Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 22 janvier 1997, 95-85.936, Publié au bulletin

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 22 janvier 1997, 95-85.936, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par :

– X…,

contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 13e chambre, du 6 novembre 1995, qui, dans les poursuites exercées contre lui pour infraction à la législation relative au service des pompes funèbres, a constaté l’extinction de l’action publique par amnistie et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

I. Sur l’action publique :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que le syndicat intercommunal de la banlieue de Paris a concédé, par un contrat du 26 juin 1992, le service extérieur des pompes funèbres, sur le territoire des communes adhérentes, à la société Pompes funèbres générales à compter du 1er octobre suivant ;

Que, sur le fondement de l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire, X… est poursuivi pour avoir de janvier à octobre 1993 dirigé une entreprise ayant fourni des prestations de pompes funèbres en violation des droits d’exclusivité conférés par le contrat de concession et maintenus pour 3 ans au profit de la société Pompes funèbres générales en application des dispositions transitoires de cette loi ;

Attendu que, le monopole communal des pompes funèbres ayant été supprimé par la loi précitée et la période de survie des droits d’exclusivité des concessionnaires étant écoulée, les faits incriminés ne sont plus aujourd’hui susceptibles de constituer une infraction ;

Que la loi nouvelle qui abroge une incrimination ou qui comporte des dispositions favorables au prévenu s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ;

Que, dès lors, la décision des juges du fond ayant constaté l’extinction de l’action publique par amnistie, qui n’est pas définitive en raison du pourvoi, est désormais justifiée par la caducité du texte répressif ;

Que les juridictions pénales restent cependant compétentes pour statuer sur les intérêts civils lorsqu’elles en ont été régulièrement saisies avant l’abrogation de la loi pénale ;

II. Sur l’action civile :

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 388, 509, 550, 551, 565 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, 34 et 37 de la Constitution, 6.3 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense :

 » en ce que l’arrêt attaqué a écarté l’exception de nullité de la citation ;

 » aux motifs que la Cour observe, en premier lieu, sur le moyen pris de l’inapplicabilité de l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993, qu’elle n’a pas compétence pour apprécier la conformité de cette disposition législative au regard de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui fait partie intégrante de la Constitution ;

 » qu’elle se bornera à remarquer que, les dispositions de l’ancien article L. 362-1 du Code des communes étant maintenues en vigueur durant une période transitoire de trois ans pour les contrats de concession conclus avant la date de publication de la loi, l’élément matériel de l’infraction visée à la prévention est défini sans ambiguïté, conformément à l’article 4 de l’ancien Code pénal, repris par les articles 111-3 et 112-1 du Code pénal, et qu’en conséquence la norme d’incrimination répond aux exigences de l’article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui prévoit que tout accusé a droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

 » que la Cour constate, en second lieu, que la partie civile a mentionné, dans la citation directe, que X… avait procédé, entre le 15 janvier 1993 et le 13 octobre 1993, à des convois funéraires en violation des droits d’exclusivité consentis aux concessionnaires de service public, l’énumération détaillée de ces derniers, avec leurs dates, les domiciles des défunts, les lieux de mise en bière et l’inhumation figurant dans les pièces annexées à cet acte, et qu’elle a visé expressément l’article 28, alinéa 3, de la loi du 8 janvier 1993 ;

 » que, dans ces conditions, la citation qui énonce le fait poursuivi et le texte de répression, conformément à l’article 551 du Code de procédure pénale, caractérise suffisamment l’élément matériel de l’infraction et permet au prévenu de savoir sur quel fondement il a été traduit devant la juridiction répressive ;

 » alors que tout prévenu doit être infirmé d’une manière détaillée de la nature de la cause de la prévention dont il est l’objet, et doit par suite, être mis en mesure de se défendre sur les divers chefs d’infraction qui lui sont imputés ; que doit être sanctionnée par la nullité la citation qui méconnaît les formes prévues par les articles 550 et suivants du Code de procédure pénale et porte atteinte aux intérêts de la personne qu’il concerne ; qu’il en est ainsi lorsque, comme en l’espèce, le prévenu a pu avoir un doute sur l’élément matériel de l’infraction, la citation ne visant aucune date de réalisations d’infraction et se référant l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 qui lui-même fait référence, pour la répression, aux dispositions abrogées de l’article R. 362-4 du Code des communes, texte déclaré illégal qui ne saurait servir de base à une condamnation pénale  » ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a écarté, à bon droit, l’exception de nullité de la citation qui énonce de manière détaillée le fait poursuivi et vise le texte applicable ;

Que ne moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 7, 85, 86, 90 et 117 du traité de Rome du 25 mars 1957, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

 » en ce que l’arrêt attaqué a rejeté la demande de question préjudicielle en interprétation et a statué sur la conformité de l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 au regard du traité de l’Union européenne ;

 » aux motifs qu’en l’absence de difficulté sérieuse d’interprétation de nature à créer un doute réel, la Cour rejettera la demande de question préjudicielle en interprétation devant la Cour de justice des Communautés européennes formée par le prévenu et statuera sur la conformité de l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 au regard du traité sur l’Union européenne ;

 » qu’il importe de rappeler que la loi du 8 janvier 1993 a supprimé, pour l’avenir, le monopole communal du service extérieur des pompes funèbres tout en ménageant, en son article 28, une période de transition durant laquelle les droits d’exclusivité accordés par les communes au régies et aux entreprises concessionnaires sont maintenus, afin de préparer ces dernières à l’introduction de la concurrence, en les dotant de structures nécessaires pour affronter la compétition ; que la violation du monopole est, comme par le passé, sanctionnée pénalement mais pour une période désormais limitée à 3 ou 5 ans, selon qu’il s’agit d’une concession ou d’une régie ; qu’ainsi, et contrairement à ce qui est soutenu, l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 n’a pas pour objet de renforcer le monopole communal mais de le maintenir pour une durée limitée, situation dont il convient d’examiner la comptabilité avec les dispositions du Traité ;

 » que si l’article 90 du traité sur l’Union européenne vise à interdire aux autorités publiques d’imposer aux entreprises, auxquelles elles accordent des droits spéciaux ou exclusifs, des mesures contraires aux règles du Traité, notamment celles prévues aux articles 7 et 85 à 94 inclus, il ne prohibe pas en tant que tel l’octroi de ces droits exclusifs, dès lors que les mesures étatiques ne maintiennent pas une situation de domination entravant la concurrence ou ne favorisent pas des pratiques abusives de nature à affecter le commerce entre les Etats membres ;

 » que la société anonyme des Pompes funèbres générales détenait, en 1991, 55 % des contrats de concession (2 750 sur les 5 000 communes qui ont délégué leur service extérieur) et assurait en France, en 1993, 31 % des obsèques ; que cette entreprise, filiale de la société Omnium de gestion et de financement (OGF), elle-même sous-filiale de la société Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage, appartient à un groupe important d’entreprises spécialisées dans les prestations funéraires, doté d’une organisation fortement centralisée, implantée sur l’ensemble du territoire national ainsi qu’en Belgique, en Grande-Bretagne et en Italie, et qui étend ses activités aussi bien dans les secteurs du bois et de la confection des cercueils, de la marbrerie et des monuments funéraires, que dans ceux de l’imprimerie, de la papeterie, de la thanatopraxie et de la prévoyance funéraire ;

 » qu’en dépit de l’influence certaine que cette entreprise possède sur les collectivités locales elle ne dispose, pas plus que les autres intervenants sur le marchés, d’un monopole ou d’une position dominante vis-à-vis des communes, concernant l’octroi du service extérieur des pompes funèbres, par suite de la liberté de décision dont disposent ces dernières au regard de l’organisation du service public ; qu’en effet celles-ci peuvent exercer elles-mêmes le service extérieur des pompes funèbres, ou le déléguer à une ou plusieurs entreprises de leur choix, ou ne pas l’organiser, 0,1 % d’entre elles, en 1988, ayant opté pour la gestion directe en régie, 13,9 % pour la concession du service public et 86 % pour la dernière solution ;

 » qu’en revanche la société Pompes funèbres générales détient une position de domination, vis-à-vis des consommateurs, sur les différents marchés géographiques où elle est concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres, tel celui des communes de la banlieue de Paris, en raison des clauses de la convention qui l’unit à la collectivité concédante et de la substituabilité limitée des prestations funéraires pour les familles qui, sauf dérogation, sont tenues de recourir directement ou indirectement au titulaire du monopole ; qu’il convient, toutefois, d’observer que cette situation ne résulte pas de l’action des autorités nationales ou municipales mais du seul comportement de l’entreprise en cause, lequel n’apparaît pas répréhensible, en l’absence d’entrave structurelle au jeu de la concurrence constatée ;

 » qu’en ce qui concerne les abus de position dominante dénoncés par X…, il n’est pas établi, ni même allégué, que ces pratiques soient caractérisées et imputables aux autorités publiques ;

 » qu’il ne saurait davantage être soutenu que l’économie du système maintenu par l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 ait engendré des pratiques de nature à freiner le développement des échanges intracommunautaires et la libre prestation de services ;

 » que le monopole communal, traditionnellement justifié par la nécessité de contrôler un secteur de l’économie sensible et de compenser les charges de service public pesant sur les entreprises, est limité, en tout état de cause, au service extérieur (transport des corps après mise en bière, fourniture des corbillards, cercueils et tentures extérieures des maisons mortuaires, voitures de deuil ainsi que fournitures et personnel nécessaires aux inhumations, exhumations et crémations) et laisse subsister, hors de son champ, les prestations relatives au service libre (transport des corps avant mise en bière, garnitures intérieures des cercueils, plaques, croix ou gravures ornementales) ; qu’il a été fortement assoupli par les lois du 9 janvier 1986 et du 8 janvier 1993 qui ont donné une certaine liberté de choix aux familles lorsque la commune de mise en bière est différente du domicile du défunt ou du lieu d’inhumation ou de crémation ;

 » qu’en outre la loi du 28 janvier 1993 relative aux délégations de services publics a prévu une procédure de publicité des appels d’offres, de nature à clarifier le choix du concessionnaire par la collectivité publique concédante et que la loi du 8 janvier 1993 a mis en place un système d’habilitation qui permet à toute entreprise établie dans la CEE remplissant certaines conditions d’honorabilité, de compétence technique et de solvabilité d’exercer en France une activité de prestataire de services de pompes funèbres ;

 » que, contrairement à ce qui est soutenu, il résulte de l’ensemble de ces éléments que les entreprises de pompes funèbres établies dans la CEE ont la possibilité de venir s’installer en France et d’y pratiquer leur activité légalement, soit en achetant les prestations monopolisées au titulaire des droits d’exclusivité et en y adjoignant les compléments nécessaires, lorsque le service des pompes funèbres est organisé, soit en fournissant la prestation dans sa totalité, dans le cas contraire ;

 » que, dans ces conditions, l’économie du système instauré favorise l’intervention d’acteurs économiques diversifiés, qu’il s’agisse de nouveaux entrants sur le marché ou des entreprises traditionnellement présentes, et n’est pas de nature à entraver le développement des échanges intracommunautaires et la libre prestation de services ;

 » que, dès lors, il n’apparaît pas que la puissance publique, en instituant une période transitoire prorogeant le monopole communal du service extérieur des pompes funèbres, ait édicté ou maintenu des règles contraires au droit communautaire ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la non-conformité de l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 avec le traité sur l’Union européenne sera rejeté ;

 » alors qu’en cas d’incertitude sur la compatibilité des dispositions communautaires et nationales le juge répressif doit, en application de l’article 177 du traité de Rome, saisir la Cour de justice des Communautés européennes en interprétation des dispositions concernées ; qu’en l’espèce le régime national de concession exclusive du monopole communal en matière de pompes funèbres visé par l’article 28 de la loi du 8 janvier 1993 contraire aux articles L. 362-1 et suivants du Code des communes est incompatible avec le traité de Rome qui institue la libre concurrence et justifie un renvoi en interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes  » ;

Attendu que le prévenu a excipé devant les juges du fond de l’incompatibilité du texte, base de la poursuite, avec le traité de la Communauté européenne et notamment les articles 86 et 90 prohibant tout abus de position dominante susceptible d’affecter le commerce entre les Etats membres ;

Attendu que, pour écarter cette exception, les juges se prononcent par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en cet état la cour d’appel, qui n’était pas tenue de saisir la Cour de justice des Communautés européennes et surseoir à statuer, a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;

Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 111-5 du Code pénal, 386 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, 28 de la loi du 8 janvier 1993, de la loi des 16 et 24 août 1790, défaut de motifs, manque de base légale :

 » en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a écarté l’exception préjudicielle devant le tribunal administratif concernant le légalité du contrat de concession conclu le 1er octobre 1992 entre la société Pompes funèbres générales et le syndicat des communes de la banlieue de Paris ;

 » aux motifs qu’en application de l’article 111-5 du Code pénal les juridictions répressives sont compétentes pour interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ;

 » qu’en l’espèce la légalité du contrat de concession conclu entre la société Pompes funèbres générales et le syndicat des communes de la banlieue de Paris constitue une condition de l’applicabilité éventuelle de l’article 28, alinéa 3, de la loi du 8 janvier 1993 ; qu’en effet, ce dernier texte suppose pour son application qu’une entreprise, titulaire d’un contrat de concession régulier lui transférant le monopole du service extérieur des pompes funèbres, est victime d’une violation des droits d’exclusivité qui lui ont été consentis ;

 » que, dès lors, la Cour, infirmant la décision des premiers juges, se déclarera compétente pour connaître de la légalité du contrat de concession conclu le 26 juin 1992 entre la société Pompes funèbres générales et le syndicat des communes de la banlieue de Paris, étant observé que les moyens soulevés au titre du contrat de concession du 28 (29) janvier 1962 seront écartés, cette convention étant venue à expiration le 31 mars 1992 ;

 » alors que, si une contestation sérieuse s’élève sur la validité d’un acte administratif, le juge répressif est incompétent pour en connaître en vertu du principe de la séparation des pouvoirs et doit surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge administratif ; qu’en l’espèce la juridiction administrative étant saisie d’un recours en appréciation de validité du contrat de concession du service extérieur des pompes funèbres conclu le 1er octobre 1992 et non le 29 janvier 1962, entre le syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les pompes funèbres et la société Pompes funèbres générales, la cour d’appel devait surseoir à statuer dans l’attente de la décision qui sera prise par la juridiction administrative saisie d’une question préjudicielle  » ;

Attendu que le prévenu a régulièrement soulevé devant les juges du fond une exception préjudicielle prise de  » l’illégalité de la concession  » accordée par le syndicat de communes à la société Pompes funèbres générales ; qu’il a soutenu, d’une part, que la conclusion du contrat par le syndicat n’avait pas été au préalable autorisée par les conseils municipaux concernés, d’autre part, que les statuts de ce syndicat n’étaient pas réguliers, qu’enfin la procédure de passation du marché n’avait pas été respectée ; qu’il a demandé à la cour d’appel de surseoir à statuer en l’attente de la décision de la juridiction administrative ;

Attendu que les juges du second degré se sont reconnus compétents pour apprécier la validité du contrat incriminé, et après l’avoir jugé régulier, ont caractérisé les faits retenus à la charge du prévenu ;

Attendu que, si c’est à tort que la cour d’appel a cru devoir fonder sa décision sur l’article 111-5 du Code pénal alors que seul les actes administratifs réglementaires ou individuels entrent dans les prévisions de ce texte, les juges n’ont pas encouru les griefs allégués ;

Qu’en effet la compétence des juridictions administratives pour apprécier la validité d’un contrat administratif ne fait pas obstacle à ce que les tribunaux judiciaires chargés d’instruire ou de prononcer sur les crimes et délits caractérisent les divers éléments constitutifs de l’infraction dont ils sont saisis ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme :

REJETTE le pourvoi.


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