Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze avril deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– L’ASSOCIATION NATIONALE LES AMIS DE LA TERRE,
– X… Y… Jean-Jacques,
– Z… Z… Jules,
– A… B… Séraphine, représentée par Albert C…,
– D… E… Victor,
– F… F… David,
– F… G… Paul,
– E… Noami Hilaire,
parties civiles,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, 3ème section, en date du 13 février 2004, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction ayant déclaré irrecevable leurs plaintes avec constitution de partie civile contre Jacques et Francis H…, les sociétés H… INTERNATIONAL, H… FRANCE, LA SOCIETE FORESTIERE et INDUSTRIELLE de la DOUME, et contre personnes non dénommées, des chefs de faux et usage de faux, destruction de biens appartenant à autrui, escroquerie, recel ;
Vu l’article 575 alinéa 2, 2 , du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 113-2, 113-5 et 113-6 du Code pénal, 2, 85, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance d’irrecevabilité de la constitution de partie civile prononcée par le juge d’instruction pour les faits de complicité réalisés en France, à l’occasion de destructions de biens immobiliers, d’escroqueries, de faux et d’usage de faux et de corruption active d’agents publics camerounais par des ressortissants français ;
« aux motifs que le juge d’instruction relève à bon droit que par application de l’article 113-5 du code pénal, le complice en France d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger ne peut être poursuivi en France qu’à la condition que ce crime ou ce délit ait été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère, ce qui fait défaut en l’espèce ; qu’en tout état de cause à supposer que les victimes puissent faire état de la force majeure, elles n’ont pas établi l’impossibilité pour elles d’obtenir une décision pénale au Cameroun dès lors qu’un communiqué du ministre du Cameroun a précisé que des pénalités avaient été prononcées contre la SFID dans le cadre de trois dossiers relatifs à des faits d’exploitation postérieurs aux faits dénoncés comme commis en septembre 2000, mai et août 2001 ;
« alors que, d’une part, la loi pénale française est applicable au complice de faits délictueux reprochés à des auteurs français qui ont agi hors du territoire de la République, dès lors que les faits de complicité ont été réalisés sur le territoire de la République par des ressortissants français et que la législation du pays où a été commis le fait principal réprime cet agissement, la poursuite n’étant pas subordonnée à l’existence d’un jugement définitif réprimant le fait en cause dans ce pays étranger ; que les faits de destructions de biens immobiliers, d’escroquerie, de faux et d’usage de faux et de corruption active d’agents publics étrangers, dénoncés comme commis – au Cameroun – par des auteurs principaux, ressortissants français, sont également punis par la législation camerounaise en sorte que les complices français qui – sur le territoire de la République – ont donné des ordres pour que ces agissements soient réalisés, peuvent être poursuivis en France indépendamment d’éventuelles poursuites contre les auteurs au Cameroun ;
« alors que, d’autre part, à supposer même que l’article 113-5 du Code pénal soit applicable, la force majeure alléguée par les parties plaignantes pour justifier de l’impossibilité dans laquelle elles se sont trouvées pour faire valoir utilement leurs droits et obtenir une décision définitive constatant le caractère délictueux des faits reprochés, doit s’apprécier individuellement et concomitamment, pour chacun des comportements dénoncés, et non de manière comparative en relation avec des faits postérieurs ;
qu’en se bornant à citer l’existence d’un communiqué du ministère camerounais de l’environnement et des forêts dévoilant les pénalités douanières prononcées par le ministère du Cameroun à l’encontre de la SFID dans le cadre de trois dossiers relatifs à des permis d’exploitation postérieurs aux faits dénoncés, les juges d’appel n’ont pas examiné l’obstacle de fait invoqué par chacune des parties civiles pour les faits les concernant en sorte que la décision d’irrecevabilité n’est pas légalement justifiée » ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 113-6 et 113-8 du Code pénal, 2, 85, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance d’irrecevabilité de la constitution de partie civile prononcée par le juge d’instruction pour les faits délictueux de destructions de biens immobiliers, d’escroqueries, de faux et d’usage de faux et de corruption active d’agents publics camerounais commis au Cameroun, par des ressortissants français ;
« aux motifs que les parties civiles ne se bornent pas à imputer à des ressortissants français des actes de complicité des délits ainsi commis à l’étranger mais soutiennent également qu’ils ont pu en être, au moins pour partie, les auteurs ; que, si elles invoquent le bénéfice des dispositions de l’article 113-6 du Code pénal selon lesquelles la loi pénale française est applicable aux délits commis à l’étranger par des français hors du territoire de la République, il est acquis que, selon les dispositions de l’article 113- 8 du code pénal, la poursuite de tels délits suppose une requête préalable du ministère public, ce qui fait défaut en l’espèce ; que force est de constater que le représentant du ministère public s’est refusé de rédiger une requête en ce sens, dont acte donné par les parties plaignantes dans leur mémoire ;
« alors que, selon les dispositions des articles 2 et 85 du code de procédure pénale, l’irrecevabilité de la constitution de partie civile dénonçant des faits délictueux commis hors du territoire de la République, par des ressortissants français, ne peut être prononcée que si la condition de réciprocité n’est pas rapportée ou si le préjudice direct et personnel allégué par la personne qui se prétend lésée par l’infraction n’est pas suffisamment caractérisé ; que, si aux termes de l’article 113-8 du Code pénal, la poursuite des délits commis hors du territoire de la République par des ressortissants français, exige cumulativement la plainte préalable de la victime et une requête du ministère public, la plainte avec constitution de partie civile visant de tels faits, régulièrement transmise au juge d’instruction, ne peut donner lieu qu’à une ordonnance de refus d’informer si le représentant du ministère public a rédigé des réquisitions en ce sens, les conditions de recevabilité de sa plainte n’étant pas remises en cause ; que la chambre de l’instruction en se prononçant comme elle l’a fait, a méconnu les termes des article 2 et 85 du code de procédure pénale » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que plusieurs villageois camerounais exploitant des plantations de cacaoyers en lisière de la forêt équatoriale, ainsi que l’association précitée, ont porté plainte et se sont constitués partie civile en imputant aux dirigeants français de la société forestière et industrielle de la Doume (SFID), personne morale de droit camerounais, filiale de la société de droit français H…, diverses infractions commises à l’occasion de coupes de bois ; qu’étaient dénoncés des faits de dégradation de plantations, abattage illégal d’arbres, fausses attestations d’indemnisation, délits douaniers et corruption de fonctionnaires africains ; qu’enfin, sous la qualification de recel, était visée la perception, en France, par les dirigeants de la société H…, de dividendes distribués par la SFID, et provenant de bénéfices réalisés par elle au moyen d’agissements délictueux commis à l’étranger ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance d’irrecevabilité de constitution de partie civile rendue par le juge d’instruction, l’arrêt attaqué, après avoir rappelé qu’il » résulte des termes mêmes de la plainte que les destructions et tromperies commises au préjudice des villageois camerounais, ainsi que les faits de corruption allégués, auraient tous été commis au Cameroun « , retient que le ministère public s’est refusé à exercer des poursuites, comme l’exige l’article 113-8 du Code pénal ; que les juges ajoutent qu’aucun faux n’a été commis en France et que seule l’administration des douanes a qualité pour agir en ce qui concerne les fausses déclarations ayant pu être faites au moment de l’importation en France des bois litigieux ;
Attendu qu’en cet état, abstraction faite du motif erroné mais surabondant relatif à l’article 113-5 du Code pénal, inapplicable en l’espèce, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;
D’où il suit que les moyens ne peuvent être qu’écartés ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 111-4, 113-6 et 321 et suivants du Code pénal, 2, 85, 575, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a prononcé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile du chef du délit de recel de choses commis en France ;
« aux motifs que, d’une part, le recel susceptible de résulter de la perception en France de dividendes versés par les sociétés en cause, en raison de bénéfices réalisés par elles au moyen d’agissements délictueux commis à l’étranger, impliquent l’établissement préalable des délits dont proviendraient les produits prétendument recélés ; qu’il résulte tant de la décision de non-lieu à suivre intervenue au Cameroun le 17 août 2000 que des précédents motifs, que la preuve de ces agissements ne peut être établie par le juge français ;
« aux motifs que, d’autre part, la distribution de dividendes liée à l’activité illicite des sociétés SFID et H… SA à l’étranger relève de la répartition des résultats dans le cadre des dispositions régissant les rapports entre la personne morale concernée et ses actionnaires, en sorte que leur perception en France ne paraît pas susceptible de revêtir la qualification de recel en lien direct avec les faits commis au Cameroun dénoncés par les parties civiles ;
« alors que, d’une part, l’origine délictueuse des sommes frauduleusement versées est caractérisée dès lors que les circonstances dans lesquelles la remise de la chose a été obtenue, en l’occurrence la signature des documents litigieux constitutive de l’escroquerie, ont été suffisamment déterminées, peu importe que les auteurs de ce délit n’aient pas pu être identifiés, de sorte que l’arrêt n’est pas légalement justifié ;
« alors que, d’autre part, le délit de recel de choses se consomme notamment par le fait de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit, quelles que soient les modalités de la mise en oeuvre de ce profit ; que si l’obtention de la remise d’une quittance établie par la victime, à la suite de manoeuvres frauduleuses, caractérise le délit d’escroquerie, réalisé à l’étranger, la distribution de dividendes représentatifs des sommes frauduleusement obtenues grâce à l’escroquerie consomme ensuite le délit de recel, dès lors que le versement du produit de l’infraction initiale a eu lieu, en France, en connaissance de cause ; qu’en se prononçant ainsi, l’arrêt attaqué a violé les textes susvisés » ;
Attendu que, ne pouvant se réclamer d’aucun préjudice personnel et direct résultant d’une éventuelle distribution de dividendes obtenus frauduleusement par les membres de la famille H…, les demandeurs ne sauraient se faire un grief des motifs par lesquels les juges ont déclaré de ce chef leur constitution de partie civile irrecevable ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;