Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PIBOULEAU, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et la société civile professionnelleWAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PERFETTI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– Z… Roger, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 13ème chambre, du 8 avril 1994, qui, pour vol, l’a condamné, sur renvoi après cassation, à 8 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 15 000 francs d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du jugement entrepris que, le 6 décembre 1968, Roger Z…, Jane X…, alors son épouse, et Denise Y…, veuve X…, ont acheté les 2 000 actions représentant le capital social de la société « Restaurant Le Florence » ;
que cette cession a été matérialisée par la remise de « certificats d’actions au porteur », qui ont été confiés à Roger Z… ;
Qu’en avril 1978, Denise Y… a fait délivrer à son gendre une sommation de lui délivrer le bordereau des actions dont elle était propriétaire ;
qu’en réponse, Roger Z… lui a fait connaître, le 3 mai 1978, qu’il était le seul propriétaire de l’ensemble des actions ;
Que, le 13 mars 1979, Jane X… et sa mère ont alors déposé plainte avec constitution de partie civile contre Roger Z… pour vol de deux actions de garantie au préjudice de l’une ou l’autre d’entre elles ; que l’information s’est terminée par une ordonnance de non-lieu confirmée par arrêt de la chambre d’accusation du 17 novembre 1983 ;
Attendu que le 23 août 1985, Jane X…, et sa mère ont déposé une seconde plainte avec constitution de partie civile contre Roger Z… pour vol de « la moitié des actions acquises en 1968 » ;
qu’à l’issue de l’information, Roger Z… a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de « vol de 500 actions au préjudice de Denise Y… », les faits commis au préjudice de Jane X… étant déclarés couverts par l’immunité de l’article 380,1 du Code pénal alors en vigueur ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 4, 6, 8, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception invoquée par le prévenu, tirée de l’irrecevabilité de la poursuite et de l’action civile ;
« aux motifs qu’il est reproché au prévenu d’avoir commis, le 3 mai 1978, le vol de 500 actions de la société anonyme du restaurant Le Florence au préjudice de Mme Y…, veuve X… ;
que l’action a été valablement interrompue le 13 mars 1979 par le dépôt d’une première plainte visant des faits connexes, en l’occurrence le vol de deux actions ayant fait l’objet d’une plainte du 13 mars 1979 ;
quant à l’autorité de la chose jugée consécutive à cette plainte, les premiers juges ont, à juste titre, répondu que, s’il y avait identité entre les parties, ce n’était pas le cas des faits objet de la première plainte ;
« et aux motifs adoptés des premiers juges qu’il est vrai que la date de la commission des faits ne peut être que le 3 mai 1978, jour où Roger Z… a publiquement manifesté son intention de s’attribuer la propriété des cinq cents actions de Mme Y… et non le 24 septembre 1982, qui correspond à la mise au nominatif des actions, rendue obligatoire par la loi du 30 décembre 1981 ;
« alors que, d’une part, en énonçant que, par sa déclaration, énonçant qu’il était propriétaire de toutes les actions et que la partie civile n’était propriétaire d’aucune d’entre elles, le prévenu s’était rendu coupable, le 3 mai 1978, du vol de cinq cents actions au préjudice de Mme Y… qui, le 13 mars 1979, l’avait alors poursuivi pour le vol de deux actions seulement, à la suite de quoi un non-lieu était intervenu, la cour d’appel n’a pas tiré de ses constatations les conséquences qui s’en évinçaient, à savoir que la nouvelle plainte du 29 août 1985, relative à ce même vol portant cette fois sur 500 actions, devait être déclarée irrecevable, l’action étant prescrite ;
« alors que, de deuxième part et en toute hypothèse, cette deuxième plainte visant le même fait de vol se heurtait à la règle non bis in idem, le fait que Mme Y… eut « limité » la première fois ses poursuites au vol de deux actions seulement important peu ;
« alors que, de troisième part, en considérant que le prévenu s’était rendu coupable le 3 mai 1978 du vol de cinq cents actions au préjudice de Mme Y… qui, en 1979, n’avait poursuivi que le vol de deux actions, ce dont il résultait que le vol des cinq cents actions n’avait pas été commis à cette date et sans expliquer pourquoi, sinon, elle n’avait entamé de poursuites contre le vol des cinq cents actions que le 29 août 1985, l’arrêt n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle sur le point de départ de la prescription ;
« alors que, de quatrième part, en ne répondant pas aux conclusions du prévenu faisant valoir que si les faits de vol étaient établis, ils ne pouvaient avoir été commis que le 6 décembre 1968 et que l’action était prescrite dès avant le 13 mars 1979, date de la première plainte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » ;
Attendu que pour écarter l’exception de prescription invoquée par le prévenu et tirée de ce que la plainte avec constitution de partie civile n’avait été déposée que le 23 août 1985, soit plus de trois ans après les faits reprochés, les juges énoncent que « s’il est vrai que la date de commission des faits ne peut être que le 3 mai 1978 », la prescription a été valablement interrompue le 13 mars 1979, par le dépôt d’une première plainte visant des faits « connexes », cette plainte ayant notamment pour objet d’établir la qualité d’actionnaires des parties civiles ;
qu’ensuite la prescription a été suspendue jusqu’à l’arrêt du 17 novembre 1983 confirmant le non-lieu ;
Que, pour écarter également l’exception de chose jugée résultant, selon le prévenu, de cette décision de non-lieu, les juges énoncent que « l’examen des deux plaintes montre que s’il y a bien identité entre les parties en cause, il n’en est pas de même des faits, objet de ces plaintes » ;
qu’à cet égard ils précisent que l’arrêt de non-lieu concernait le vol de « deux actions de garantie » au préjudice de « Jane X… ou de Denise Y… » et que les faits étaient couverts par l’immunité de l’article 380 alors que la présente procédure vise le vol de « 500 actions au porteur » au préjudice de la seule Denise Y…, « hors du champ d’application des dispositions de l’article 380,3 du Code pénal » ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel, qui a nécessairement répondu aux conclusions du prévenu contestant la date des faits reprochés, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 379 du Code pénal (311-1 du nouveau Code pénal), 1321, 1984, 2279 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’avoir commis le vol de cinq cents actions appartenant à Mme Y… ;
« aux motifs qu’en s’attribuant publiquement, le 3 mai 1978, la propriété de ces actions ;
il s’était rendu coupable de vol ;
que Mme Y… était propriétaire de ces actions dès le 6 décembre 1968 ;
que la preuve en était rapportée par un ensemble de présomptions concordantes, peu important qu’elle n’ait pas recouru à la faculté d’opposition prévue par le décret du 11 janvier 1956 en cas de dépossession de titres au porteur ;
qu’il avait eu la détention des actions « sans que leur possession ne lui ait pas (sic) autant été transmise » ;
« alors que, d’une part, en se contentant de déclarer que le prévenu, qui s’était, par sa déclaration selon laquelle il en était seul propriétaire, attribué la propriété des actions qu’il détenait, avait commis un vol, sans caractériser à son encontre ni une quelconque soustraction, ni le caractère frauduleux de celle-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
« alors que, d’autre part, en s’abstenant de répondre au moyen du prévenu faisant valoir qu’il avait lui-même acquis et payé les actions sur son compte personnel, qu’il ne lui avait été donné aucun mandat de les acquérir pour le compte d’autrui, qu’il les avait gardées dans son coffre personnel et qu’il en avait toujours eu la propriété, conformément à l’article 2279 du Code civil, la cour d’appel a méconnu les textes précités ;
« alors que, de troisième part, en ne précisant pas dans quelle condition la détention matérielle des actions avait été confiée au prévenu, ce qui impliquait, s’il n’en était pas propriétaire, l’existence d’un mandat d’acquérir ces actions, non constaté par l’arrêt, celui-ci a privé sa décision de base légale ;
« alors qu’enfin, en s’abstenant de répondre au moyen du prévenu invoquant la qualité de prête-nom de la plaignante aux fins de permettre à la société de fonctionner, la simulation ayant effet entre les parties, l’arrêt a méconnu l’article 1321 du Code civil » ;
Attendu que pour déclarer Roger Z… coupable de l’infraction visée par la prévention, les juges énoncent qu’il résulte de l’ensemble des éléments de la procédure que « Denise Y… était bien, depuis le 6 décembre 1968, propriétaire de cinq cents actions au porteur de la société Restaurant Le Florence » et qu’en s’attribuant la propriété de ces actions le 3 mai 1978, Roger Z…, à qui la simple détention matérielle des certificats correspondant à ces titres avait été confiée, a frauduleusement soustrait lesdites actions ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a caractérisé, en tous ses éléments, le délit de vol dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
Que le moyen, qui ne tend qu’à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne peut être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Pibouleau conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Joly, Mme Simon, M. Farge conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier conseillers référendaires, M. Perfetti avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;