Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 14 mars 1991, 89-87.133, Publié au bulletin

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 14 mars 1991, 89-87.133, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par :

– X… Yvan,

– la société La Brocherie, civilement responsable,

contre l’arrêt n° 893/89 de la cour d’appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 5 décembre 1989 qui, après condamnation d’Yvan X… du chef de contrefaçon, a prononcé sur les réparations civiles.

LA COUR,

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation du principe de primauté du droit communautaire, de l’article 86 du traité de Rome, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale ;

 » en ce que la décision attaquée a écarté l’argumentation des demandeurs en tant qu’elle tendait à faire valoir que les redevances exigées par la SACEM avaient un caractère inéquitable exigeant de la SACEM que celle-ci rapporte la preuve du caractère équitable des redevances réclamées, qu’un nouvel expert soit désigné et qu’il soit tenu compte des décisions de la Cour de justice des Communautés européennes survenues depuis le 20 juin 1989 ;

 » aux motifs qu’il convient d’observer que, dans son arrêt du 25 octobre 1988 par lequel était rejeté le pourvoi formé par X… contre l’arrêt de cette Cour en date du 4 mars 1986, la Cour de Cassation a jugé que la cour de Rouen avait pertinemment analysé la nature et le rôle de la SACEM, exclusif d’un abus de position dominante ; que la présente Cour, dans son arrêt du 4 mars 1986, adoptait les motifs non contraires des premiers juges qui avaient notamment dit que l’utilisation par X…, dans son établissement, d’oeuvres inscrites au répertoire de la SACEM de manière habituelle aurait nécessité, pour être légitime, la souscription par celui-ci de contrats généraux de représentation sur la base habituellement pratiquée par la SACEM ;

 » alors que le principe de la primauté du droit communautaire implique que tous les principes de droit interne, qui empêcheraient l’effet utile d’une disposition du Traité ou d’un texte de droit dérivé, soient écartés au profit de la règle communautaire ; que le principe de primauté du droit communautaire doit même faire écarter le cas échéant l’autorité de la chose jugée ; qu’en l’espèce actuelle, la Cour de justice des Communautés a dit pour droit, dans deux arrêts du 13 juillet 1989, notamment que l’article 86 du Traité CEE doit être interprété en ce sens qu’une société nationale de gestion de droits d’auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables lorsque les redevances qu’elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres sauf à la société de droits d’auteur en question à justifier une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d’auteur dans l’Etat membre concerné et dans celle des autres Etats membres ; qu’en allouant des dommages-intérêts à la SACEM en se fondant sur le montant des redevances qu’elle aurait perçues si des contrats de représentation générale avaient été signés, sans rechercher si lesdits contrats n’auraient pas été illicites compte tenu d’un abus de position dominante commis par la SACEM et ce, en se référant à son arrêt du 4 mars 1986, devenu définitif par suite du rejet du pourvoi dirigé contre cet arrêt, qui avait décidé que le rôle de la SACEM était exclusif d’un abus de position dominante, la cour d’appel, qui a fait prévaloir l’autorité de chose jugée sur l’interprétation de l’article 86 telle qu’elle résulte des arrêts de la Cour de justice des Communautés, sans rechercher si ceux-ci n’étaient pas de nature à remettre en question la solution précédemment retenue, a violé le principe de la primauté du droit communautaire ;

 » alors, d’autre part, qu’un arrêt n’a l’autorité de la chose jugée qu’en ce qui a été nécessairement et définitivement jugé ; que dans son arrêt du 4 mars 1986, la cour d’appel de Rouen avait été saisie exclusivement de conclusions par lesquelles les demandeurs articulaient d’un abus de position dominante résultant des contrats de représentation réciproque passés entre la SACEM et les diverses sociétés étrangères de droits d’auteur, créant une barrière artificielle entre les sociétés de droits d’auteur et les discothécaires et interdisant aux discothécaires de traiter directement avec les sociétés de droits d’auteur étrangères, mais qu’il n’avait pas mis en cause le caractère inéquitable des redevances, au sens de l’article 86 tel qu’interprété par les arrêts de la Cour de justice du 13 juillet 1989 ; que l’arrêt du 4 mars 1986 n’a donc pas l’autorité de la chose jugée sur ce point et que c’est donc par une violation du principe de la chose jugée et de son étendue que la décision attaquée a refusé d’examiner le caractère inéquitable des redevances en se référant à son arrêt du 4 mars 1986  » ;

Attendu que par arrêt du 4 mars 1986, la cour d’appel, après avoir condamné Yvan X… pour contrefaçon, délit commis du 8 mai 1982 au 31 janvier 1984, a, en adoptant expressément les motifs des premiers juges, dit que la SACEM, partie civile, n’avait pas commis à l’égard du prévenu un abus de position dominante au sens de l’article 86 du Traité CEE, et que son préjudice était égal au montant des redevances qu’elle aurait perçues si Yvan X… avait souscrit un contrat général de représentation  » sur la base habituellement pratiquée par elle  » ; que les juges ont, en conséquence, commis un expert à l’effet de déterminer le montant des recettes réalisées par la société La Brocherie pendant la période considérée et devant constituer l’assiette des droits et indemnités que la SACEM pourrait légitimement réclamer ; que le pourvoi en cassation formé par Yvan X… et par la société La Brocherie contre cette décision a été rejeté ;

Attendu que, statuant après expertise, et saisie de conclusions par lesquelles les intéressés sollicitaient la désignation d’un nouvel expert à l’effet de rechercher si les redevances réclamées par la SACEM n’étaient pas inéquitables au regard des dispositions du Traité CEE telles qu’interprétées le 13 juillet 1989 par la Cour de justice des Communautés européennes, la cour d’appel, écartant cette demande au motif qu’elle se heurtait à l’autorité de la chose jugée, a entériné le rapport d’expertise et liquidé les dommages-intérêts dus à la partie civile ;

Attendu que les demandeurs reprochent vainement aux juges d’avoir ainsi statué dès lors que l’interprétation donnée par la Cour de justice des Communautés européennes, bien qu’ayant une portée générale, ne pouvait remettre en cause ce qui avait été irrévocablement jugé par la juridiction nationale, et qu’en outre, l’arrêt précité du 4 mars 1986 s’était notamment référé, pour écarter le grief d’abus de position dominante formulé contre la SACEM, au taux des redevances qu’elle entendait imposer à Yvan X… ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.


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