Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un février mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire VERDUN, les observations de la société civile professionnelle De CHAISEMARTIN et COURJON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– LE DEPARTEMENT DE LA MARNE, représenté par le président du conseil général, partie civile, contre l’arrêt de la cour d’appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 1994, qui, dans les poursuites exercées contre Dominique A… pour escroquerie, l’a déboutée de ses demandes après relaxe du prévenu ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 405 ancien et 313-1 du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a renvoyé Dominique A… des fins de la poursuite du chef d’escroquerie et débouté par voie de conséquence le département de la Marne en sa constitution de partie civile ;
« aux motifs que le préfet de la Marne (pour l’Etat) et le président du conseil général de la Marne (pour le département) concluaient avec le GIF trois conventions (en date du 21 décembre 1989, du 30 juillet 1990 et du 3 janvier 1991) portant sur l’organisation des stages de formation à vocation professionnelle destinés aux bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (dit RMI par abréviation) ;
qu’aux termes de ces conventions, le GIF devait recevoir une somme qui était versée sur présentation d’un état nominatif mensuel des bénéficiaires de stage concernés ; que de janvier 1990 à février 1991, le GIF percevait ainsi la somme globale de 1 825 300 francs ;
qu’en réalité, le GIF ne fournissait pas lui-même les prestations de formation mais qu’elles incombaient à une société commerciale, la société anonyme de formation, de conseil et de communication (dite SFCC), immatriculée le 22 mars 1990 au registre du commerce et des sociétés de Paris ;
que ses principaux actionnaires étaient M. X… (président du conseil d’administration), Dominique A… (directeur général et administrateur) et M. Z… (directeur administratif), chacun ayant souscrit 830 actions sur 2 500 représentatives du capital social ; … que Dominique A… était, quant à lui, en disponibilité, depuis le 15 février 1990, de son poste d’attaché territorial du département de la Marne où il exerçait les fonctions de chef du bureau de l’aide sociale générale ;
… que les bénéficiaires du RMI figurant sur des listes dressées par le centre communal d’action sociale étaient convoqués pour signer une convention individuelle, après un entretien préliminaire ;
que les stages étaient ensuite organisés par groupes de quinze stagiaires qui émargeaient une fiche de présence ;
qu’à la fin de chaque mois, les listes de pointage des stagiaires étaient adressées au siège du GIF où elles étaient exploitées par Dominique A… ;
que ce dernier établissait à l’aide d’un ordinateur un « état de présence des stagiaires » qui était transmis au département, pour le compte du GIF sous la direction de M. Z… ;
qu’au vu de cet état, le département calculait la somme dont il était redevable envers le GIF et procédait au paiement ;
que les conventions passées entre l’Etat, le département de la Marne et le GIF prévoyaient de façon ambiguë le versement à ce dernier d’une somme « par bénéficiaire du RMI accueilli » ;
que seule la convention du 3 janvier 1991 précisait que le paiement aurait lieu « au prorata du temps réel effectué par les stagiaires » ;
que certes il est établi, en l’espèce, que Dominique A… a dactylographié grâce à l’ordinateur de la SFCC de faux « états de présence de stagiaires » ;
qu’il a lui-même admis que pour assurer leur vraisemblance, il avait fait mention d’absences supposées ;
que le prévenu n’a pas lui-même communiqué ces listes aux services du département de la Marne, auxquels ils ont été remis ou transmis par M. Z… ;
qu’aucun élément du dossier ne permet décisivement de considérer que ce dernier ait eu conscience de souscrire des déclarations inexactes à partir des renseignements fournis par Dominique A… ; que celui-ci n’établissait pas les états litigieux au nom du GIF ;
que M. Z…, lorsqu’il les adressait par courrier à l’Administration départementale, y joignait curieusement une lettre à en-tête de la CGPME ;
que, par ailleurs, il ne résulte pas du dossier que quiconque, et notamment M. X… et M. Z…, qui possédaient tous deux le droit de signature sur le compte du GIF au Crédit Mutuel, aient extorqué au département de la Marne la somme visée à la prévention ;
que, partant, aucune complicité ne peut être imputée à Dominique A… ;
que les faits qui lui sont reprochés ne caractérisent donc, en l’espèce, aucune infraction à la loi pénale ;
« alors que la cour d’appel a constaté que le département de la Marne calculait et procédait au paiement des sommes destinées à la formation au vu des états de présence des stagiaires établis par Dominique A… et que ces états constituaient des faux ; qu’elle n’a pu, dès lors, considérer, au seul motif que Dominique A… n’avait pas lui-même communiqué ces listes aux services du département, que les faits qui lui étaient reprochés ne caractérisaient aucune infraction à la loi pénale, infirmant ainsi le jugement (qui avait constaté que le département avait été trompé par les manoeuvres orchestrées par Dominique A… qui avait reconnu avoir toujours été au courant du fait que ses états de présence servaient de base au paiement des subventions, qu’en tant qu’attaché territorial du département, il connaissait parfaitement les critères de financement retenus par le département, qu’il avait travaillé en relation avec le chef du bureau des finances du département à la mise en place du système informatique en vue du contrôle des stagiaires et que se faisant appeler d’un faux nom « il faisait intervenir M. Z… dans ses manoeuvres, celui-ci signant, en tant que secrétaire général du GIF, un courrier de transmission de documents élaborés par Dominique A… destiné au département », sans répondre aux conclusions du département faisant valoir que Dominique A… avait reconnu qu’il avait connaissance de la transmission des listes qu’il avait falsifiées au département, en vue d’en percevoir évidemment des subventions, et que ces listes étaient transmises en parfaite connaissance de cause de sa part puisque c’est lui qui les remettait à M. Z…, accompagnées d’un courrier de transmission qu’il avait établi sur son ordinateur et qu’il soumettait à la signature de M. Z… ;
que, faute de s’être expliqué sur ce chef péremptoire des conclusions de nature à établir que Dominique A… était bien l’auteur de l’escroquerie, l’arrêt est entaché d’un défaut de motif » ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ;
que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que l’association « Groupement interprofessionnel de formation », dite GIF, dont Dominique A… était un des animateurs, par le biais d’une société prestataire de services qu’il dirigeait, a perçu du département de la Marne, de janvier 1990 à février 1991, une somme globale de 1 825 300 francs pour avoir organisé des stages de formation au profit de personnes bénéficiant du revenu minimum d’insertion ;
Que, de nombreux états de présence de stagiaires, sur la base desquels le département avait déterminé le montant de son financement, s’étant révélés faux, Dominique A… a été poursuivi du chef d’escroquerie ;
Attendu que, pour relaxer le prévenu et débouter le département de la Marne, partie civile, de ses demandes, les juges du second degré relèvent que, s’il est constant que Dominique A… a élaboré de faux états de présence au vu desquels les paiements ont été effectués, il n’en demeure pas moins que c’est un tiers, dont la mauvaise foi n’est pas établie, qui en a fait la remise aux services compétents du département ;
Que les juges ajoutent qu’il n’est, en outre, pas démontré que ces états falsifiés aient été déterminants d’une remise de fonds indus, en l’état des termes ambigus des conventions applicables pendant la période visée à la prévention sur les modalités de financement de ces stages ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, tout en relevant, par ailleurs, que durant cette période, le financement des stages était subordonné à l’accueil des bénéficiaires, et alors que la présentation de faux documents, par le truchement d’un tiers de bonne foi, en vue d’obtenir un paiement indu est nécessairement constitutive d’une manoeuvre frauduleuse au sens de l’article 405 du Code pénal, applicable en l’espèce, la cour d’appel qui ne pouvait, sans se contredire ou mieux s’en expliquer, énoncer que l’escroquerie n’était pas caractérisée, a privé sa décision de base légale ;
Que la cassation est, dès lors, encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l’arrêt de la cour d’appel de Reims, en date du 10 novembre 1994, mais en ses seules dispositions civiles, et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Reims, sa mention en marge où à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Jean Simon conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Verdun conseiller rapporteur, MM.
Blin, Aldebert, Grapinet, Challe, Mistral conseillers de la chambre, Mmes Y…, de la Lance, M. Desportes conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;