Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf mars deux mille deux, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, et les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Roger,
contre l’arrêt de la cour d’appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 4 avril 2001, qui, pour blessures involontaires et infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, l’a condamné à 3 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d’amende et a prononcé sur l’action civile ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 230-2, L. 231-1, L. 231-2, L. 263-2, L. 263-2-1, L. 263-6, alinéa 1er, L. 233-5-1 et R. 237-1 et suivants du Code du travail, 111-2, 111-3, 121-3, 222-19, 222-44 et 222-46 du Code pénal, 2, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Roger X… coupable d’avoir omis de respecter les mesures relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail, en l’espèce en omettant de prendre les dispositions et de diffuser les consignes nécessaires en matière de circulation et de sécurité des appareils de levage à la sauvegarde du personnel ;
« aux motifs qu’il est reproché à Roger X… d’avoir omis de respecter les mesures relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail en omettant de prendre les dispositions et de diffuser les consignes nécessaires, en matière de circulation et de sécurité des appareils de levage, à la sauvegarde du personnel, en violation des dispositions des articles L. 231-1, L. 231-2 et L. 263-2 du Code du travail ; il n’est pas contestable, au vu des déclarations recueillies, qu’au moment de l’accident, la présence de l’échafaudage dans l’allée des cisailles empêchait et pour le moins rendait très dangereux le passage de chariots élévateurs chargés et contraints, de ce fait, pour un problème de visibilité, d’être conduits par le cariste en marche arrière et par voie de conséquence interdisait l’accès à l’allée de la ligne d’impression conduisant au sas de sortie, alors que tous les chariots étaient en activité et que seule l’allée des presses, interdite, constituait l’unique passage libre : aucune mesure d’organisation, même transitoire et ponctuelle, n’avait à cet égard été arrêtée et diffusée : aucune consigne écrite n’avait été prise pour pallier cette difficulté qui n’était pas imprévisible ; la Cour, rappelant qu’en application des dispositions de l’article L. 230-2 III du Code du travail, auquel l’article L. 231-2-3 du même code fait référence, il est mis à la charge de l’employeur une obligation générale de prévention tant dans l’évaluation des risques pour la sécurité des travailleurs que dans la mise en oeuvre des procédés pour y remédier, relève qu’une disposition législative, mentionnée à l’article L. 231-2, a délégué au pouvoir réglementaire la prérogative d’édicter une réglementation pour déterminer les modalités de l’évaluation des risques prévue au III de l’article L. 230-2 dont la méconnaissance constitue le délit prévu et réprimé par les articles L. 231-2 et L. 263-2 dudit code et que, dans le cadre de cet article L. 231-2, a été pris un décret d’application du 20 février 1992 et codifié sous les articles R. 237-1 et suivants du Code du travail, précisant les prescriptions particulières d’hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure et notamment les obligations à la charge du chef de l’entreprise utilisatrice ; en application des dispositions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail, Roger X…, en sa qualité de chef de l’entreprise utilisatrice, avait l’obligation, préalablement à l’exécution des travaux de peinture, de procéder avec le chef de l’entreprise Surville à une inspection commune des lieux de travail et à une analyse des risques pouvant résulter de la simultanéité et de l’interférence des activités et, lorsque ces risques existent, d’arrêter et de diffuser, avant le début des travaux, un plan de prévention définissant les mesures à prendre en vue de prévenir ces risques ; ainsi, il lui incombait d’évaluer les risques engendrés par ces travaux de peinture pour la sécurité des travailleurs au regard de la circulation des chariots élévateurs et de prendre et de diffuser toutes les mesures nécessaires à l’aménagement des chemins de circulation et des méthodes de travail soit pour permettre une circulation des chariots élévateurs dans des conditions garantissant la sécurité des travailleurs, soit pour l’interdire en tout ou partie, surtout qu’il n’ignorait pas les risques que faisait encourir le passage des chariots élévateurs dans l’allée des presses aux opérateurs affectés au chargement des presses et au contrôle de la fabrication des capsules ; bien que le plan de prévention dont fait état Roger X… dans sa correspondance adressée à l’Inspection du Travail le 29 octobre 1996 n’ait pas été produit aux débats et qu’une incertitude existe tant sur sa teneur que sur la date de son établissement, il n’en demeure pas moins que Roger X… a reconnu et ne conteste pas qu’au regard de la circulation des chariots élévateurs, aucune disposition n’avait été arrêtée ni même envisagée pour remédier aux difficultés engendrées par la présence de l’échafaudage dans les allées et parer aux risques que ces travaux de peinture, effectués simultanément aux activités de l’entreprise Tapon France, pouvaient faire encourir à la sécurité des travailleurs ; en omettant de procéder à l’évaluation de ces risques et de prendre et diffuser les mesures nécessaires pour y remédier, Roger X…, à qui incombait cette obligation en sa qualité de chef d’entreprise, a bien, par sa faute personnelle, enfreint les dispositions de l’article L. 231-2 inséré au chapitre I du titre III du livre II du Code du travail dans les termes visés à la prévention, de sorte qu’infirmant le jugement déféré la Cour le déclarera coupable de ce chef de poursuite ; que ce manquement apporté à cette obligation de sécurité et de prudence prévue par le règlement et sanctionné par l’article L. 263-2 du Code du travail, Roger X…, qui ne pouvait ignorer l’existence de cette obligation mise à sa charge, a commis une faute caractérisée au sens de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, de sorte que ce manquement ayant contribué à créer la situation qui a permis la survenance de l’accident dont fut victime Dominique Y…, la Cour déclarera Roger X… également coupable du délit de blessures involontaires qui lui est reproché (arrêt, pages 7 à 9) ;
« 1 ) alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu’ils ont été retenus dans l’acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d’être jugé sur des faits nouveaux ;
« qu’en l’espèce, il résulte des pièces de la procédure et notamment des mentions de l’arrêt attaqué (page 3), et de la citation à prévenu du 4 janvier 2000, qu’il était reproché à Roger X…, d’une part, d’avoir omis de respecter les mesures relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail, en omettant de prendre les dispositions et de diffuser les consignes nécessaires, en matière de circulation et de sécurité des appareils de levage, à la sauvegarde du personnel, faits prévus par les articles L. 231-1, L. 231-2, L. 263-2, L. 263-6 et L. 233-5-1 du Code du travail, et par le décret n° 47-1592 du 23 août 1947 portant règlement d’administration publique en ce qui concerne les mesures particulières de sécurité relatives aux appareils de levage autres que les ascenseurs et monte-charge, d’autre part d’avoir, par imprudence, et dans le cadre du travail, involontairement causé à Dominique Y… une atteinte à l’intégrité de sa personne, entraînant une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, faits prévus et réprimés par les articles 222-19 du Code pénal et L. 263-2 du Code du travail ;
« que, dès lors, en se bornant à relever, pour déclarer le demandeur coupable des deux chefs de prévention susvisés, que le prévenu aurait méconnu les prescriptions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail, relatives aux mesures de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure, la cour d’appel qui retient à la charge du prévenu des faits non compris dans l’acte de saisine, a violé l’article 388 du Code de procédure pénale ;
« 2 ) alors que les dispositions de l’article L. 230-2 du Code du travail ne sont pas pénalement sanctionnées ;
« qu’en l’espèce, pour déclarer le demandeur coupable des deux chefs de prévention susvisés, la cour d’appel a énoncé, d’une part, que le demandeur aurait méconnu les prescriptions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail, d’autre part, que ces dispositions ont été prises en application de l’article L. 231-2 du même code, enfin que le délit prévu par ce dernier texte sanctionnerait pénalement la méconnaissance des dispositions de l’article L. 230-2 du Code du travail ;
« qu’ainsi, en condamnant le demandeur à raison d’un fait qui n’est qualifié par la loi ni de crime ni de délit, la cour d’appel qui méconnaît le principe de la légalité criminelle, a violé les articles 111-2 et 111-3 du Code pénal ;
« 3 ) alors qu’en se déterminant par la circonstance que l’employeur n’a pris aucune disposition particulière relative à la circulation des chariots élévateurs, pour en déduire que cette faute a contribué à créer la situation qui a permis la survenance de l’accident dont fut victime Dominique Y…, tout en relevant par ailleurs que cet accident est survenu dans l’allée des presses (arrêt, page 4, in fine) et que l’accès à cette allée était formellement interdit au chariot élévateur ayant heurté la victime, ce dont il résulte que cette interdiction, régulièrement affichée et à laquelle aucune dérogation n’a été apportée, constituait une consigne de sécurité dont le respect aurait permis d’éviter l’accident litigieux et, partant, que l’employeur s’était parfaitement conformé aux dispositions de l’article 33 du décret n° 47-1592 du 23 août 1947, qui seul, à l’exclusion des textes visés par l’arrêt, met à la charge de l’employeur l’obligation de diffuser des consignes de sécurité relatives au fonctionnement et à la circulation des appareils de levage, la cour d’appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les textes susvisés ;
« 4 ) alors que pour engager sa responsabilité pénale, sur le fondement de l’article 121-3 du Code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, l’auteur indirect du dommage, en ayant commis une faute qualifiée au sens de ce texte, doit à tout le moins avoir contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou omis de prendre les mesures permettant de l’éviter ;
« qu’en l’espèce, la cour d’appel a énoncé qu’aucune disposition n’avait été arrêtée pour remédier aux difficultés engendrées par la présence de l’échafaudage dans les allées et parer aux risques que les travaux de peinture pouvaient faire courir à la sécurité des travailleurs, pour en déduire que ce manquement à l’obligation de sécurité prévue par les articles R. 237-1 du Code du travail a contribué à créer la situation qui a permis la survenance de l’accident dont fut victime Dominique Y… ;
« qu’en statuant ainsi, tout en relevant que l’accident ne s’est pas produit dans les allées obstruées par la présence des échafaudages, mais dans l’allée des presses dont l’accès, en tout état de cause, était demeuré interdit au chariot ayant percuté la victime, ce dont il résulte qu’il n’existe aucun lien de causalité, fût-il indirect, entre la faute reprochée au prévenu et l’accident litigieux, la cour d’appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé les textes susvisés » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, dans une usine de la société Tapon France, un salarié de cette société a été grièvement blessé après avoir été heurté par un chariot élévateur qui circulait en marche arrière ; qu’à la suite de cet accident, Roger X…, directeur de l’usine, a été poursuivi, d’une part, pour blessures involontaires et, d’autre part, pour avoir omis de diffuser les consignes nécessaires à la sauvegarde du personnel en matière de circulation et de sécurité des appareils de levage ;
Attendu que, pour retenir la culpabilité du prévenu, la cour d’appel constate que le conducteur du chariot élévateur avait été contraint de s’engager dans une allée interdite à la circulation en raison de la présence d’échafaudages sur la voie qu’il devait normalement emprunter ;
qu’après avoir rappelé les prescriptions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail, les juges retiennent qu’aucune mesure n’avait été arrêtée ni même envisagée pour remédier aux difficultés de circulation engendrées par la mise en place d’échafaudages, pour les besoins de travaux réalisés par une entreprise extérieure, et parer aux risques ainsi créés pour la sécurité des travailleurs ; qu’ils concluent que le prévenu a méconnu les règles de sécurité visées par la prévention et que, par ce manquement à une obligation de prudence et de sécurité qu’il ne pouvait ignorer, il a commis une faute caractérisée entrant dans les prévisions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, ayant contribué à créer la situation qui a permis la réalisation de l’accident ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, d’où il se déduit que le prévenu ne pouvait ignorer le risque d’une particulière gravité auquel sa faute exposait le salarié, la cour d’appel, qui n’a rien ajouté aux faits dont elle était saisie, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen ;
Que, contrairement à ce qui est soutenu, le demandeur n’a pas été déclaré coupable d’une infraction à l’article L. 230-2 du Code du travail, dont les dispositions ne sont pas pénalement sanctionnées, mais d’une infraction aux dispositions des articles L. 231-1 et L. 231-2 du même code qui rendent obligatoires, dans les entreprises, l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et dont les modalités d’application sont déterminées par voie réglementaire ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;