Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le seize mai mil neuf cent quatre vingt onze, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller de BOUILLANE de LACOSTE, les observations de Me A… et de la société civile professionnelle RICHE et THOMAS-RAQUIN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général PRADAIN ; Statuant sur le pourvoi formé par :
Y… René,
LA SOCIETE LOISIRS EXPLOITATION « LA SAPINIERE »,
contre l’arrêt de la cour d’appel de CHAMBERY (chambre correctionnelle) du 24 novembre 1988 qui a condamné le premier à 10 000 francs d’amende pour contrefaçon, a déclaré la seconde civilement responsable, et a prononcé sur les intérêts civils ; Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense ; d
Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué que, sans verser les redevances correspondantes, René Y…, gérant d’une société exploitant une discothèque, a diffusé dans cet établissement des oeuvres musicales appartenant au répertoire de la « Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique » (SACEM) ; que sur la plainte de celle-ci il a été poursuivi du chef de contrefaçon ; En cet état :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l’article 9 du Règlement 17/62, des articles 85 et 86 du traité de Rome ; « en ce que la décision attaquée a refusé de surseoir à statuer, uniquement par des motifs touchant le problème de la saisine de la Cour de justice des Communautés ; « alors que les demandeurs avaient demandé à la cour d’appel de surseoir à statuer en raison d’une plainte déposée devant la Commission des Communautés européennes, et en raison de ce qu’une action aurait été entreprise par la Commission ; qu’en ne se prononçant pas sur ce point, la cour d’appel a omis de répondre à un chef péremptoire des conclusions de la demanderesse » ; Attendu que René Y… et la société La Sapinière ont prétendu que la Commission des Communautés européennes avait engagé, au vu d’une plainte portée contre la SACEM, une procédure en application de l’article 3 du Règlement n° 17-62 du Conseil de la CEE en date du 6 février 1962, en vue de rechercher si la SACEM avait enfreint les articles 85 et 86 du Traité CEE ; qu’ils en ont déduit que la cour d’appel devait, par application de l’article 9,3 du même règlement, surseoir à statuer jusqu’à la
décision de la Commission, et lui ont demandé de prononcer un tel sursis par « sécurité juridique » ; Attendu qu’en rejetant cette demande les juges d’appel n’ont pas encouru les griefs allégués ; Qu’en effet, les juridictions nationales ne font pas partie des « autorités des Etats membres » visées à l’article 9,3 du règlement précité et qui, selon le texte, n’ont pas compétence pour statuer sur l’application des articles 85 et 86 du Traité CEE dès d lors qu’une procédure a été engagée par la Commission conformément à l’article 3 du règlement et tant que cette dernière n’a pas rendu sa décision ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 85 et 86 du traité de Rome, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; « en ce que la décision attaquée a décidé que le délit de contrefaçon était constitué et a accordé, en ce qui concerne l’action civile une provision et ordonné une expertise pour déterminer le montant de la redevance au taux de 8,25 % due pour la période considérée ; « au motif, en ce qui concerne le délit de contrefaçon, qu’il résulte des procès-verbaux dressés par les agents assermentés de la SACEM entre le 1er novembre 1985 et le 31 décembre 1986, que le prévenu a diffusé dans l’établissement qu’il dirigeait des oeuvres protégées par la loi du 11 mars 1957, sans avoir obtenu d’autorisation ; que l’élément intentionnel établi par l’existence même du fait matériel est corroboré par le refus du prévenu de signer le contrat général de représentation qui lui était proposé par la partie civile ; « et aux motif, en ce qui concerne l’action civile que la redevance réclamée respecte la règle de la participation proportionnelle aux recettes provenant de l’exploitation des discothèques et doit être déclarée licite ; « alors, d’une part, que le délit de contrefaçon est un délit intentionnel, que l’élément intentionnel ne résulte pas du fait matériel, mais est seulement présumé, et qu’il ne s’agit que d’une présomption simple ; que ne saurait être considéré comme de mauvaise foi celui qui se déclare prêt à signer un contrat de représentation mais auquel la société d’auteurs refuse de consentir un contrat dans des conditions normales, et offre un contrat illégal comme contraire tant à l’article 8 de l’Ordonnance du 1er décembre 1986 qu’aux articles 85 et 86 du traité de Rome ; « alors, d’autre part, que constitue un abus de puissance économique le fait, du point de vue du droit d communautaire, de profiter d’une puissance économique obtenue, notamment, grâce à un cloisonnement du Marché commun, résultant de ce qu’une société de droits d’auteurs, la
SACEM, exploite, sur le territoire français, non seulement son répertoire, mais celui des autres sociétés de droits d’auteurs des Etats membres de la Comunauté, grâce à un système de représentation réciproque, et sans que les autres sociétés lui fassent concurrence sur le territoire français, ainsi que le fait de refuser la communication du répertoire des sociétés étrangères ; qu’en décidant que l’utilisation faite, par une société de gestion des droits d’auteur, la possibilité que lui offre la législation nationale ne constitue pas en elle-même un comportement abusif, et en affirmant, sans autre motif, qu’en l’état des pratiques discriminatoires reprochées à la SACEM ne sont pas établies, sans rechercher comme l’y invitaient les conclusions de la demanderesse, si le fait de refuser l’accès direct au répertoire des auteurs ou des société d’auteur d’un autre Etat membre, et le fait de pratiquer des taux très supérieurs aux taux pratiqués par les autres sociétés d’auteur étrangères, et d’imposer aux discothèques des conditions non équitables, tout en ne reversant rien aux sociétés d’auteur étrangères, ne constituaient pas un abus de puissance économique au sens des articles 85 et 86 du traité de Rome, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale ; « alors, enfin, qu’en se contentant d’affirmer qu’en l’état, les pratiques discriminatoires et l’abus de dépendance économique reprochés à la SACEM ne sont pas établis, tant en droit interne qu’en droit communautaire, sans examiner les articulations de fait de la demanderesse, la cour d’appel a insuffisamment motivé sa décision » ; Sur la première branche :
Attendu qu’en énonçant que l’élément intentionnel du délit de contrefaçon, « établi par l’existence même du fait matériel », était en l’espèce « corroboré par le refus du prévenu de signer le contrat général de représentation qui lui était proposé par la partie civile », les juges ont, par une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis au débat contradictoire, retenu que René Y… ne rapportait pas la preuve de sa bonne foi et caractérisé ainsi l’infraction poursuivie ; Sur les deuxième et troisième branches :
d Attendu que pour écarter les griefs d’abus de position dominante et de pratiques discriminatoires et anti-concurrentielles articulés par René Y… et la société La Sapinière, et pour rejeter leur argumentation relative au caractère excessif des redevances perçues par la SACEM, les juges d’appel retiennent que le contrat général de représentation proposé aux discothèques par la SACEM permet un accès global aux oeuvres inscrites à son répertoire et à celui des sociétés d’auteurs étrangères avec lesquelles elle a passé un contrat de représentation réciproque ; qu’ils ajoutent que le taux des redevances est identique, qu’il s’agisse de son répertoire propre ou de celui des sociétés étrangères, et que la redevance réclamée est licite dès lors qu’elle
respecte la règle, énoncée à l’article 35 de la loi du 11 mars 1957, de la participation proportionnelle aux recettes provenant de l’exploitation des oeuvres ; qu’ils en concluent que les pratiques discriminatoires et l’abus de position dominante allégués ne sont pas caractérisés, au regard tant du droit interne que du droit communautaire ; Attendu qu’en l’état de ces motifs procédant de l’appréciation souveraine des éléments de preuve soumis au débat contradictoire et répondant aux conclusions prétendument délaissées lesquelles, si elles soutenaient que les redevances réclamées aux discothèques par la SACEM étaient sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres de la Communauté économique européenne, ne démontraient pas que la comparaison des tarifs eût été effectuée sur une base homogène, la cour d’appel a justifié sa décision ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Et attendu que l’arrêt est réguler en la forme ; REJETTE le pourvoi ; Condamne les demandeurs aux dépens ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Où étaient présents :
M. Le Gunehec président, M. de X… de Lacoste conseiller rapporteur, MM. Jean B…, Blin, Carlioz conseillers de la chambre, MM. Z…, Maron conseillers d référendaires, Mme Pradain avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;