Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 14 mai 2003, 02-84.180, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 14 mai 2003, 02-84.180, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze mai deux mille trois, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller DESGRANGE, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU, de Me SPINOSI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAUNAY ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– LA SOCIETE ALTRAN TECHNOLOGIES, partie civile,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 28 mai 2002, qui l’a déboutée de ses demandes après relaxe de Denis X… des chefs de tentative de chantage et abus de confiance ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-10, 312-12 du Code pénal, 1134 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a relaxé Denis X… des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de tentative de chantage ;

« aux motifs propres que le délit de chantage ne peut être considéré comme établi qu’autant qu’il est reconnu avoir été commis à l’aide de menaces de révélations ou imputations diffamatoires portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne menacée ; qu’en l’espèce, à aucun moment, tant dans le message téléphonique du 3 juin adressé à M. Y…, que dans les propos tenus à ses collègues, à les supposer exacts, Denis X… n’a précisé en quoi ses éventuelles révélations, lors de l’assemblée générale des actionnaires, consistaient ; qu’il s’est ainsi contenté d’indiquer lors du message du 3 juin 1999 ;

« pour ce qui me concerne, mon avocat que j’ai contacté sur vos conseils me dit que Me Z… n’a pas besoin de lui pour définir les modalités et éventuellement les conséquences que cela pourrait avoir pour vous » ;

« donc le délai c’est mercredi 9, c’est le lendemain de votre board, c’est une semaine avant l’assemblée générale donc c’est une bonne date » ;

« je suis prêt à vous offrir des garanties, donc toutes les conditions de l’accord sont réunies, sinon pour ce qui me concerne je reprends ma liberté et dans ce cas c’est vous qui aurez ouvert la boîte de Pandore et qui en porterez seul la responsabilité, lorsque je dis seul c’est vous et vos collègues, personne… » ;

« si on ne parvient pas à un accord et s’il devait y avoir des conséquences, personne ne maîtrisera la situation, ni même moi-même, même si personnellement le cas échéant mois je pourrais regretter des conséquences que cela pourrait éventuellement avoir sur votre valeur, votre image, votre respectabilité ce que je ne souhaite pas à titre personnel, donc je vous laisse imaginer ce que quelqu’un comme moi pourrait faire dans ma situation en liaison avec toutes personnes publiques et privées, bien sûr dans le cadre de la loi » ;

« alors je ne dirai rien de plus pour l’efficacité de mon action, pour me protéger, pour protéger mes sources et puis par décence, on va dire » ;

« alors vous savez que je ne bluffe pas, je n’ai rien à perdre » ;

« que M. A… écrivait dans une attestation du 4 juin, adressée à M. Y… que lors d’une conversation téléphonique fin avril/début mai 1999 Denis X… lui avait dit : « si tu as des actions Altran, je te dirai quand les vendre, j’ai les moyens et des informations permettant de faire fléchir le cours de l’action… » ; que l’attestation rédigée par M. B…, le 8 juin 1999 et qui reprend certains propos tenus par Denis X… dans son message du 3 juin, sera écartée des débats comme non probante, puisque émanant du directeur général de la société Axiem, « binôme » de Denis X… au sein de cette filiale, et entre lesquels existait une grande tension et rivalité ainsi que cela résulte d’un compte rendu de réunion en date du 7 janvier 1999 ; qu’en l’état de ces constatations, la Cour constate qu’aucun propos de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération des dirigeants ou de la société Altran n’a été proféré, s’agissant de simples menaces dont le contenu n’est pas identifiable ; que compte tenu de l’ensemble de ces constatations, les éléments du délit de tentative de chantage ne sont pas réunis ;

« et aux motifs, éventuellement, adoptés que la lecture du message téléphonique laissé par Denis X… ne permet pas d’établir avec certitude que le prévenu ait voulu faire chanter la société ; que les termes et expressions employés peuvent s’interpréter très différemment dans le cadre d’une négociation difficile de licenciement et d’une instance prud’homale ; qu’il apparaît que Denis X… aurait été d’une maladresse particulière en laissant volontairement la trace de cette manoeuvre ; que les révélations qu’il aurait eu l’intention de faire n’ont par ailleurs pas été faites, alors que Denis X… s’est bien rendu à l’assemblée générale de la société ; qu’il existe donc un doute important qui explique le premier classement sans suite de la plainte de la société Altran qui doit bénéficier au prévenu ;

« 1 – alors que le chantage postule l’existence de menaces de révélations ou imputations diffamatoires de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne qui en est l’objet ; que, toutefois, le fait diffamatoire n’a pas à être clairement énoncé et les menaces peuvent être implicites ou par allusions ; qu’en considérant que l’élément matériel du délit de tentative de chantage n’était pas constitué parce que le contenu des menaces ne serait pas identifiable, sans rechercher si les propos tenus par Denis X… ne constituaient pas des menaces déguisées aisément compréhensibles pour la société Altran Technologies de nature à exercer une pression sur elle pour la convaincre de lui remettre les fonds réclamés, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 312-10 du Code pénal ;

« 2 – alors que le chantage postule l’existence de menaces de révélations ou imputations diffamatoires de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne qui en est l’objet ; que, dans son message téléphonique laissé le 3 juin 1999 sur le téléphone portable de M. Y…, le salarié affirmait clairement que « si on ne parvient pas à un accord et s’il devait y avoir des conséquences, personne ne maîtrisera la situation, ni même moi-même, même si personnellement le cas échéant moi je pourrais regretter des conséquences que cela pourrait éventuellement avoir sur votre valeur, votre image, votre respectabilité » ; qu’en estimant qu’aucun propos de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la société Altran Technologies n’avait été proféré par Denis X… et que le contenu des menaces n’était pas identifiable quand celui-ci faisait clairement allusion aux répercussions que ses révélations pourraient avoir sur « la respectabilité » de la société, la cour d’appel a dénaturé les termes de la retranscription écrite du message téléphonique laissé par Denis X… le 3 juin 1999 et partant violé l’article 1134 du Code civil ;

« 3 – alors que la tentative de chantage est réprimée comme le chantage lui-même ; que la tentative est constituée dès lors que le maître chanteur a manifesté son intention d’obtenir la remise des fonds par la menace de révéler des faits diffamatoires sans qu’il soit besoin que les fonds aient été effectivement remis ni même que les faits diffamatoires aient été révélés ; qu’en jugeant que le délit de tentative de chantage n’était pas constitué parce que Denis X… n’avait pas fait les révélations dont il avait menacé la société, la cour d’appel qui a ajouté au texte d’incrimination une condition qu’il ne prévoit pas, a violé l’article 312-12 du Code pénal » ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a relaxé Denis X… des fins de la poursuite pour les faits qualifiés d’abus de confiance ;

« aux motifs propres et adoptés que concernant le détournement de l’ordinateur portable, il apparaît que Denis X… a restitué très rapidement cet appareil (15 juin 1999) qui ne contenait aucune information confidentielle ; qu’il a affirmé n’avoir pas pu rendre cet appareil aux motifs que n’étant plus titulaire d’un badge, il ne pouvait plus pénétrer dans l’entreprise et qu’il n’avait pas voulu courir le risque d’être éconduit de ses locaux, compte tenu de ses relations très tendues avec les dirigeants de la société ; qu’il existe un doute important s’agissant de l’intention de Denis X… à vouloir conserver cet ordinateur ; qu’en conséquence, le délit n’est pas établi en tous ses éléments ;

« alors qu’en matière d’abus de confiance, l’intention se prouve logiquement à partir du détournement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré qu’il existait un doute sur l’intention de Denis X… à vouloir conserver l’ordinateur portable dans la mesure où il n’avait « restitué très rapidement » à son ancien employeur, en précisant que cette restitution avait eu lieu le 15 juin 1999 ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la restitution de l’ordinateur, intervenue le jour de l’audition de Denis X… par les services de gendarmerie, avait été spontanée ou si elle n’avait pas plutôt été provoquée par l’ouverture de l’enquête de gendarmerie faisant suite à la plainte déposée par la société Altran Technologies, et sans rechercher si, comme il l’affirmait, le prévenu avait vraiment été empêché de rendre cet ordinateur au moment de son départ, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 314-1 du Code pénal » ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n’était pas rapportée à la charge du prévenu, en l’état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;

D’où il suit que les moyens qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DIT n’y avoir lieu à application, au profit de la société Altran Technologies, de l’article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Desgrange conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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