Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1°) X… Yvonne, veuve Y… ;
2°) Z… Ljubomir ;
3°) A… Jean-Jacques ;
4°) Y… Eric,
contre un arrêt de la cour d’appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 30 mai 1986, qui a condamné X… Yvonne, veuve Y…, pour banqueroute par tenue d’une comptabilité partiellement fictive et abstention de tenue de toute comptabilité, pour abus de biens sociaux, et présentation de bilans inexacts, à 30 000 francs d’amende et, en outre, à la sanction de la faillite personnelle pour 5 ans ; Z… Ljubomir pour banqueroute par tenue d’une comptabilité partiellement fictive et abstention de tenue de toute comptabilité, pour abus de biens sociaux, abus de confiance, présentation de bilans inexacts, à 1 an d’emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d’amende, et, en outre, à la sanction de la faillite personnelle pour 5 ans ; A… Jean-Jacques pour banqueroute par tenue d’une comptabilité partiellement fictive et abstention de tenue de toute comptabilité, pour abus de biens sociaux, abus de confiance, présentation de bilans inexacts, faux et usage de faux en écritures de commerce, à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d’amende, et en outre, à la sanction de la faillite personnelle pour 5 ans ; Y… Eric pour recel d’abus de biens sociaux à 10 000 francs d’amende.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen relevé d’office et pris de la violation de l’article 4 du Code pénal, de l’article 238 de la loi 85-99 du 25 janvier 1985 et de l’article 388 du Code de procédure pénale ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 4 du Code pénal, nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis ;
Attendu, d’autre part, que les juges s’ils ne sont pas tenus par la qualification donnée aux faits par l’ordonnance de renvoi ou par la citation qui les a saisis, ne peuvent, par le jeu de la requalification, ajouter aux faits qui leur sont soumis des circonstances nouvelles sur lesquelles ils se fondent pour prononcer la condamnation des prévenus ;
Attendu que trois des quatre demandeurs au pourvoi, en l’espèce Yvonne X…, veuve Y…, Ljubomir Z… et Jean-Jacques A…, pris en leurs qualités respectives, la première, de présidente de la SA » Etablissements Charles Steiner » et de gérante de la SARL » Editions Paule Marrot « , ces deux sociétés étant en état de cessation des paiements, Z… en qualité de directeur général de la SA et de dirigeant de fait de la SARL, A… comme dirigeant de fait de ces deux personnes morales, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, notamment pour deux délits assimilés à la banqueroute simple, à savoir pour avoir tenu ou fait tenir irrégulièrement la comptabilité des deux sociétés susnommées, et pour avoir omis de faire au greffe du tribunal compétent et dans le délai légal de 15 jours la déclaration de cessation des paiements de ces deux entreprises ;
Qu’ils ont été déclarés tous trois coupables de ces deux délits par jugement du tribunal correctionnel du 20 décembre 1984 ; que sur appel des intéressés et du ministère public, la cour d’appel a eu à connaître de cette affaire après que fut entrée en vigueur la loi du 25 janvier 1985, laquelle, en son article 238-2 avait abrogé les articles 1 à 149 et 160 à 164 de la loi du 13 juillet 1967, fondement des poursuites exercées du chef des deux délits assimilés à la banqueroute simple imputés auxdits prévenus ;
Que la cour d’appel, constatant à juste titre que l’article 197 de la loi du 25 janvier 1985 entrée en vigueur le 1er janvier 1986 ne réprimait plus l’omission par un commerçant ou le dirigeant d’une société de déclarer la cessation des paiements, soit de son entreprise personnelle, soit de la société qu’il dirigeait, en droit ou en fait, a déclaré l’action publique éteinte de ce chef par abrogation de la loi pénale et a relaxé les trois prévenus de ce délit ;
Qu’en revanche, sur les autres faits de banqueroute dont ils avaient à répondre ès qualités, à savoir la tenue irrégulière de la comptabilité de ces deux sociétés en état de cessation des paiements, la cour d’appel a modifié les faits poursuivis sous la qualification de » comptabilité irrégulière et incomplète » en déclarant que » la tenue de la comptabilité des deux personnes morales avait été partiellement fictive jusqu’en 1978 « , et qu’elle avait fait complètement défaut à partir du 1er janvier 1979 ; que par l’effet de cette requalification la cour d’appel a estimé que les faits ainsi requalifiés constituaient à l’encontre de ces trois prévenus le nouveau délit de banqueroute prévu par l’article 197-4 de la loi du 25 janvier 1985 et les a condamnés en appliquant ce texte ;
Que les juges du second degré ont, en outre, fait application de l’article 201, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985, en prononçant, contre les trois condamnés, la sanction complémentaire de la faillite personnelle pendant 5 ans, laquelle n’avait pas été prononcée par les juges correctionnels ;
Mais attendu qu’en requalifiant ainsi les faits se rapportant à la comptabilité des deux sociétés, les juges ont ajouté aux imputations dont ils étaient saisis la double circonstance de la fictivité partielle des écritures, puis de leur absence complète, sans laquelle adjonction ils n’auraient pu retenir l’article 197-4 de la loi du 25 janvier 1985, faute d’avoir obtenu, avant cette requalification, que les prévenus concernés aient accepté d’être jugés sur ces circonstances nouvelles non mentionnées à l’ordonnance de renvoi ;
Que, de plus, en ajoutant aux peines d’emprisonnement et d’amende prononcées contre les trois prévenus susnommés, la sanction complémentaire de la faillite personnelle, sanction qu’au moment des faits poursuivis les juridictions répressives n’avaient pas pouvoir de prononcer contre les condamnés du chef de banqueroute, la cour d’appel a méconnu le principe de la non-rétroactivité des lois ;
Que, dès lors, sa décision encourt de ce chef la cassation ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par Yvonne X…, veuve Y…, et pris de la violation des articles 196 et suivants de la loi du 24 janvier 1985, 130 et suivants de la loi du 13 juillet 1967, 425 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, 402, 406, 408 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné Mme Y… à 30 000 francs d’amende pour omission de tenue régulière de comptabilité, abus de biens sociaux, présentation de bilans inexacts ;
» alors que, s’agissant de l’omission de tenue régulière de comptabilité, la loi n’institue aucune présomption de responsabilité à raison des fonctions et exige une faute personnelle qui n’est pas, en l’espèce, constatée, de sorte que la condamnation manque, de ce chef, de base légale ;
» alors que l’abus de biens sociaux suppose la mauvaise foi et la lésion des intérêts sociaux, éléments du délit qui ne sont pas constatés en l’espèce à la charge de Mme Y… ;
» et alors, enfin, que l’arrêt n’indique pas si et dans quelles conditions le bilan de 1978 a été présenté et que, s’agissant des bilans antérieurs, ils ont été présentés accompagnés des observations du commissaire aux comptes, ce qui excluait la mauvaise foi, laquelle est un élément du délit » ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par Jean-Jacques A…, et pris de la violation des articles 196 et suivants de la loi du 24 janvier 1985, 130 et suivants de la loi du 13 juillet 1967, 425 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, 250, 402, 406, 408 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. A… aux peines de deux ans d’emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d’amende pour omission de tenue régulière de comptabilité, abus de biens sociaux, abus de confiance, présentation de bilan inexact et faux et usage de faux ;
» alors, d’une part, que M. A… ne pouvait être tenu pour un dirigeant de fait dès lors que les dirigeants de droit exerçaient leurs pleines prérogatives légales et, notamment, disposaient de la plénitude du droit de décider, de sorte qu’il ne pouvait être tenu pour responsable de l’absence ou de la fictivité de la comptabilité ;
» alors, d’autre part, que l’abus de biens sociaux exige la mauvaise foi et qu’elle n’est pas constatée en l’occurrence, sauf à lui donner la qualité de gérant de fait qu’il n’avait pas ;
» alors, également, que, sur l’abus de confiance, l’arrêt attaqué, s’agissant de la revente par la société de biens dont elle n’était pas propriétaire, ne permet pas de déterminer en vertu de quel contrat ces biens étaient détenus et au préjudice de qui a eu lieu le détournement, de sorte qu’il manque de base légale ;
» alors, encore, que l’arrêt ne permet pas de déterminer si et quand le bilan de 1978 a été présenté, ce qui le prive de base légale au regard de l’incrimination de présentation de faux bilan ;
» et alors, enfin, sur le faux, que l’arrêt attaqué n’indique pas au préjudice de qui la facture aurait été établie et qu’ainsi n’est pas constaté un des éléments constitutifs du délit » ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par Ljubomir Z…, et pris de la violation des articles 196 et suivants de la loi du 24 janvier 1985, 130 et suivants de la loi du 13 juillet 1967, 425 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, 402, 406, 408 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. Z… à un an d’emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d’amende pour omission de tenue régulière de comptabilité, abus de biens sociaux, abus de confiance et présentation de bilans inexacts ;
» alors, d’une part, que l’arrêt attaqué ne pouvait déduire le défaut de tenue régulière de comptabilité du seul fait des fonctions exercées par M. Z… dont il n’est pas constaté qu’il ait commis une faute, serait-ce par omission, de sorte que la condamnation de ce chef manque de base légale ;
» alors, d’autre part, que sur l’abus de biens sociaux, aucune faute personnelle n’est relevée à son encontre, sinon l’utilisation de sa voiture personnelle dont il n’est pas dit que ce n’ait pas été dans l’intérêt de la société ;
» alors, en outre, que sur l’abus de confiance, l’arrêt attaqué, s’agissant de la revente par la société de biens dont elle n’était pas propriétaire, ne permet pas de déterminer en vertu de quel contrat ces biens étaient détenus et au préjudice de qui a eu lieu le détournement, de sorte qu’il manque de base légale ;
» et alors, enfin, que la mauvaise foi de M. Z… n’est pas régulièrement constatée, s’agissant de la présentation de bilans inexacts, dès lors surtout qu’ils ont été soumis aux actionnaires avec les observations des commissaires aux comptes, ce qui exclut toute intention de tromperie » ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par Eric Y…, et pris de la violation des articles 425 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, 59 et suivants, 460 et suivants du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné Eric Y… à la peine de 10 000 francs d’amende pour recel d’abus de biens sociaux ;
» alors que l’arrêt attaqué, qui relève l’activité, au sein de la société, de M. Y… et l’importance de cette activité, ne pouvait retenir le délit sans constater que son salaire, constitué par les sommes reçues et les avantages en nature dont il bénéficiait, présentait un caractère excessif eu égard aux services rendus à la société ; qu’à défaut de cette constatation, la condamnation est dépourvue de base légale » ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir des motifs propres à justifier la décision prononcée ; que l’insuffisance comme la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que tout arrêt en matière correctionnelle doit énoncer les faits dont le prévenu est jugé coupable et constater l’existence de tous les éléments constitutifs de l’infraction poursuivie ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne les poursuites du chef d’abus de biens sociaux pour lesquelles ont été retenus comme auteurs de cette infraction Yvonne X…, veuve Y…, Z… et A…, que les juges du fond, après avoir énoncé que la situation financière des sociétés Charles Steiner et Paule Marrot était désespérée dès avril 1977 et que leurs dirigeants de droit ou de fait eussent dû, dès cette date, déposer les bilans sociaux, énumèrent une série de dépenses dont auraient été victimes les deux personnes morales, dépenses dont la plupart, sinon la totalité, ont été réalisées ou consommées fin 1978 et courant 1979, alors que, selon les juges, ces sociétés ne se trouvaient plus à cette époque » in bonis « , et que, par ailleurs, lesdits détournements ne pouvaient constituer que le délit de détournement d’actif, infraction non retenue contre les intéressés ;
Que, de plus, les juges du fond ne se sont prononcés sur l’élément intentionnel constitutif du délit d’abus de biens sociaux que pour certains des trois prévenus, et pour seulement quelques unes des dépenses sociales mises à leur charge ; qu’ils ont déclaré Eric Y…, quatrième des demandeurs au pourvoi, coupable de recel de certains des abus de biens sociaux retenus contre veuve Y…, sans rechercher si à la date dudit recel, la société victime avait encore la maîtrise juridique du paiement de ses dépenses et si celles-ci ne constituaient pas alors à l’encontre du prévenu poursuivi un recel de banqueroute par détournement d’actif ;
Qu’au regard des délits d’abus de confiance dont avaient à répondre X…, veuve Y…, Z… et A… et pour lesquels ces deux derniers prévenus ont été déclarés partiellement coupables, l’arrêt attaqué a, dans son dispositif, modifié sans le justifier les noms des victimes des détournements tels qu’ils étaient mentionnés à l’ordonnance de renvoi, pour y substituer celui de la société Steiner, et sans spécifier la nature du contrat liant celle-ci aux prévenus condamnés pour abus de confiance ;
Que, par rapport au délit de présentation de bilans inexacts, dont ont été déclarés coupables les trois premiers demandeurs au pourvoi, les motifs ambigus de l’arrêt laissent incertain le point de savoir quels bilans avaient été déclarés finalement inexacts, s’ils avaient été réellement présentés aux assemblées d’actionnaires ou d’associés, et à quelle date ; qu’en tout cas pour ce qui est de la présentation des bilans inexacts au sein de la SARL » Paule Marrot » lesquels étaient nommément visés à l’ordonnance de renvoi, les juges du fond ont omis, dans leur dispositif, de se prononcer sur cette partie de la prévention ;
Que, dès lors, l’arrêt attaqué ayant méconnu les principes susénoncés, encourt la cassation ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ses dispositions pénales portant condamnation des demandeurs, l’arrêt de la cour d’appel de Colmar du 30 mai 1986,
Et pour qu’il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Nancy.