Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– A… Jean, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 12ème chambre correctionnelle, en date du 17 mars 1994, qui, pour opposition frauduleuse au paiement de chèques et outrage à magistrat, l’a condamné à la peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 66 du décret-loi du 30 octobre 1935, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Louis A… coupable d’opposition frauduleuse au paiement de chèques bancaires ;
« aux motifs que les victimes des faits délictueux reprochés à A… assurent que le prévenu avait des relations commerciales suivies avec elles et que c’est bien Jean-Louis A… qui leur a remis les chèques litigieux ;
qu’ainsi, M. X…, représentant de la société Jean’s Fabric, MM. Z… et Y…, actionnaires de la société Diffutex, ont affirmé que Jean-Louis A… était le principal animateur de la société Diffutex, qu’il s’occupait activement de la gestion au sein de cette société, qu’il faisait des achats auprès de Jean’s Fabric ;
que les parties civiles produisent les factures correspondant aux chèques remis établissant ainsi la cause commerciale qui fondait la remise des chèques ;
qu’enfin, A… est désigné de façon formelle comme le scripteur et le signataire des chèques par les expertises ;
« alors, d’une part, que la défense faite par le tireur de payer un chèque ne constitue un délit que si le tireur a eu l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui ;
qu’en se bornant à retenir que Jean-Louis A… était le dirigeant de fait de la société Diffutex, laquelle était débitrice envers les sociétés Jean’s Fabric et Globtrans de factures correspondant aux chèques remis par le prévenu auxdites sociétés, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’assurer son contrôle sur le point de savoir si A… avait eu l’intention de porter atteinte aux droits légitimes des sociétés Jean’s Fabric et Globtrans ;
« alors, d’autre part, que l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui suppose la volonté dûment établie de porter atteinte aux droits légitimes et non sérieusement contestés du bénéficiaire du chèque ;
qu’en ne recherchant pas, comme pourtant l’y invitaient les conclusions du demandeur, si les dettes de la société Diffutex envers la société Jean’s Fabric n’étaient pas compensées par celles que détenait cette société envers la société Diffutex, et si la société Globtrans dont la bonne foi avait été mise en doute, était réellement créancière envers la société Diffutex des sommes inscrites sur le chèque émis, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué, en partie reprises au moyen, mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments le délit d’opposition frauduleuse au paiement de chèques bancaires dont elle a déclaré Jean A… coupable ;
Que le moyen, qui remet en question l’appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause par les juges du fond, ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 71 du décret-loi du 30 octobre 1935, 2, 593 du Code de procédure pénale, 47 de la loi du 25 janvier 1985, défaut de motif et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a reçu en leur constitution de partie civile les sociétés Globtrans et Jean’s Fabric et a condamné Jean-Louis A… à leur verser respectivement les sommes de 120 000 francs et 400 000 francs toutes causes de préjudice confondues et 5 000 francs à chacune, au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ;
« aux motif adoptés que les sociétés Globtrans et Jean’s Fabric se constituent parties civiles et sollicitent du tribunal la condamnation du prévenu à leur payer le montant des chèques ayant fait l’objet d’une opposition soit : 116 980,20 francs et 386 724 francs, et 30 000 francs et 100 000 francs à titre de dommages-intérêts et 60 000 francs pour chacune au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, les sociétés bénéficiaires sont régulièrement représentées, les agissements du prévenu ont causé un préjudice que le tribunal estime, au vu du dossier, à 120 000 francs toutes causes confondues en ce qui concerne la société Globtrans, et 400 000 francs toutes causes confondues en ce qui concerne la société Jean’s Fabric ;
« alors, d’une part, que l’action en paiement prévue par l’article 71 du décret-loi du 30 octobre 1935 qui a pour cause l’obligation précontractuelle existant entre le bénéficiaire du chèque et son débiteur est distincte de l’action en dommages-intérêts qui trouve sa source dans l’infraction commise, qu’il résulte des mentions du jugement attaqué que les sociétés Jean’s Fabric et Globtrans ont intenté ces deux types d’action et ont demandé au titre de chacune d’elles des sommes différentes ;
qu’en condamnant Stettler à leur verser une somme globale toutes causes de préjudice confondues, l’arrêt attaqué a méconnu le caractère distinct des actions et, par suite, les articles 71 du décret-loi du 30 octobre 1935 et 2 du Code de procédure pénale ;
« alors, d’autre part, que les parties civiles ne peuvent obtenir devant les juridictions correctionnelles que la réparation d’un préjudice personnel directement causé par l’infraction ;
qu’en condamnant Stettler à verser aux sociétés Jean’s Fabric et Globtrans les sommes de 400 000 francs et 120 000 francs toutes causes de préjudice confondues sans indiquer, ne fût-ce que succinctement, la nature du préjudice subi par les parties civiles et leur caractère direct et personnel, la cour d’appel n’a pas permis à la Cour de Cassation d’exercer son contrôle ;
« alors, en tout état de cause, que le jugement d’ouverture d’une procédure collective interdit toute action en justice de la part des créanciers dont la créance est antérieure audit jugement et tendant au paiement d’une somme d’argent ;
qu’il résulte des conclusions de A… et des pièces produites non contestées que la société Diffutex, débitrice envers les sociétés Jean’s Fabric et Globtrans, a été déclarée en règlement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nancy du 15 décembre 1987 ;
d’où il suit que les sociétés Jean’s Fabric et Globtrans étaient irrecevables à demander le paiement de leur créance auprès du tribunal correctionnel puis de la cour d’appel de Paris ;
qu’en accueillant néanmoins leur action en paiement, et en condamnant Stettler à leur verser une somme qui, sous le couvert de dommages-intérêts, inclut le paiement des chèques dont la remise devait éteindre leur créance, la cour d’appel a violé l’article 47 de la loi du 25 janvier 1985 ;
« alors, en outre, que l’action en paiement d’une somme égale au montant du chèque n’est ouverte que contre le débiteur personnel de l’obligation que ce chèque prétendait éteindre ;
qu’il résulte de l’arrêt attaqué que seule la société Diffutex dont A… était le dirigeant de fait, était débitrice des sommes dues aux sociétés Jean’s Fabric et Globtrans ;
qu’en déclarant leur action en paiement recevable et en condamnant A…, sous le couvert de dommages-intérêts, à leur payer les chèques litigieux, l’arrêt attaqué a méconnu l’article 71 du décret-loi du 30 octobre 1935 ;
« alors, enfin, qu’il résulte des conclusions de Jean-Louis A… que la société Jean’s Fabric a, au mois de janvier 1988, produit sa créance auprès du mandataire liquidateur de la société Diffutex ;
que cette créance a été rejetée le 24 octobre 1988 du fait qu’une compensation non contestée avec une autre créance que la société Diffutex détenait sur Jean’s Fabric ;
qu’en condamnant A…, sous le couvert de dommages-intérêts, à payer le montant des chèques contre lesquels il a fait opposition sans répondre à ce moyen et sans rechercher si effectivement Jean’s Fabric n’avait pas produit sa créance dans le cadre de la procédure collective dont la société Diffutex a fait l’objet, l’arrêt attaqué n’est pas légalement justifié » ;
Attendu que les juges, après avoir déclaré Jean A… coupable notamment d’opposition frauduleuse au paiement de chèques bancaires tirés sur le compte de la société A… au profit des sociétés Globtrans et Jean’s Fabric, pour éteindre des dettes de la société Diffutex en règlement judiciaire, ont accueilli les demandes des deux parties civiles et leur ont alloué les sommes de 120 000 francs et de 400 000 francs, toutes causes de préjudice « confondues » ;
Attendu qu’en cet état, le moyen, qui ne fait que remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond du montant des indemnités propres à réparer le préjudice découlant de l’infraction, ne peut être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Gondre conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Culié, Roman, Martin conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme Mouillard, M. de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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