Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept mai deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle BOULLOCHE, et de la société civile professionnelle PARMENTIER et DIDIER, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Colette, épouse Y…,
– Y… Claude, contre l’arrêt de la cour d’appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 5 octobre 2005, qui a condamné la première, pour abus de biens sociaux et banqueroute, à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 15 ans de faillite personnelle et, le second, pour banqueroute, à 1 an d’emprisonnement avec sursis et 10 ans de faillite personnelle, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Colette Y…, pris de la violation des articles L. 241-3 du code du commerce, 8 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Colette Y… coupable d’abus de biens sociaux ;
« aux motifs que par actes des 20 décembre 1996 et 11 février 1997, la SARL RLC a vendu à la SCI du Parc les deux derniers lots restant à vendre pour les sommes de 2.000.000 francs et 1.345.000 francs ; que sur le prix convenu, la SCI du Parc n’a versé que la somme de 860.000 francs provenant d’un prêt accordé par la Banque populaire de Lorraine; que par ailleurs, la SCI du Parc a fait procéder à des travaux pour un montant facturé de 1.015.452 francs et estimés par Colette Y… à 600.000 francs, toute somme venant s’ajouter au solde restant dû par la SCI du Parc auprès de la SARL RLC ; que selon jugement en date du 14 septembre 1998, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz déclarait ouverte la procédure de redressement judiciaire de la SARL RLC et fixait la date de cessation des paiements au 14 mars 1997 ; qu’il convient de rappeler que dans le cadre des deux ventes visées par la prévention, il était dans l’intérêt normal de la société RLC de contracter dans des conditions lui permettant d’obtenir paiement du prix à l’échéance, ce dont doutait le représentant des créanciers de la SARL RLC, précisant au terme de la lettre au procureur de la République du 19 avril 1999 qu’il était évident que « dès l’origine, la SCI du Parc ne disposait pas des fonds nécessaires pour autofinancer cette acquisition et, en conséquence, elle n’a jamais été en mesure de se conformer aux actes de vente ; que Colette Y… a exposé avoir monté deux SCI pour obtenir des prêts à long terme et que dans le cadre des ventes objets de la prévention, le notaire a passé les actes en accord avec la BNP, cette dernière
ayant donné son accord pour un financement , que Colette Y… qui étant gérante des deux sociétés connaissait nécessairement la situation tant de l’acquéreur que du vendeur, n’a pas craint de faire procéder à la passation desdits actes, alors qu’elle savait pertinemment que d’une part l’exécution par la SCI acquéreur de son obligation de payer le prix de vente dépendait des financements que cette même SCI devait obtenir et que d’autre part, à la date de passation des actes, il n’existait aucune projet permettant d’assurer ledit financement ;
« alors qu’en matière d’abus de biens sociaux, la prescription de l’action publique court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ;
que Colette Y… a été poursuivie pour des faits d’abus de biens sociaux commis entre août 1995 et le 14 mars 1997 ; qu’elle a été citée à comparaître par acte du 25 mars 2002 et qu’il n’est fait mention d’aucun acte interruptif de la prescription avant cette date ;
qu’en refusant de constater au besoin d’office la prescription de l’action publique, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Claude Y…, pris de la violation des articles L. 626-2, L. 626-15 du code de commerce, 8 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Claude Y… coupable de banqueroute pour avoir omis de tenir une comptabilité régulière au regard des dispositions légales ;
« aux motifs que Claude Y… a été cité à personne par exploit du 25 mars 2002 pour avoir au cours de la période du 13 octobre 1997 au 30 septembre 1998, étant dirigeant de la SA ECD ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte le 30 septembre 1998, commis le délit de banqueroute en omettant de tenir une comptabilité régulière au regard des dispositions légales ;
« alors qu’en matière de banqueroute, la prescription de l’action publique court du jour du jugement prononçant l’ouverture de la procédure collective lorsque les faits incriminés sont apparus avant cette date ; qu’il ressort des constatations de l’arrêt que la société ECD a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte le 30 septembre 1998 et que Claude Y… a été poursuivi pour des faits commis entre le 13 octobre 1997 et le 30 septembre 1998 ; que l’action publique se trouvait prescrite le 30 septembre 2001 ; qu’il ressort encore des constatations de l’arrêt que Claude Y… n’a été cité à comparaître que le 25 mars 2002 et qu’il n’est fait mention d’aucun acte interruptif de la prescription avant cette date ; qu’en refusant de constater au besoin d’office la prescription de l’action publique, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que si la prescription de l’action publique peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, c’est à la condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ;
Qu’à défaut de telles constatations, les moyens, mélangés de fait, sont nouveaux et, comme tels, irrecevables ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Colette Y…, pris de la violation des articles L 241-3 du code de commerce, 485 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Colette Y… coupable d’abus de biens sociaux,
« aux motifs que par actes des 20 décembre 1996 et 11 février 1997, la SARL RLC a vendu à la SCI du Parc les deux derniers lots restant à vendre pour les sommes de 2.000.000 francs et 1.345.000 francs ; que sur le prix convenu, la SCI du Parc n’a versé que la somme de 860.000 francs provenant d’un prêt accordé par la Banque populaire de Lorraine ; que par ailleurs, la SCI du Parc a fait procéder à des travaux pour un montant facturé de 1.015.452 francs et estimés par Colette Y… à 600.000 francs, toute somme venant s’ajouter au solde restant dû par la SCI du Parc auprès de la SARL RLC ; que, selon jugement en date du 14 septembre 1998, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz déclarait ouverte la procédure de redressement judiciaire de la SARL RLC et fixait la’ date de cessation des paiements au 14 mars 1997 ;
qu’il convient de rappeler que dans le cadre des deux ventes visées par la prévention, il était dans l’intérêt normal de la société RLC de contracter dans des conditions lui permettant d’obtenir paiement du prix à l’échéance, ce dont doutait le représentant des créanciers de la SARL RLC, précisant au terme de la lettre au procureur de la République du 19 avril 1999 qu’il était évident que « dès l’origine, la SCI du Parc ne disposait pas des fonds nécessaires pour autofinancer cette acquisition et, en conséquence, elle n’a jamais été en mesure de se conformer aux actes de vente » ; que Colette Y… a exposé avoir monté deux SCI pour obtenir des prêts à long terme et que dans le cadre des ventes objets de la prévention, le notaire a passé les actes en accord avec la BNP, cette dernière ayant donné son accord pour un financement ; que Colette Y… qui étant gérante des deux sociétés connaissait nécessairement la situation tant de l’acquéreur que du vendeur, n’a pas craint de faire procéder à la passation desdits actes, alors qu’elle savait pertinemment que, d’une part, l’exécution par la SCI acquéreur de son obligation de payer le prix de vente dépendait des financements que cette même SCI devait obtenir et que, d’autre part, à la date de passation des actes, il n’existait aucune projet permettant d’assurer ledit financement ;
« alors que, d’une part, le vendeur d’un immeuble en état futur d’achèvement dispose d’une action résolutoire en cas de défaut de paiement du prix de vente ; qu’en estimant que Colette Y… s’était rendue coupable d’abus de biens sociaux en cédant les actifs de la société RLC sans garantie effective de paiement du prix en son intégralité, sans caractériser le risque injustifié qui aurait été pris de la sorte par le dirigeant social au regard des intérêts de la société RLC, laquelle disposait en tout état de cause de l’action résolutoire, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
« alors que, d’autre part le délit d’abus de biens sociaux nécessite la démonstration d’un élément intentionnel; qu’il résulte des constatations de l’arrêt attaqué que Colette Y…, en tant que dirigeante de la SCI du Parc, acquéreur, a tenté d’obtenir un prêt pour solder le prix de vente et s’est portée personnellement caution du remboursement de ce prêt ; que ces éléments étaient de nature à établir l’absence de volonté délibérée de la demanderesse de spolier la société RLC au bénéfice de la SCI du Parc ; qu’en refusant de tenir compte de ces éléments au motif inopérant qu’ils seraient intervenus postérieurement à la passation des actes de vente, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’élément intentionnel du délit d’abus de biens sociaux, n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés » ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Colette Y…, pris de la violation des articles L. 626-2, L. 626-15 du code de commerce, article préliminaire et article 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Colette Y… coupable de banqueroute pour avoir omis de tenir une comptabilité régulière au regard des dispositions légales ;
« aux motifs qu’il est constant qu’il a été satisfait aux exigences réglementaires et légales s’agissant des exercices 1995 et 1996 ; que les questions se posent pour la comptabilité afférente aux exercices 1997 et 1998 ; que pour ce qui concerne le premier de ces exercices, il convient de relever que si selon Claude Z…, un projet de bilan a été établi en juillet 1999, il n’en reste pas moins que l’expert comptable a précisé avoir eu les plus grandes difficultés pour obtenir les pièces nécessaires pour établir ce document et qu’il émet les plus grandes réserves quant à la sincérité dudit bilan ; que l’inspectrice des impôts entendue au cours de l’enquête, et qui a procédé à des opérations de vérifications fiscales de la SARL RLC, ne dit pas autre chose, confirmant les difficultés éprouvées pour obtenir de Colette Y… les éléments nécessaires à la vérification et le caractère parcellaire des documents qui lui ont été produits ; qu’à cet égard, les courriers produits par Colette Y… en direction de l’administration fiscale qui constituent des réponses et observations dans le cadre de la vérification fiscale et reprennent les allégations de Colette Y… n’apparaissent pas de nature à établir que cette dernière a satisfait à ses obligations en terme de tenue de comptabilité ;
« alors qu’en retenant la culpabilité de Colette Y… du chef de tenue d’une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, motif pris que des questions se posent pour la comptabilité des exercices 1997 et 1998 et qu’à cet égard, les courriers de l’administration fiscale n’apparaissent pas de nature à établir que Colette Y… aurait satisfait à ses obligations en terme de tenue de comptabilité, la cour d’appel a statué par des motifs hypothétiques, en violation des articles et principe susvisés » ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour Claude Y…, pris de la violation du principe de la saisine in rem des juridictions de jugement, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles L. 622-9, L. 626-2, L. 626-15 du code de commerce, 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Claude Y… coupable de banqueroute pour avoir omis de tenir une comptabilité régulière au regard des dispositions légales ;
« aux motifs que si Claude Y…, après avoir admis que la comptabilité était incomplète, a exposé avoir fait tout son possible, il n’en reste pas moins que tant les pièces de la procédure que partie des documents produits pas l’intéressé établissent que des demandes régulières ont été formulées en direction de Claude Y… pour produire soit la comptabilité elle-même soit les pièces justificatives, émanant tant de Michèle A…, expert comptable, du commissaire aux comptes de la société ECD, M. B…, que du mandataire liquidateur ; que de même, le rapport de diligence dressé par Sylvain C… met également en avant de nombreuses carences dans la disposition des pièces nécessaires pour établir un compte un tant soit peu régulier et exploitable ;
« et aux motifs adoptés que le tribunal retiendra que Claude Y… était, avec son épouse, l’un des principaux actionnaires de la SA ECD créée le 10 mars 1997, et qu’il en a été le gérant de droit à compter du 13 octobre 1997 jusqu’à la mise en liquidation judiciaire de la société ; que la tenue de la comptabilité de la société ECD a été confiée à Michèle A…, intervenant pour la société Sologest, qui a été en mesure de remplir sa mission tant que Jean-Claude D… en était le PDG, mais n’a pu obtenir la communication des éléments nécessaires dès lors que Claude Y… lui a succédé ; que Michèle A… a mis fin à sa mission et restitué à Claude Y… les documents en sa possession, ainsi qu’il lui en a été donné décharge le 9 mars 1998 ; qu’à la date d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société ECD, soit le 30 septembre 1998, le bilan du premier exercice, clôturé le 31 décembre 1997, n’était toujours pas établi ; que Me E…, liquidateur judiciaire de la société ECD, a demandé à plusieurs reprises à Claude Y…, et notamment par ses lettres des 27 octobre 1998, 17 novembre 1998, 18 janvier 1999 et 3 mars 1999, la transmission des documents comptables de la société, sans recevoir de réponse, ce que Claude Y… a admis lors de son audition dans le cadre de sa garde à vue ; que ce n’est qu’en date du 13 décembre 1999, alors que la société ECD se trouvait en liquidation judiciaire depuis plus d’un an, que Claude Y… a missionné Sylvain C…, intervenant pour le cabinet comptable Capec, pour qu’il dresse le premier bilan social ; que cependant, Claude Y… n’a pas été en mesure de lui fournir des éléments comptables exploitables, de sorte que le bilan pour la période du 1er juin 1997 au 30 septembre 1998 issu de ses travaux était manifestement inexact ;
« alors que, d’une part, en se fondant pour asseoir sa décision de culpabilité sur des faits postérieurs au jugement de liquidation judiciaire, et notamment le fait d’avoir attendu le 13 décembre 1999, alors que la société ECD se trouvait en liquidation depuis plus d’un an, pour missionner un expert comptable, la cour d’appel a, en violation des textes susvisés, méconnu les règles de la saisine in rem et les faits visés à la prévention, soit l’omission de tenue d’une comptabilité régulière du 13 octobre 1997 au 30 septembre 1998 ;
« alors que, d’autre part, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine étant exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ; qu’en imputant à faute à Claude Y… la saisine tardive, plus d’un an après la liquidation judiciaire de la société ECD, d’un cabinet d’expert comptable pour établir le bilan, sans rechercher si, postérieurement au jugement de liquidation dessaisissant Claude Y… de toutes ses fonctions, il pouvait lui être reproché de n’avoir pas saisi un expert comptable pour établir la comptabilité de la société, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
« alors qu’enfin, le délit de banqueroute par omission de tenue d’une comptabilité suppose un élément intentionnel ; qu’il ressort des éléments de la cause que Claude Y… a missionné un premier cabinet d’expert comptable puis un second pour tenter d’établir le bilan de la société ; qu’en déclarant Claude Y… coupable des faits qui lui étaient reprochés, sans caractériser l’élément intentionnel du délit soit la volonté délibérée de se soustraire à ses obligations concernant l’établissement de la comptabilité, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Colette Y… et Claude Y… devront payer à la Selarl Etude E…, agissant en qualité de liquidateur des sociétés RLC et ECD, au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;