’en ne s’expliquant pas sur ce chef péremptoire de conclusions, la cour de renvoi a privé sa décision de base légale ;
» 6° alors que, Arnaud X… démontrait, dans ses conclusions régulièrement déposées, d’une part, que la rémunération du dirigeant était normale au regard de celles versées aux dirigeants d’entreprises comparables et, d’autre part, que cette rémunération était justifiée plus qu’à suffire par l’exceptionnelle plus-value apportée via la société Arjil groupe par Jean-Luc X… aux sociétés Matra et Hachette et qu’en omettant de s’expliquer sur ce chef péremptoire de conclusions, l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale ;
» 7° alors que, la cour d’appel a estimé que le développement du groupe Matra-Hachette est incontestable ; qu’en s’abstenant de constater que le profit réalisé par ces sociétés avait pu être comparable sans la mise en place du mécanisme reproché à Jean-Luc X…, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’appauvrissement des sociétés, privant ainsi sa décision de base légale » ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton pour Élisabeth Y…, pris de la violation de l’article L. 242-6 du code de commerce et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale :
» en ce que l’arrêt a dit que les éléments constitutifs des délits d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette étaient caractérisés pour les exercices 1989-1990-1991 et 1992, à l’encontre de Jean-Luc X… ;
» aux motifs qu’ »il a déjà été relevé que Jean-Luc X… avait maintenu le système des redevances prélevées au préjudice des sociétés Matra et Hachette alors que son attention avait été attirée tant par la COB que par Alain C… sur la qualification d’abus de biens sociaux que pourrait revêtir un tel montage ; qu’en outre, les nombreux changements de structure et de nom des sociétés qui auraient dû logiquement aboutir à la constitution d’un groupe consolidé n’ont, en réalité, eu pour objet que de faire remonter, dans une société personnelle, non consolidée, des bénéfices qui auraient dû rester au sein des sociétés Matra et Hachette ou être distribués à l’ensemble de leurs actionnaires ; qu’en conclusion, si le développement du groupe Matra-Hachette est incontestable, il est néanmoins établi que le système mis en place par le cabinet Arthur Andersen, à la demande de Jean-Luc X…, consistant à faire verser par des sociétés, dont il était le président, qui n’avaient entre elles aucun intérêt économique, au profit d’une « société faîtière », qui n’était pas dans le périmètre de consolidation, et dont il était, avec son fils, le seul propriétaire, des redevances supérieures aux charges engagées par cette dernière avec pour cette société un bénéfice de 94,1 MF, sans réelle valeur ajoutée, est constitutif du délit d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette » ;
» 1° alors que, la mauvaise foi du dirigeant poursuivi du chef d’abus de biens sociaux n’est caractérisée que s’il est établi qu’il avait connaissance du caractère délictueux des agissements qui lui sont reprochés ; qu’en déduisant la mauvaise foi de M. X… du fait que son attention avait été attirée par Alain C… sur la qualification d’abus de biens sociaux que pourrait revêtir le montage bien qu’Alain C…, simple actionnaire, n’ait eu aucune légitimité ou compétence particulière pour apprécier la légalité des conventions, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
» 2° alors que, tout arrêt en matière correctionnelle doit constater l’existence de tous les éléments constitutifs de l’infraction poursuivie ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt que le président de la COB a, le 2 juin 1992, indiqué à la société Lambda, partie civile ayant porté les conventions litigieuses à sa connaissance, que des diligences avaient été effectuées pour qu’une information exhaustive soit donnée aux actionnaires et que les informations ainsi données étaient de nature à répondre à ses préoccupations ; qu’en déduisant la mauvaise foi de M. X… du fait que son attention avait été attirée par la COB sur la qualification d’abus de biens sociaux que pourrait revêtir le montage alors que la COB, après avoir émis des réserves, avait, en définitive, jugé l’opération parfaitement régulière et n’avait pas jugé utile d’ordonner une enquête ou de saisir les autorités de poursuite de soupçons sur l’existence d’un éventuel abus de biens sociaux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés » ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Arnaud X…, pris de la violation des articles L. 242-6 du code de commerce, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné Arnaud X…, solidairement avec Elisabeth Y… à payer à la SCA Lagardère la somme de 14 345 452,52 euros ;
» aux motifs qu’il a déjà été relevé que Jean-Luc X… avait maintenu le système des redevances prélevées au préjudice des sociétés Matra et Hachette alors que son intention avait été attirée tant par la COB que par Alain C… sur la qualification d’abus de biens sociaux que pourrait revêtir un tel montage et qu’en outre les nombreux changements de structure et de nom des sociétés qui auraient logiquement abouti à la constitution d’un groupe consolidé n’ont, en réalité, eu pour objectif que de faire remonter, dans une société personnelle, non consolidée, des bénéfices qui auraient dû rester au sein des sociétés Matra et Hachette ou être distribués à l’ensemble de leurs actionnaires ;
» 1° alors que, la cour de renvoi ne pouvait, sans se contredire, affirmer que l’avis de la COB adressé le 29 décembre 1990 aux dirigeants des sociétés concernées était destiné à attirer leur attention sur la qualification d’abus de biens sociaux que pourrait revêtir le montage ultérieurement objet de critique devant la juridiction correctionnelle tandis qu’elle constatait que cet avis était destiné à susciter des remarques de leur part, remarques qui ont entièrement satisfait l’autorité de marché, ce qui a été mis en évidence par un courrier adressé par cet organisme à Alain C… le 2 juin 1992 ainsi que le faisait valoir Arnaud X… dans ses conclusions régulièrement déposées et de ce chef délaissées ;
» 2° alors que, la mise en garde adressée par un actionnaire, quelle que soit sa compétence, au dirigeant d’une société de dimension internationale, n’est pas de nature à caractériser la mauvaise foi dans la personne de ce dirigeant ;
» 3° alors que, les juges doivent répondre au chef péremptoire des conclusions qui leur sont soumises démontrant l’absence de mauvaise foi de la personne poursuivie ; que dans ses conclusions régulièrement déposées, Arnaud X… se prévalait, pour démontrer la bonne foi de Jean-Luc X…, de la consultation préalable à la signature des conventions des commissaires aux comptes qui les avaient trouvées normales, de la présence d’un commissaire du gouvernement au sein du conseil d’administration de la société Matra et de l’information complète des actionnaires à la suite de la demande de la COB et qu’en s’abstenant de répondre à ces chefs péremptoires de conclusions, la cour de renvoi a privé sa décision de base légale » ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton pour Élisabeth Y…, pris de la violation de l’article L. 242-6 du code de commerce et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale :
» en ce que l’arrêt a dit que les éléments constitutifs des délits d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette étaient caractérisés pour les exercices 1989-1990-1991 et 1992, à l’encontre de Jean-Luc X… ;
» aux motifs que, « pour constituer le délit prévu par l’article 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l’article L. 242-6 du code de commerce, l’usage des biens sociaux doit avoir été fait par un dirigeant d’une société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle ce dirigeant est directement ou indirectement intéressé, de mauvaise foi, en sachant que cet usage est contraire aux intérêts de la société ; qu’en l’espèce, il n’est pas contestable que la conclusion et l’exécution des conventions de 1988, signées par les sociétés anonymes Matra et Hachette, dont Jean-Luc X… était le dirigeant avec la SA Arjil groupe, dont ce dernier était également président et unique actionnaire avec son fils, Arnaud X…, ont été réalisées et exécutées dans l’intérêt personnel de Jean-Luc X… ; que le bénéficie de la société Arjil groupe a été, pendant la période de prévention, d’un montant de 94,1 MF ; que Jean-Luc X…, propriétaire exclusif, avec son fils, de la société, pouvait librement décider, chaque année, de se distribuer des bénéfices ou si tel n’était pas le cas, il profitait personnellement d’une augmentation de la valeur de sa société ; que la cour observe, à cet égard, que, contrairement à ce qui est soutenu par la défense, ce montage ne comportait aucune risque pour Jean-Luc X… puisque les redevances dues par les sociétés Matra et Hachette étaient calculées sur leur chiffre d’affaires indépendamment des résultats, que leur montant était fixé de manière substantielle et que la société Arjil groupe, bénéficiaire de ces redevances, se trouvait hors du périmètre de consolidation de Matra et d’Hachette ; qu’en outre, ce système a notamment permis à Jean-Luc X… de « réaliser les justes économies d’impôts auxquelles j’ai absolument droit », comme il l’avait lui-même déclaré aux services de police ; qu’en effet, en intégrant les pertes de Lagardère Elevage (dont il était seul propriétaire) dans la société Arjil groupe, et en les faisant ainsi prendre en charge, de manière indirecte, par les redevances de Matra et Hachette, ce qui ne répondait à aucune logique, ni nécessité économique (aucune référence n’est d’ailleurs faite à la société Lagardère Elevage dans les rapports d’activités d’Arjil groupe), Jean-Luc X… a diminué d’autant le bénéfice imposable d’Arjil groupe et a agi dans un intérêt purement personnel, d’autant qu’en tant que président des trois sociétés Matra, Hachette et Arjil groupe, il était libre de répartir entre celles-ci les prises en charge des salaires de tel ou tel cadre ou les prestations de tel ou tel intervenant et d’augmenter ainsi, à travers ceux d’Arjil groupe, ses bénéfices personnels ; que l’intérêt personnel de Jean-Luc X… à la conclusion et à l’exécution de ces conventions est caractérisé ; que sur la contrariété à l’intérêt social des sociétés Matra et Hachette, contrairement à ce que soutient le ministère public, le respect purement mutuel formel de la procédure d’approbation des conventions réglementées, alors prévue par l’article 101 de la loi de 1966, ne permet pas, à lui seul, de considérer qu’il n’y a pas eu atteinte à l’intérêt social, en particulier lorsqu’il est avéré que le dirigeant détient tous les pouvoirs et qu’il est assuré du soutien inconditionnel de la majorité des actionnaires principaux ;
qu’à cet égard, les déclarations, devant le juge d’instruction, de M. D…, directeur de Daimler Benz, actionnaire à hauteur de 5 % de Matra, de M. E…, directeur de l’organisation de la BNP, actionnaire de Matra et de M. F…, représentant le Crédit lyonnais, membre du conseil d’administration de Matra et Hachette sont particulièrement révélatrices ; M. D… : « mon attention a été attirée sur cette convention après 1992, lorsque j’ai lu les choses dans la presse » ; que Daimler Benz ne connaissait pas le montant des prestations facturées à Matra, de 1988 à 1992 ; qu’il savait encore moins qu’un bénéfice était réalisé sur la redevance et quel était le montant de ce bénéfice ; que l’organigramme était assez complexe et je connaissais Arjil groupe mais je ne savais pas à qui cela appartenait » ; que M. E… : » l’actionnaire BNP n’avait pas connaissance du bénéfice réalisé par Arjil groupe, ne savait pas que le bénéfice réalisé lui revenait entièrement » ; que M. F… :
» l’actionnaire Crédit lyonnais connaissait l’existence de ces conventions, mais ne connaissait pas le prix de revient des prestations de management imputées à Matra et Hachette, ne savait pas qu’un bénéfice était réalisé par Arjil groupe sur la redevance forfaitaire, mais le système était construit pour ne pas être déficitaire, sinon on ne voit pas quel mobile aurait eu la famille X… à perdre de l’argent en gérant son groupe » ; que de même, les experts ont relevé que la très large majorité des votes aux assemblées générales des sociétés Matra et Hachette était exprimée par Jean-Luc X… et les membres du management du groupe, porteurs de nombreux pouvoirs ; qu’en outre, les rapports spéciaux des commissaires aux comptes des sociétés Matra et Hachette apparaissent particulièrement laconiques, cette concision, présentée par la défense comme habituelle, ne manque pas de surprendre, dès lors que l’existence même de ces conventions avaient soulevé les critiques des services de la COB dès 1990 ; qu’en outre, contrairement à ce que soutient la défense et comme l’ont relevé la partie civile et l’expert, aucune plus-value, aucune valeur ajoutée n’ont été apportées par la société Arjil groupe aux sociétés Matra et Hachette justifiant le bénéfice de 94,1 MF qu’elle a encaissé ; qu’en effet, il n’est pas contesté que les redevances payées par Matra et Hachette étaient les seules ressources d’Arjil groupe et que celle-ci s’est contentée de prendre en charge, d’abord de façon partielle puis de façon complète, la rémunération des cadres dirigeants des sociétés Matra et Hachette qui ont continué à exercer leurs fonctions avec la même efficacité au sein de chaque société, comme ils le faisaient avant l’exécution des conventions, lorsqu’ils étaient directement rémunérés par ces dernières ; que de même, les prestations extérieures payées par la société Arjil groupe au profit de Matra et Hachette étaient les mêmes que celles commandées et payées auparavant par ces sociétés et le fait qu’elles soient demandées par Arjil groupe ne leur conférait aucune qualité supérieure justifiant un bénéfice pour Arjil groupe au détriment des sociétés Matra et Hachette ;
qu’il résulte, en outre, de la consultation des rapports annuels d’activités sur les prestations effectuées par Arjil groupe, prévus par l’article 4 des conventions de 1988, que ceux-ci se bornent à retracer l’activité de chacune des sociétés du groupe Matra et Hachette, les interventions distinctes de leurs dirigeants, leurs voyages à l’étranger, leurs conférences, sans mettre en évidence, en dehors d’une réunion mensuelle, puis hebdomadaire, une activité spécifique d’Arjil groupe qui aurait p