Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier mars deux mille, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PIBOULEAU, les observations de la société civile professionnelle Jean-Pierre GHESTIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Jean-Pierre,
contre l’arrêt de la cour d’appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 22 mars 1999, qui, pour abus de confiance, l’a condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les réparations civiles ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l’article 75 de la loi du 24 juillet 1966, des articles 314-1 et 314-10 du Code pénal et de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X… coupable du délit d’abus de confiance, l’a condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de 18 mois ;
» aux motifs qu’il résulte des pièces de la procédure que, dans sa plainte, André Y… exposait qu’il avait été contacté par Jean-Pierre X… dans le but de créer une société ayant pour objet l’exploitation d’un brevet dans le domaine des lotions capillaires ; qu’il lui avait remis 200 000 francs destinés à constituer son apport en numéraire pour la souscription de 2 000 actions sur 4 250 de la SA Charlex ; que la Cour relève que dans une procédure diligentée à l’encontre de Jean-Pierre X… pour infractions à la loi du 24 juillet 1966, jointe au présent dossier, figure une correspondance du prévenu à André Y… du 2 juillet 1993 ; que cette correspondance dont Jean-Pierre X… ne peut contester la teneur, atteste à la fois de l’ignorance d’André Y… en juin 1993 du montant du capital libéré même s’il est vrai qu’à l’occasion de la signature des statuts le 22 avril 1992, il aurait dû le savoir, de sa certitude en juin 1993 d’être alors propriétaire de 2 000 parts au sein de la SA Charlex et des manoeuvres déloyales utilisées par le prévenu pour le lui laisser croire, ce dernier n’hésitant pas dans ce courrier à lui confirmer qu’il s’efforçait de lui trouver un acquéreur pour les 1 950 parts qu’André Y… souhaitait vendre ; que cette correspondance démontre qu’André Y… a remis en juillet 1991 la somme de 200 000 francs à Jean-Pierre X… avec mandat de lui faire acquérir 2 000 parts de la société Charlex ; qu’en utilisant sur cette somme 150 000 francs dans des conditions et un but différents de ceux prévus lors de la remise des fonds, Jean-Pierre X… s’est bien rendu coupable d’un abus de confiance, les faits entrant dans les prévisions tant de l’article 406 du Code pénal en vigueur au moment de leur commission, que de l’article 314-1 du nouveau Code pénal ;
que la prescription de l’action publique n’est pas acquise ; que le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où le délit a pu être constaté ; qu’en l’espèce, cette date ne peut être antérieure au 22 avril 1992, date à laquelle André Y… a signé les statuts qui révélaient la libération partielle du capital social et l’intéressé ayant déposé une plainte avec constitution de partie civile le 22 février 1995, moins de trois ans après la signature des statuts (arrêt attaqué p. 6, alinéa 4, 5, p. 8, alinéa 3, 4, p. 9, p. 10, alinéa 1) ;
1) » alors qu’aux termes de l’article 75 de la loi du 24 juillet 1966 (dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 1994), la libération du montant des apports effectués par un associé dans le capital d’une société peut être du quart, lors de la souscription, avec obligation de libérer le solde dans un délai de 5 ans à compter de l’immatriculation de la société ; que la non libération intégrale des actions de numéraire à la souscription n’affecte pas le droit de propriété de l’actionnaire sur la totalité des actions souscrites ; qu’il résulte des propres termes de l’arrêt attaqué qu’André Y… avait remis à Jean-Pierre X… la somme de 200 000 francs afin de constituer son apport pour la souscription de 2000 actions de la société Charlex à créer et que sur cette somme, 50 000 francs avaient été libérés, le solde de 150 000 francs ayant été affecté à la trésorerie de la société ; qu’il en résulte qu’André Y… était bien propriétaire des 2000 actions souscrites non intégralement libérées et qu’il disposait d’une créance de 150 000 francs sur la société destinée, par compensation, à la libération du solde de son apport dans le délai de 5 ans ; qu’en énonçant que l’affectation par Jean-Pierre X… de la somme de 150 000 francs à la trésorerie de la société d’André Y…, caractérisait un détournement par changement d’affectation, sans relever l’existence d’aucun fait ou élément de preuve établissant la volonté d’André Y… d’une libération totale de son apport dès la souscription de ses actions, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
2) » alors que l’arrêt attaqué se borne à relever que la somme de 200 000 francs a été remise à Jean-Pierre X… par André Y… avec mandat de lui faire acquérir 2000 parts de la société Charlex ; que l’affectation des trois quarts de cette somme à la trésorerie de la société ne révèle pas qu’André Y… n’était pas devenu propriétaire des 2000 actions de cette société, dès lors que la libération du solde du capital pouvait intervenir, à la demande du conseil d’administration, dans les cinq ans de l’immatriculation de la société ; qu’en s’abstenant, dès lors, de rechercher si, aux termes des statuts ou du registre des mouvements tenu par la société, André Y… n’était pas inscrit en qualité de titulaire de 2000 actions de la société, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
3) » alors qu’il incombe à la partie poursuivante d’établir la preuve des faits caractérisant l’infraction poursuivie ; que celui qui prétend avoir été victime d’un détournement de fonds par changement d’affectation doit prouver qu’il n’a remis les fonds litigieux qu’en vue d’une affectation précise que le prévenu n’aurait pas respectée ; qu’en énonçant, par motif adopté du jugement, qu’il n’était pas établi que la somme de 150 000 francs avait été remise à Jean-Pierre X… pour le fonctionnement de la trésorerie de la société, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
4) » alors qu’en toute hypothèse, le fait constaté par la cour d’appel qu’André Y… ait signé les statuts mentionnant expressément que le capital n’avait été libéré qu’à hauteur du quart, révélait qu’il avait, en toute connaissance de cause, accepté que son investissement de 200 000 francs soit affecté seulement à concurrence de 50 000 francs lors de la souscription des actions ;
que Jean-Pierre X… avait donc soutenu dans ses conclusions d’appel que l’affectation de la somme de 150 000 francs à la trésorerie de la société n’était dès lors pas contraire à la volonté d’André Y… ; qu’en se bornant à relever par un motif erroné et inopérant que Jean-Pierre X… aurait trompé son associé sur sa qualité de détenteur de 2 000 actions de la société, sans répondre au moyen tiré de l’acceptation par André Y… d’une libération partielle du capital souscrit, lequel excluait le détournement, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ;
Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué que Jean-Pierre X… a reçu d’André Y… deux chèques de 70 000 francs et 130 000 francs, datés des 5 et 15 juillet 1991, destinés à constituer son apport au capital social de la société Charlex créée le 22 avril 1992 et alors en voie de formation ; qu’après avoir encaissé ces effets sur son compte personnel, il a affecté 50 000 francs de cette somme à la libération du quart du capital souscrit par André Y… représentant 2000 actions et disposé des 150 000 francs restants pour régler les charges courantes de la société ;
Attendu que, pour le déclarer coupable d’abus de confiance, la cour d’appel énonce, par les motifs repris au moyen, qu’il a utilisé la somme de 150 000 francs dans des conditions et une fin différentes de celles prévues lors de la remise des fonds ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations relevant de son appréciation souveraine de la commune intention des parties, et dès lors que selon l’article 77 de la loi du 26 juillet 1966 celui qui reçoit les fonds provenant des souscriptions en numéraire a l’obligation de les déposer pour le compte de la société en formation auprès des organismes et dans les conditions déterminées par l’article 62 du décret du 23 mars 1967, sans pouvoir les détenir plus de 8 jours, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Pibouleau conseiller rapporteur, M. Schumacher conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;