Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle Guy LESOURD et de Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– DE A… E… Elisabeth, épouse DE RIMONTEIL
DE LOMBARES,
– La Société URBINVEST,
– La Société BELENSAS,
parties civiles, contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de PARIS, en date du 26 janvier 1996, qui, dans la procédure suivie contre Didier Y… et Didier X… des chefs d’escroquerie et complicité de ce délit, faux et usage de faux et exercice illicite d’activité d’agent immobilier, a dit n’y avoir lieu à leur mise en examen et a déclaré certains faits amnitiés ;
Vu l’article 575, alinéa 2, 5°, du Code de procédure pénale, en vertu duquel le pourvoi est recevable ;
I – Sur le pourvoi en ce qu’il concerne la société Belensas ;
Attendu qu’aucun moyen n’est produit à l’appui du pourvoi ;
II – Sur le pourvoi des autres demanderesses ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 146, 147, 151 anciens 441-1 nouveau du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a refusé de mettre en examen Didier Y… et Didier X… des chefs de faux et usage s’agissant du mandat en date du 29 novembre 1989 ;
« aux motifs que Elisabeth C… ne contestait pas sa signature sur ce document qui se présentait comme un engagement unilatéral, et avait déclaré devant le juge d’instruction n’avoir aucun souvenir de l’avoir signé; que, selon Brenda de B… et Didier X…, ce second mandat, signé après que l’acquéreur eut été trouvé, aurait été soumis à Elisabeth de C… pour garantir la banque de toute éviction; que M. F… qui en possédait un exemplaire avait confirmé qu’il avait été signé par Elisabeth de C… et qu’il n’en avait appris l’existence que bien plus tard ;
« alors, d’une part, que dans leur mémoire, les parties civiles soulignaient que les deux premières pages du document se présentaient comme une lettre cependant que la troisième se terminait comme un acte sous-seing privé et que les deux premières pages étaient dépourvues de paraphe en sorte qu’une substitution avait pu être opérée à l’insu de Elisabeth de C…; que le fait que Elisabeth de C… n’ait pas contesté sa signature apposée sur la troisième page qui porte la date de décembre 1989 n’exclut nullement la possibilité d’un faux par une insertion dans l’acte d’une obligation qu’il ne comportait pas initialement, en l’espèce la substitution de deux autres pages à celles qui faisaient partie du document initial et qui porte, sur la première, la date du 29 novembre 1989; que cette énonciation est insuffisante à justifier légalement le refus de mise en examen de Didier Y… et Didier X… ;
Alors, d’autre part, qu’il n’apparaît pas des pièces du dossier transmis à la chambre criminelle de la Cour de Cassation que M. F… ait jamais déclaré que le mandat argué de faux ait été signé par Elisabeth de C…; que cette énonciation ne donne aucune base légale à l’arrêt attaqué » ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 ancien. 313-1 nouveau du code pénal’ 593 du code de procédure pénale. défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a refusé de mettre en examen Didier Y… et Didier X… du chef d’escroquerie ;
« aux motifs qu’il résulte de l’information et notamment de la forme des mandats signés par Elisabeth de C… qu’elle ne pouvait pas ignorer que la banque ne disposait pas de la carte d’agent immobilier et qu’elle s’était adressée à elle pour qu’elle participe à la recherche d’un acquéreur et à I’élaboration d’un montage permettant de régler le moins d’impôts possible; que les sociétés SIVMI et SETIC avaient exigé, lors de la signature de la promesse, que la réalisation de la promesse n’ait lieu qu’après que le promettant aurait obtenu la libération des lieux et que soit ajoutée une clause selon laquelle l’indemnité d’immobilisation ne serait pas due si l’immeuble était frappé d’une servitude de cour commune; qu’elles n’avaient pas signé l’acte de vente en arguant de la non-libération des lieux par l’un des deux locataires effectifs de l’immeuble et en raison de l’assignation des consorts Z…, cousins de Elisabeth de C…, revendiquant une servitude de cour commune sur le terrain de tennis construit à cheval sur leur fonds et celui du …; que Elisabeth de C… présente dans les locaux de la banque avait été informée de l’évolution des discussions particulièrement longues en raison des exigences des bénéficiaires et qu’elle y avait été représentée par F…, accompagné par Me D… et de l’un de ses clercs, tandis que la banque n’était représentée que par Didier X…; qu’elle ne pouvait ainsi soutenir qu’elle avait été trompée sur la portée de l’acte et plus particulièrement de ces deux clauses ;
« alors d’une part, que le seul fait de proposer et de faire signer à un propriétaire qui souhaite vendre son immeuble, en violation des dispositions de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970, un mandat exclusif de vente et de lui offrir ses services pour intervenir dans toutes les phases de l’opération de cession constitue, au sens de l’article 405 ancien du code pénal, la prise de fausse qualité d’agent immobilier, dès lors que le mandataire ne révèle pas au mandant qu’il n’est pas titulaire de la carte d’agent immobilier lui permettant de procéder, sous quelque forme que ce soit, à des opérations de cession de biens immobiliers d’autrui; qu’en l’espèce, il est constant que JP Morgan & Cie SA a fait signer à Elisabeth de C… des mandats (17 juillet/3 août 1989 et 29 novembre 1989) dans lesquels elle lui proposait de rechercher, à titre exclusif, un acquéreur pour l’ensemble immobilier sis à Paris (7°) … et d’intervenir à tous moments de la transaction, sans lui révéler que, ne disposant pas de la carte professionnelle, elle était dans l’incapacité légale d’assurer cette fonction d’intermédiaire dans l’opération de cession projetée ;
que, dès lors, la Cour qui ne constate pas que JP Morgan & Cie SA a informé Elisabeth de C… de l’interdiction légale d’intervenir dans une cession immobilière édictée par loi du 2 janvier 1970 dans laquelle elle se trouvait faute d’être titulaire de la carte d’agent immobilier, la Cour devait retenir à son encontre, ainsi qu’à l’encontre de ses dirigeants, la prise de fausse qualité constitutive de l’escroquerie ;
« alors d’autre part, qu’en se bornant à affirmer qu’il résultait de l’information et notamment de la forme des mandats signés parElisabeth de C… qu’elle ne pouvait pas ignorer que la banque ne disposait pas de la carte d’agent immobilier sans préciser en quoi la forme des mandats dont l’objet portait sur la mission exclusive de vendre un immeuble contre le paiement d’une commission, pouvait permettre à Elisabeth de C… de savoir que JP Morgan & Cie SA non seulement ne disposait pas de ladite carte mais qu’une telle opération, même ponctuelle, lui était strictement interdite, ni quels étaient les éléments de l’information établissant que celle-ci avait connaissance au moment de la signature des mandats de vente de l’immeuble consentis par elle de l’interdiction qui frappait le banquier, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
« alors, de troisième part, que dans leur plainte, les parties civiles avaient fait valoir que Shadowdance était le seul actionnaire de Belensas au profit de laquelle avait été consentie la vente de l’immeuble et que cette société appartenait à MGT (p.8 1er); qu’en affirmant, en contradiction avec les éléments de fait du dossier et sans autrement s’en expliquer, queElisabeth de C… était, au travers de Shadowdance et de Chardon, I’ayant-droit économique de Belensas et qu’elle n’en avait jamais perdu le contrôle, I’arrêt attaqué n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 405 ancien du code pénal ;
« alors, de quatrieme part, que dans leur mémoire, les parties civiles avaient fait valoir que la banque avait obtenu la signature des prêts par la société Belensas sur l’affirmation, confirmée par des tiers, que des acquéreurs de l’immeuble s’étaient définitivement engagés, ce qui était faux (mémoire p.21 1er); que par ce même moyen, elle avait également obtenu de Elisabeth de C… et de la société Urbinvest qu’elles souscrivent tous les engagements et garanties en vue de la réalisation du montage; que cette affirmation fausse corroborée par des tiers constituait une manoeuvre frauduleuse au sens de l’article 405 ancien du code pénal dès lors que, sans elle, ni la société Belensas n’aurait souscrit les prêts en vue de l’acquisition de l’immeuble, ni Elisabeth de C… et la société Urbinvest n’auraient pris aucun des engagements qu’elles ont pris en vue du montage et cédé la propriété de leur immeuble à la société Belensas dont le seul actionnaire était la société Shadowdance qui appartenait à MGT; qu’en s’abstenant de répondre à cette articulation essentielle du mémoire, I’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale ;
« alors enfin que le fait que Elisabeth de C… ait été présente dans les locaux de la banque, le 29 mars 1990, le jour de la signature de la promesse de vente aux sociétés SIVMI et SETIC, n’est pas de nature à faire disparaître le fait que c’est sur l’affirmation de la banque corroborée par des tiers que les acquéreurs s’étaient définitivement engagés que Belensas a signé les prêts nécessaires à cette acquisition et que la société Urbinvest a cédé, le 12 mars 1990, sa moitié indivise dans l’immeuble à Belensas; que ce motif inopérant qui ne caractérise pas l’absence d’escroquerie ne donne aucune base légale à l’arrêt attaqué » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué permettent à la Cour de Cassation de s’assurer que, pour confirmer l’ ordonnance entreprise disant n’y avoir lieu à mise en examen de Didier Y… et de Didier X…, des chefs de faux, d’usage de faux et d’escroquerie, la chambre d’accusation, après avoir analysé les faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire des parties civiles, a exposé les motifs pour lesquels elle a estimé qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre les susnommés d’avoir commis les infractions reprochées ;
Attendu que les moyens de cassation proposés, qui reviennent à discuter les motifs de fait et de droit retenus par les juges, ne contiennent aucun des griefs que l’article 575 du Code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l’appui de son seul pourvoi contre un arrêt de la chambre d’accusation, en l’absence de pourvoi du ministère public ;
Que, dès lors, les moyens sont irrecevables ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 16 et 18 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1990, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu à mise en examen de Didier Y… et Didier X… du chef d’infraction à la loi du 2 janvier 1970 ;
« aux motifs que la banque Morgan qui avait reçu mandats datés des 28 novembre 1988, 7 avril 1989, 28 avril 1989, 3 mai 1989 et 20 juillet 1990, à l’effet de procéder à des ventes immobilières, ne disposait pas de la carte d’agent immobilier; que Didier Y… et Didier X… respectivement président-directeur général et directeur général de la banque, semblaient n’avoir jamais été condamnés pour exercice illégal de la profession d’agent immobilier; qu’en vertu de l’article 16 de la loi du 2 janvier 1971, ils n’encouraient qu’une peine d’amende de 30 000 francs et qu’en application de l’article 2 de la loi du 3 août 1995, ce délit, commis avant le 18 mai 1945, paraissait amnistié de plein droit ;
« alors, d’une part, que l’article 2 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, porte que sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d’amende est encourue, à l’exception de toute autre peine ou mesure, lorsqu’ils ont été commis avant le 18 mai 1995; que, aux termes de l’article 18 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, sera punie d’un emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une amende de 2 000 à 30 000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement toute personne qui, n’étant pas titulaire de la carte professionnelle prévue à l’article 3, aura, à l’occasion d’opérations visées à l’article 1er, reçu ou détenu, à quelque titre et de quelque manière que ce soit, des sommes d’argent, biens, effets ou valeurs quelconques, ou en aura disposé; que l’arrêt attaqué a constaté que la banque Morgan, dont Didier Y… et Didier X… étaient respectivement le président-directeur général et le directeur général adjoint, effectuait des opérations prévues à l’article 1er sans être titulaire de la carte professionnelle prévue à l’article 3; qu’il résulte des termes de la plainte que la somme de 42 millions de francs représentant le prix de vente de la moitié indivise de l’immeuble appartenant à Elisabeth de C… a été convertie par MGT (la banque Morgan) en parts de fonds commun de placement, que MGT, a reçues en nantissement le 15 juin 1990; qu’ainsi, en violation de l’article 18 de la loi précitée, MGT qui n’était pas titulaire de la carte d’agent immobilier a reçu des sommes et des valeurs provenant de la vente d’un immeuble; que ce délit n’était pas amnistié par l’article 2 de la loi n° 95-384 du 3 août 1995 en sorte que le refus de mise en examen fondé
sur une prétendue amnistie de l’infraction est illégal ;
« alors, d’autre part, que dans son mémoire, Didier Y… reconnaissait que la banque avait exigé ou reçu des sommes en relation avec la vente de l’immeuble, mais prétendait que ces sommes auraient été exigées par la banque dans le cadre de son activité bancaire; qu’il ne contestait pas toutefois que la banque était intervenue dans le cadre d’une activité intermédiaire immobilier (mémoire p. 22 5 et dernier);
que, dès lors qu’il était reconnu que la banque avait joué un rôle d’intermédiaire immobilier, elle ne pouvait, en aucun cas, en vertu de l’article 18 de la loi du 2 janvier 1970, percevoir aucune somme, bien valeur ou effet à quelque titre et de quelque manière que ce soit; qu’ainsi, c’est à tort que la chambre d’accusation a déclaré l’infraction amnistiée ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d’amende est encourue, lorsqu’ils ont été commis avant le 18 mai 1995 ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par Elisabeth de A… Terraube et par la société Urbinvest, notamment pour exercice illégal de la profession d’agent immobilier, le procureur de la République a délivré des réquisitions visant Didier Y… et Didier X… des chefs d’infractions aux articles 3, 16 et 18 de la loi du 2 janvier 1970 ;
Attendu que, pour dire n’y avoir lieu à mise en examen de Didier Y… et Didier X…, la chambre d’accusation énonce que le délit prévu à l’article 16 de la loi précitée, étant, en l’absence de récidive, puni seulement d’une peine d’amende, se trouve amnistié de plein droit par application de l’article 2 de la loi du 3 août 1995 ;
Mais attendu qu’en omettant de prononcer sur le délit réprimé par l’article 18 de la loi du 2 janvier 1970, qui, faisant encourir aux intéréssés une peine d’emprisonnement, n’était pas amnistié de plein droit, la chambre d’accusation a méconnu les textes et principe susvisés ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions ayant omis de prononcer sur le délit prévu à l’article 18 de la loi du 2 janvier 1970, l’ arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’ appel de Paris, en date du 26 janvier 1996, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d’appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Roman, Martin, Pibouleau conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme Batut conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Dintilhac ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;