Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze décembre deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de Me HEMERY, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général FINIELZ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Laurent,
– Y… Pierre,
– Z… Patrick,
contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 8 septembre 2003, qui, pour escroqueries, a condamné Laurent X…, à 30 mois d’emprisonnement dont 10 mois avec sursis et 150 000 euros d’amende, Pierre Y…, à 18 mois d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, Patrick Z…, à 20 mois d’emprisonnement dont 10 mois avec sursis et 150 000 euros d’amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I – Sur le pourvoi formé par Laurent X… :
Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;
II -Sur les autres pourvois :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Pierre Y…, pris de la violation des articles 122-71, 313-1, 313-2 alinéa 5, 313-7, 313-8 du nouveau Code pénal, 591, 593 du Code de procédure pénale, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Pierre Y… coupable du délit d’escroquerie en bande organisée, le condamnant à dîx-huit mois d’emprisonnement et à une amende de 150 000 euros, outre sa condamnation solidaire avec Laurent X… et Patrick Z… à payer à l’Etat français, à titre de dommages- intérêts, la somme de 7.231.619,20 euros ;
« aux motifs qu’il résulte des déclarations de Pierre Y… que Tekelec lui désignait la société auprès de laquelle il devait se fournir, d’abord Lentek puis Semcon et CDS, ainsi que les quantités et les prix d’achat auprès de ces fournisseurs et que les prix de vente à Tekelec étaient également déterminés par cette société ; que ces éléments démontrent que Pierre Y… connaissait les liens qui unissaient les différents acteurs du réseau d’escroquerie ; qu’une facture de vente de Socapa à la société Chrystalline d’un montant de 1.216.800 francs en date du 9 mai 1997 payée par la société Megantic a été saisie au cours de l’information, ce qui établit que le prévenu connaissait aussi les sociétés de droit britannique qui rachetaient les marchandises à Tekelec ; que, par ailleurs, Pierre Y… n’a procédé à aucune recherche de fournisseurs, ni de clientèle, et qu’il ne s’est livré à aucune vérification de la marchandise, du moins jusqu’au mois de mai 1997, son intervention se bornant à recevoir par fax les bons de commande de Tekelec qui était son client quasi exclusif et à établir les bons de livraison et la facturation ; que Ie prévenu a soutenu qu’il avait voulu mettre en oeuvre un concept nouveau décrit selon ses propres termes comme « l’utilisation de la trésorerie disponible comme un véritable outil de production au service de Tekelec » afin de permettre à cette entreprise d’avoir accès, notamment, à des « produits de pénurie » ; que cette assertion est dépourvue de pertinence s’agissant de transactions portant sur de très grandes quantités de marchandises et d’une entreprise de la taille de Tekelec qui pouvait bénéficier de crédits bancaires ; que de surcroît l’allégation du prévenu, selon laquelle la société Tekelec bénéficiait, grâce à l’intervention de Socapa, d’un délai de règlement de plusieurs jours, n’a pas été confirmée ; qu’enfin il n’est pas vraisemblable que Pierre Y…, s’il avait été de bonne foi, n’ait pas, en homme d’affaires avisé, opéré de vérification sur la situation de ses fournisseurs, notamment au regard de leurs obligations fiscales ; que la fictivité des opérations auxquelles Pierre Y… participait a été clairement établie à la fin du mois de mai 1997 lorsque le transporteur M. A…, de la société Still, a, sur la demande de Pierre Y… qui se trouvait alors à New York, vérifié la marchandise livrée par Semcon à Socapa et a découvert, emballé dans un plastique noir, un parpaing au lieu et place de composants informatiques ; qu’après cette découverte Pierre Y… n’a pas cessé ses relations avec Laurent X… ; qu’après une courte interruption il a, en effet, à la demande de Laurent X…, accepté de prendre pour fournisseur une société nouvellement créée, la société CDS Bastia ;
que le fait que Pierre Y…, homme d’affaires expérimenté, ayant un haut niveau d’études, ait, après la découverte du parpaing, poursuivi des opérations dépourvues de toute justification économique avec Laurent X…, sans s’étonner de ce nouveau changement de fournisseur, ni de l’absence de toute infrastructure de la société CDS Bastia, ni de son implantation en Corse, établit que le prévenu a sciemment participé aux deux circuits d’escroquerie ;
que la circonstance que Pierre Y… ait fait constater par un huissier de justice la
présence d’un parpaing dans le colis et ait assigné devant le tribunal de commerce de Bobigny la société Semcon et ait obtenu le séquestre du compte bancaire de cette société est inopérante à établir sa bonne foi ;
qu’en effet le juge commercial, dont la saisine est délimitée par les parties au procès, n’avait pas de pouvoir d’investigation lui permettant de découvrir le dispositif frauduleux complexe mis en oeuvre par les prévenus ; que, par ailleurs, la plainte avec constitution de partie civile déposée par Pierre Y… le 23 décembre 1999, après la vérification de la comptabilité de la société Socapa, pour dénoncer l’escroquerie dont il prétendait avoir été l’une des victimes, ne risquait pas non plus de mettre en lumière sa culpabilité, puisque le prévenu s’en est rapidement désisté ;
» alors, d’une part, que si, en matière d’escroquerie, l’intervention d’un tiers est de nature à caractériser l’existence de manoeuvres frauduleuses, en revanche, ce tiers n’est pas nécessairement coupable à titre personnel de l’escroquerie ; qu’il ne peut être lui-même coupable que s’il a participé directement à la commission des éléments matériels de l’infraction, et avec l’intention d’y participer ; qu’en se bornant à reprocher à Pierre Y… son imprudence, ses négligences ou son absence de précaution, sans relever à son encontre un acte positif dans les manoeuvres frauduleuses ou la moindre commission d’une manoeuvre quelconque, l’arrêt attaqué n’a pas caractérisé à son encontre le délit d’escroquerie en bande organisée ;
» alors, d’autre part, que le tiers, intervenu à la demande de l’escroc, ne peut être coupable s’il a ignoré les procédés employés par les auteurs de l’escroquerie en bande organisée ; tel est le cas des sociétés innocentes utilisées à leur insu dans un carrousel de TVA afin de mieux tromper les victimes de ce système ;
qu’en l’espèce, faute d’avoir établi que Pierre Y… aurait eu connaissance des manoeuvres frauduleuses mises en place par les différents acteurs de la fraude, l’arrêt attaqué n’a pas établi la mauvaise foi de Pierre Y… ou son intention personnelle de participer au délit ;
« alors, enfin, que l’élément intentionnel retenu à l’encontre de Pierre Y… est en contradiction avec les constatations de l’arrêt qui relève que Pierre Y… avait saisi diverses autorités judiciaires au fur et à mesure qu’il s’interrogeait sur les irrégularités des opérations commerciales qu’il découvrait seulement à partir de mai 1997 – ce qui excluait sa participation volontaire et en connaissance de cause à la fraude ; que cette contradiction de motifs prive l’arrêt attaqué de tout fondement légal » ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Patrick Z…, pris de la violation des articles 313-1 et 313-2 du Code Pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Patrick Z… coupable du délit d’escroquerie en bande organisée et l’a condamné, en conséquence, à une peine de 20 mois d’emprisonnement, dont dix seulement sont assortis du sursis, et à une amende de 150 000 euros, ainsi qu’à payer, solidairement avec Laurent X… et Pierre Y… à hauteur de la somme de 5 834 413 euros, à l’Etat français la somme de 7 231 619, 20 euros ;
» aux motifs propres que « s’agissant du second circuit d’escroquerie ayant permis la constitution d’un crédit fictif de TVA de 18 553 611 francs et de 19 715 639 francs, les premiers juges ont justement relevé que Patrick Z… était intervenu dans le dispositif frauduleux, en tant qu’actionnaire et gérant de la société CDS Luxembourg, et en tant qu’intermédiaire entre la société Tekelec, qu’il connaissait pour y avoir travaillé antérieurement, et Alain B…, dont il était un partenaire depuis plusieurs années et dont il connaissait les pratiques frauduleuses en matière de TVA ;
que la mise en cause devant la cour des témoignages recueillis au cours de l’information, notamment de ceux des transporteurs de la société Dar Transport qui ont déclaré avoir été chargés par Alain B… et Patrick Z… de ramener en France les marchandises prétendument exportées par Tekelec, n’est pas étayée d’éléments probants ; que l’affirmation du prévenu selon laquelle il n’a connu M. C…, dirigeant de Dar Transport qu’à l’occasion de son déménagement personnel est contredite par les propres déclarations de Patrick Z… ; qu’en effet ce prévenu avait reconnu : « je connais la société Dar Transport pour avoir rencontré à plusieurs reprises son dirigeant M. C… dans les locaux de M. B…, … » (D 773) ; qu’aucun élément nouveau propre à falre échec à la motivation circonstanciée par laquelle les premiers juges ont caractérisé à l’encontre du prévenu les éléments matériel et intentionnel du délit visé à la prévention n’étant présenté en cause d’appel, la Cour confirmera par adoption de ses motifs la déclaration de culpabilité » (cf. arrêt attaqué, p. 16 et 17),
« et aux motifs adoptés que « (la) totale implication (de Patrick Z…) est démontrée dans la seconde escroquerie avec les sociétés C-D-S ; qu’il a en effet été le gérant de droit de C-D-S Luxembourg, à deux reprises, d’avril à début juillet 1997 puis quelques jours fin janvier et début février 1998, à une époque où les entités CDS, et notamment C-D-S Luxembourg, commerçaient illégalement avec Socapa
et Tekelec ; que, bien plus, il a été porteur de parts dans C-D-S Luxembourg ; que Patrick Z… a expliqué au juge d’instruction et a confirmé à l’audience que c’était à la demande d’Alain B… qu’il avait accepté de participer au capital de C-D-S Luxembourg puis d’en être le gérant en raison de l’absence de Mme D…, gérante en titre ; qu’à l’audience, et contrairement à ce qu’il avait reconnu devant la police puis le magistrat instructeur, il a affirmé n’avoir jamais investi personnellement 350 000 francs dans l’opération ; qu’il a confirmé avoir déjà eu l’occasion de commercer avec Alain B… lui-même en qualité de salarié d’une société « Facit » alors qu’Alain B… dirigeait une société « Westhill » ; qu’il avait alors constaté qu Alain B… escroquait la TVA. en faisant réintroduire immédiatement en France les marchandises exportées à l’étranger ;
qu’il avait même fait une déposition en ce sens à la brigade financière ; qu’en conséquence, Patrick Z… ne pouvait pas ignorer les intentions frauduleuses d’Alain B… lorsque ce dernier lui a demandé de participer au capital de C-D-S Luxembourg d’en être le gérant, et ce d’autant plus que cette société s’est d’abord dénommée Westhill-Aslalane »; que Philippe E…, attaché de clientèle de la Monte-Paschi Banque où C-D-S Luxembourg avait un compte bancaire » a témoigné qu’Alain B… et Patrick Z… étaient les animateurs de cette société et qu’à l’époque il avait pensé qu’il existait un mécanisme de fraude à la TVA ; qu’Alain F…, directeur du département juridique de cet établissement, a déclaré quant à lui que Patrick Z… lui apparaissait être « l’homme de paille d’Alain B… à l’égard duquel il paraissait être en état de subordination » ; qu’il a précisé que Patrick Z… lui avait demandé de rencontrer Laurent X… » après une déconvenue financière avec Megantic » pour mettre en place de « nouvelles structures juiidiques auxquelles Patrick Z… était intéressé »; que cela signifiait à l’évidence qu’après la fuite de Shaun G… et la fin du premier circuit d »escroquerie Lentek-Megantic, il était décidé de créer de nouvelles structures de fraude avec la participation de Patrick Z… ; que le témoignage d’Alain F… est confirmé par l’examen de la fiche du compte C-D-S Luxembourg de laquelle il résulte que Patrick Z… a quitté Megantic pour poursuivre ses affaires avec cette nouvelle société ; qu’Alain C…, le gérant de la société de Transport « Dar Transport » déjà cité, a également témoigné qu’Alain B… et Patrick Z… lui avaient proposé un courant d’affaires important pour lequel il avait créé cette société avec pour objet de ramener en France, à Paris, rue de Prony, les marchandises prétendument exportées par Tekelec ; qu’Alain C… a précisé qu’il était plus facile de rencontrer Patrick Z… qu’Alain B… ; que Patrick Z… lui avait déclaré : « qu’il s’agissait d’une histoire de TVA, d’un moyen de ne pas en payer… que c’était légal… » ; que le chauffeur Mohamed H… a déclaré que Patrick Z… était « tous les jours chez Alain B… », …, ce que peu ou prou ont confirmé Miriem I…, porteuse de parts dans C-D-S Bonifacio, Jacques J…, gérant de C-D-S Paris et son épouse Hélène J…, qui prendra sa suite ultérieurement ; que ces témoignages confirment que Patrick
Z…, bien qu’il le conteste, connaissait la collusion entre les diverses sociétés C-D-S et ce d’autant plus qu’il disposait de la signature sur le compte bancaire de C-D-S Luxembourg à la Monte-Paschi Banque qui servait également pour la société CD-S Bastia ; qu’il a déjà été indiqué que toutes les activités de ces sociétés se déroulaient rue de Prony à Paris où Patrick Z… a été vu régulièrement et que les en-têtes de facturation des sociétés C-D-S étaient identiques ;
qu’enfin, il a reconnu devant le juge d’instruction avoir lui-même demandé à Alain B… de changer l’enseigne de « Westhill-Asia-Lane » en « Componants-Device-Système », autrement dit C-D-S, et ce en avril 1997 lorsqu’ont été mises en place ces diverses sociétés pour constituer un second réseau d’escroquerie à la TVA ; qu’en conséquence, Patrick Z… sera déclaré coupable en ce qui concerne l’escroquerie fondée sur les sociétés C-D-.S et portant sur des montants de 18,5 millions de francs en 1997 et 19,7 millions de francs en 1998″ (cf.) jugement entrepris, p. 28 et 29) ;
« alors que le délit d’escroquerie par emploi de manoeuvres frauduleuses suppose, de la part de son auteur, l’accomplissement d’actes positifs caractérisant sa participation active à des manoeuvres frauduleuses ; que la cour d’appel, qui n’a relevé aucun acte matériel précis positif accompli par Patrick Z… caractérisant sa participation active aux manoeuvres frauduleuses visées à la prévention, n’a, dès lors, pas caractérisé l’élément matériel du délit dont elle a déclaré Patrick Z… coupable ;
» alors que, d’autre part, la cour d’appel n’ayant relevé aucun élément de fait précis établissant la connaissance par Patrick Z… du système de fraude à la TVA mis en place par Alain B…, faisant intervenir les sociétés C-D-S Bastia, C-D-S Luxembourg, C-D-S Paris, C-D-S Bonifacio, Socapa et Tekelec, l’élément intentionnel du délit reproché à Patrick Z… n’est pas caractérisé par l’arrêt attaqué » ;
Les moyens étant réunis
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit d’escroquerie dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ,
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ,
REJETTE les pourvois ,
CONDAMNE solidairement Pierre Y… et Patrick Z… à payer à l’Etat français la somme de 2000 euros chacun au titre de l’article 618-1 du Code de procédure pénale.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;