Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf décembre deux mille, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de GOUTTES ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– Y… Thierry, partie civile,
contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de PARIS, en date du 22 octobre 1999, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevable sa plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée des chefs d’abus de pouvoirs dans la direction de sociétés commerciales, exercice des fonctions de commissaire aux comptes malgré l’existence d’incompatibilités et non révélation de faits délictueux ;
Vu l’art 575 al. 2, 2, du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 245, 249, 437, 456, 457 et 464 de la loi du 24 juillet 1966, 2, 3, 85, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par Thierry Y… le 1er septembre 1998 ;
» aux motifs propres et non contraires du premier juge que dans sa plainte avec constitution de partie civile, Thierry Y… dénonce des pratiques susceptibles, selon lui, de revêtir une qualification pénale, portant sur le mode de désignation des commissaires aux comptes par les dirigeants sociaux de la société Peugeot, qui porteraient atteinte à leur indépendance par rapport à l’exécutif des sociétés soumises à leur contrôle et seraient incompatibles avec l’exercice normal de leur mission ; que ces pratiques, qui n’auraient d’autre but que de conserver aux commissaires aux comptes les avantages liés à leur désignation, ne pourraient être justifiées par aucun motif d’intérêt social ; qu’il en résulterait un préjudice dont Thierry Y… serait fondé à demander réparation, en sa qualité d’actionnaire de ladite société ; que du contenu même de la plainte, il ressort que celle-ci est inspirée de motifs d’intérêt général tendant à la mise en oeuvre de mesures permettant d’éviter que les modes de désignation des commissaires aux comptes ne portent atteinte à leur indépendance ; que si l’on peut soutenir que les pratiques dénoncées pourraient être de nature à porter atteinte à l’intérêt social des sociétés contrôlées, les éléments qui permettraient, dans le cas d’espèce, d’admettre comme possible le préjudice qui pourrait en résulter pour le plaignant ne sauraient résulter de la seule qualité d’actionnaire dont il se prévaut ; qu’il doit pour être recevable à exercer l’action civile en réparation du dommage causé par une infraction, invoquer un préjudice personnel et direct, conformément aux dispositions des articles 2 et 85 du Code de procédure pénale ; qu’au cas présent, le lien entre les infractions dénoncées, fussent elles établies et le
préjudice invoqué concernant l’intérêt personnel direct de l’actionnaire de la société Peugeot apparaît difficilement démontrable ; qu’au surplus il ressort des faits de la cause que celui dont pourrait faire état le plaignant est purement artificiel ; que si sa qualité d’actionnaire résulte du fait qu’il a acquis en février 1998 une action de la société Peugeot, cette acquisition serait postérieure à la réalisation des infractions qu’il dénonce, dont il aurait découvert l’existence au vu des anomalies que comportaient, selon lui, les comptes clos en 1996 de la société Peugeot ; que le caractère artificiel du préjudice invoqué résulte, en outre, de la répétition des plaintes pareillement motivées concernant deux autres sociétés, dont Thierry Y… a saisi la juridiction ; que l’objectif poursuivi par le plaignant, de son propre aveu, qui est d’alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de renforcer les conditions d’une indépendance des commissaires aux comptes, constitue un motif d’intérêt général qui n’autorise pas la mise en mouvement de l’action publique sur la base des droits accordés aux personnes directement et personnellement lésées par une infraction par les articles 2 et 85 du Code de procédure pénale ;
» 1/ alors que devant la juridiction d’instruction, il suffit, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable, que les circonstances sur lesquelles elle se fonde permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu’en déclarant irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de Thierry Y… aux motifs qu’une telle constitution de partie civile ne pouvait être recevable qu’autant qu’il était fait état d’un préjudice direct et personnel et que le lien entre les infractions dénoncées et le préjudice invoqué par Thierry Y… apparaissait difficilement démontrable, la chambre d’accusation a violé les articles visés au moyen ;
» 2/ alors qu’aucun texte n’exige des actionnaires d’une société anonyme, qui se constituent parties civiles à raison du préjudice qu’ils auraient subi du fait d’infractions pénales commises par les dirigeants de la société ou de toute personne intéressant celle-ci, qu’ils prouvent avoir été détenteurs de leurs titres à la date des faits frauduleux allégués ; qu’en fondant aussi sa décision d’irrecevabilité sur la circonstance que la qualité d’actionnaire de Thierry Y… était postérieure à la réalisation des infractions qu’il dénonçait, la chambre d’accusation a violé les textes visés au moyen ;
» 3/ alors que la seule possibilité de l’existence du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale justifie la recevabilité de la constitution de partie civile devant les juridictions d’instruction ; qu’en ajoutant que l’irrecevabilité résultait aussi de la répétition des plaintes pareillement motivées concernant deux autres sociétés dont Thierry Y… était actionnaire, quand cela ne démontrait pas l’inexistence du préjudice et de la relation directe entre celui-ci et une infraction pénale, la chambre d’accusation a violé les textes visés au moyen ;
» 4/ alors que tout actionnaire dispose d’une action sociale, laquelle se distingue de l’action personnelle ; qu’en toute hypothèse, en envisageant la seule action personnelle de Thierry Y…, sans s’expliquer sur son action sociale, la chambre d’accusation n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;
» 5/ alors que seules les infractions à l’intérêt général ne sont pas de nature à servir de fondement à une action civile devant la juridiction répressive ; qu’en considérant finalement que les infractions sanctionnant les irrégularités dans la tenue et le contrôle des comptes sociaux, en ce qu’elles étaient dénoncées par Thierry Y… pour faire renforcer l’indépendance des commissaires aux comptes, ne visaient qu’une atteinte à l’intérêt général, la chambre d’accusation a violé les textes visés au moyen » ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de Thierry Y…, des chefs précités, la chambre d’accusation, après avoir analysé les faits dénoncés, retient notamment que, du propre aveu de son auteur, cette plainte, inspirée par des motifs d’intérêt général, a pour objectif d’alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de renforcer les conditions d’indépendance des commissaires aux comptes ;
Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs d’où il résulte que Thierry Y… ne se réclame d’aucun préjudice personnel directement causé par les infractions dénoncées, la chambre d’application a justifié sa décision ;
D’ou il suit que le moyen doit être. écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. de Gouttes ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;