Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CARLIOZ, les observations de la société civile professionnelle Jean- Jacques GATINEAU et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général le FOYER de COSTIL ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– Y… François,
– MARTEL Rose, Raymonde A…, épouse Y…,
parties civiles, contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de NANCY du 7 juillet 1994, qui, dans la procédure suivie contre Gérard Z… du chef d’escroquerie, a confirmé l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction ;
Vu le mémoire en demande commun aux demandeurs et le mémoire en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 405 du Code pénal ancien, 575, 591 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motif et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction ordonnant n’y avoir lieu à poursuivre en l’état ;
« aux motifs que le délit d’escroquerie tel que défini à l’article 405 du Code pénal ancien applicable en l’espèce suppose des manoeuvres ayant précédé la remise des fonds ;
que les époux Y… soutiennent qu’ils se sont engagés dans l’achat de titres de la société AIGL qu’en considération du fait que Y… devait devenir directeur de la société CMP ;
que cependant, il n’y a eu aucune manoeuvre frauduleuse en l’espèce ;
qu’en se présentant à ce poste, Z… savait qu’il aurait à prendre une participation dans le capital de la société puisque l’annonce précisait bien que le poste offert était celui d’un directeur général associé et ajoutait que le candidat aurait « l’opportunité de participer au capital » ;
que Y… n’a pas, dès lors, été contraint d’acheter les parts qui lui ont été proposées lors de cette embauche ;
qu’étant prévenu qu’il aurait à investir dans le capital pour être engagé, il s’est présenté librement à cette embauche ;
en outre, conformément au protocole d’accord signé le jour même, Y… est bien devenu directeur général ;
qu’ainsi, Z… a respecté son engagement ;
que le fait que Y… a été préalablement engagé comme directeur technico-commercial ne peut être assimilé à une manoeuvre frauduleuse de la part de Z… ; que ce dernier a reconnu avoir procédé ainsi pour bénéficier de la subvention qu’allouait la DRIR en cas de création d’emploi ;
que si cette pratique peut être critiquable et préjudiciable, le préjudice qui en est résulté n’a pas été subi par Y…, que l’embauche de Y… en qualité de technico-commercial peut être considéré comme une protection de l’intéressé dès lors que, pendant la première année, si Y… avait fait l’objet d’un licenciement, il aurait bénéficié de la protection accordée par la législation du travail ;
que le fait que le remboursement du prêt accordé par Z… aux époux Y… pour payer les actions de la société expirait à l’issue de cette période ne constitue pas plus les manoeuvres frauduleuses exigées par l’article 405 ; que par contre, cela peut expliquer que Y… n’ait pas été licencié pendant cette période ;
qu’en effet il résulte de la consultation des nombreuses pièces se trouvant au dossier que Y… ne correspondait pas à la demande de la société, l’annonce précisant que le directeur général devait avoir des talents de négociateur et de manager ;
qu’en effet, préalablement au 30 juin 1992, Y… faisait l’objet de doléances de la part du personnel ;
qu’en outre les résultats de la société s’annonçaient en baisse antérieurement au 30 juin 1992 qu’il est établi que cette baisse de gestion avait pour origine les erreurs de gestion de Y… ; que cependant, conformément au protocole d’accord, Y… a été nommé directeur général à compter du 1er juillet 1992 et a été révoqué à compter du 10 juillet 1992 ;
que cependant, les directeurs généraux des sociétés commerciales sont révocables « ad nutum » par le conseil d’administration, ce que Y… ne devait pas ignorer en acceptant ces fonctions ;
qu’à la date où il a pris ses fonctions de directeur général, il savait déjà que des reproches lui étaient formulés puisqu’il a fait constaté que le protocole était post-daté ;
que, pour autant, il les a acceptés lors de la révocation ;
il n’a engagé aucune action pour contester la validité du protocole d’accord ;
qu’en l’état, la chambre d’accusation ne peut que confirmer l’ordonnance entreprise, la preuve de manoeuvres frauduleuses antérieures à la signature dudit protocole n’étant pas établie ;
« 1 ) alors que se rend coupable du délit d’escroquerie celui qui, au moyen d’une annonce portant des promesses qu’il sait ne pas devoir tenir, suivie de la conclusion de divers actes juridiques complexes ou abusifs, parvient à engager un tiers dans une entreprise qui se révèle chimérique en fait ;
qu’en l’espèce, l’annonce publiée promettait un emploi effectif de cadre de direction ;
que le sérieux de cette promesse avait été conforté par une « résolution » de l’assemblée générale qui déclarait aux actionnaires que l’entrée d’un nouveau dirigeant allait améliorer l’organisation et la gestion de l’entreprise ;
qu’il n’était pas contesté qu’immédiatement après le remboursement du prêt qui lui avait été consenti dans le seul but de financer sa participation au capital à hauteur de 407 000 francs, Y… avait été contraint de démissionner, conformément à l’engagement post-daté qu’on lui avait pris soin de lui signer lors de son embauche, avant d’être, quelques jours plus tard, purement et simplement révoqué de toutes ses fonctions d’administrateur ;
qu’en se bornant à constater qu’aucun des actes ou engagements, librement consentis, n’était le fruit d’une manoeuvre frauduleuse, sans rechercher si, pris dans leur ensemble, ils ne s’inséraient pas dans une mise en scène destinée à persuader Y… de l’opportunité d’investir dans une société en lui faisant croire qu’il en deviendrait le dirigeant, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motifs et violé les textes visés au moyen ;
« 2 ) alors que le caractère volontaire de la remise de la chose est un élément constitutif du délit d’escroquerie ;
qu’en jugeant le délit d’escroquerie n’était pas caractérisé dès lors que Y… avait signé sans contrainte les actes juridiques qui constituaient la contrepartie de la remise des fonds, circonstance qui n’excluait en rien la qualification d’escroquerie, la cour d’appel a statué par un motif inopérant et entaché sa décision d’une insuffisance de motif, en violation des textes susvisés ;
« 3 ) alors que le délit d’escroquerie est constitué s’il est établi que l’agent a eu conscience, au moment de l’accomplissement des manoeuvres, du caractère chimérique de l’événement que ses manoeuvres ont eu pour but de susciter dans l’esprit de la victime ;
qu’en déclarant l’escroquerie non caractérisée aux motifs que la société Z… pouvait légitimement invoquer les erreurs de gestion et les difficultés économique de l’entreprise pour se séparer de son administrateur, circonstances qui, postérieures aux manoeuvres alléguées, étaient sans incidence sur l’éventuelle commission du délit, la cour d’appel a privé encore sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées ;
« 4 ) alors que toute décision doit comporter des motifs ;
qu’en se bornant à énoncer qu’il résulte « de nombreuses pièces » que Y… n’avait pas les compétences professionnelles requises pour l’emploi, et qu’ « il est établi » que la baisse de chiffre d’affaires était de son fait, sans faire aucune analyse, fût-elle sommaire, des documents de preuve produits par l’employeur pour justifier de telles allégations, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motif et violé encore les textes susvisés ;
« 5 ) alors qu’en déduisant l’absence d’intention frauduleuse de ce que des motifs tirés des compétences professionnelles de Y… pouvaient être invoqués par Z… pour justifier la révocation de ce dernier, sans s’expliquer sur le fait essentiel et déterminant que Y… avait été promu par Z… directeur général de société avant même son embauche, et invité à participer le même jour au capital à hauteur de 400 000 francs, ce dont il ressortait clairement que Z… tenait pour secondaires, en l’espèce, les qualités professionnelles de l’intéressé, la cour d’appel, qui a laissé sans réponse un chef de conclusion péremptoire des époux Y… a violé encore les dispositions susvisées » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu, la chambre d’accusation, après avoir analysé les faits dénoncés par la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire de la partie civile, a énoncé les motifs de droit et de fait pour lesquels elle a estimé qu’il ne résultait pas de l’information charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis l’infraction reprochée ;
Attendu que le moyen qui, sous le couvert notamment de défaut de réponse à conclusions, revient à contester de tels motifs, sans justifier d’aucun des griefs que la partie civile est admise, selon l’article 575 du Code de procédure pénale, à formuler à l’appui de son seul pourvoi contre l’arrêt de la chambre d’accusation, n’est pas recevable ;
qu’en vertu du même texte, il en est de même du pourvoi ;
DECLARE le pourvoi IRRECEVABLE .
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Simon conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Carlioz conseiller rapporteur, MM. Blin, Jorda, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mmes X…, Verdun conseillers référendaires, M. le Foyer de Costil avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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