Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, épouse Y…, qui était administrateur et associée des sociétés Nordatec et Chaussures Marco dont son époux était le président, a été révoquée de ses fonctions d’administrateur aux termes de décisions prises par les assemblées générales ordinaires du 22 juin 1995 qui ont fait suite aux conseils d’administration de ces sociétés tenus le 29 mai 1995 ; que Mme Y… a assigné ces deux sociétés en annulation de ces délibérations soutenant qu’elle avait été dans l’impossibilité d’exercer son droit à information et avait été révoquée de ses fonctions abusivement par une assemblée générale convoquée irrégulièrement ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen :
1 / que la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, considérer à la fois, d’une part, que la demande de documents formée par son conseil dans le cadre de la procédure de divorce ne pouvait être considérée comme une demande de communication de documents en application des dispositions de la loi du 24 juillet 1966 et, d’autre part, qu’elle avait valablement reçu, le 1er juin 1995, avant même la convocation des assemblées générales, par la voie de son conseil, et en réponse à la demande ainsi formulée, communication de documents permettant de considérer que son droit à information d’actionnaire avant toute tenue d’assemblée générale ordinaire avait été respecté par les sociétés Chaussures Marco et Nordatec ; qu’en statuant par de tels motifs, contradictoires, la cour d’appel a abouti à priver sa décision de tout motif, violant ainsi les dispositions de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu’à compter de la convocation de l’assemblée, tout actionnaire a droit à avoir accès aux documents sociaux visés notamment par les articles 168 de la loi de 1966 et 133 et 135 du décret de 1967 ;
qu’en décidant qu’elle avait eu accès de façon satisfaisante aux informations qu’elle était en droit d’obtenir en qualité d’actionnaire tout en constatant que seulement une partie de celles-ci avait été transmise par courriers émanant du conseil du président du conseil d’administration et à destination de son conseil les 31 mai et fer juin 1995, dès avant la convocation de l’assemblée générale le 2 juin 1995, d’où il résulte que les renseignements ainsi transmis ne pouvaient avoir pour objet de satisfaire à l’obligation d’information des actionnaires avant toute assemblée générale pesant sur les sociétés anonymes, la cour d’appel de Rouen n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 168 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, 133, 135, 138 et 139 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 ;
3 / qu’à compter de la convocation de l’assemblée et jusqu’au cinquième jour inclusivement avant la réunion, tout actionnaire titulaire de titres nominatifs peut demander à la société de lui envoyer à l’adresse indiquée, les documents et renseignements visés aux articles 133 et 135 du décret du 23 mars 1967, la société étant tenue de procéder à cet envoi avant la réunion et à ses frais ; que les actions des sociétés anonymes sont en principe nominatives sauf appel public à l’épargne ; qu’en estimant que les sociétés Chaussures Marco et Nordatec n’étaient pas tenues de lui adresser personnellement les documents dont elle avait demandé communication, sans toutefois relever le caractère de titre au porteur des actions détenues et tout en constatant qu’elle avait été nominativement convoquée aux assemblées, la cour d’appel a violé les articles 94 de la loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981, 168 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, 135 et 138 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 par défaut d’application et 139 du même décret par fausse application ;
Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt retient que Mme Y… n’a pas démontré que l’accès aux documents et renseignements énumérés par les articles 168 de la loi du 24 juillet 1966 et 135 du décret du 23 mars 1967 lui a été refusé ; que l’arrêt retient encore qu’elle a reçu le 1er juin 1995, par la voie de son conseil, communication desdits documents avec la précision que les bilans et comptes de résultats pouvaient être consultés au greffe du tribunal de commerce ; que la cour d’appel a justement déduit de ces constatations que le droit à information de Mme Y… en sa qualité d’actionnaire avait été respecté ;
Mais attendu, en second lieu, que Mme Y… n’a ni soutenu ni allégué devant les juges du fond qu’elle aurait été titulaire de titres nominatifs ; que cette critique, nouvelle et, mélangée de fait et de droit, est irrecevable ;
D’où il suit que le deuxième moyen, irrecevable en sa troisième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande concernant sa révocation d’administrateur, alors, selon le moyen :
1 / que la révocation de l’administrateur d’une société anonyme, qui peut être décidée à tout moment, sans préavis ni précision de motifs, par l’assemblée générale des actionnaires, engage la responsabilité délictuelle de la société si elle revêt un caractère abusif eu égard aux circonstances dans lesquelles elle est intervenue ; qu’est nécessairement abusive la révocation d’un administrateur décidée par un époux, demandeur à l’instance en divorce pendante et détenant, directement ou par l’intermédiaire d’une société, plus de 90 % du capital des sociétés dans le conseil d’administration desquelles siégeait l’administrateur révoqué ; que la cour d’appel ne pouvait donc refuser de reconnaître le caractère abusif et prémédité de sa révocation ni constater que la décision était nécessairement collective sans priver sa décision de base légale au regard des articles 90, 155 et 174 de la loi du 24 juillet 1966 ensemble l’article 1382 du Code civil ;
2 / que la révocation de l’administrateur d’une société anonyme, qui peut être décidée à tout moment, sans préavis ni précision de motifs, par l’assemblée générale des actionnaires, engage la responsabilité délictuelle de la société si elle revêt un caractère abusif eu égard aux circonstances dans lesquelles elle est intervenue ; que la cour d’appel, qui a constaté que sa révocation était intervenue au cours d’une réunion de l’assemblée générale des actionnaires à laquelle elle n’était pas présente, au cours de laquelle elle n’avait donc pu présenter ses observations sur la mesure envisagée, pour laquelle elle n’avait pas reçu l’information préalable demandée et prévue par les textes, et qu’elle n’en avait été informée que tardivement bien qu’ayant été présente dans les locaux des sociétés concernées dès le lendemain de la tenue des assemblées, ne pouvait refuser de constater le caractère abusif de la procédure de révocation ; que ce faisant, la cour d’appel a violé les articles 90 de la loi du 24 juillet 1966 et 1382 du Code civil ;
3 / que le respect des droits de la défense et du contradictoire doit être observé en toutes circonstances ; que la révocabilité ad nutum des membres du conseil d’administration par l’assemblée générale des actionnaires ne permet pas de déroger à cette règle ; qu’en décidant que sa révocation avait pu valablement intervenir hors de sa présence, la cour d’appel de Rouen a violé le principe susvisé, ensemble l’article 90 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu que l’arrêt retient que Mme Y… a été régulièrement convoquée aux assemblées générales ordinaires des actionnaires, mais ne s’y est pas rendue ; qu’il retient encore que Mme Y… ne rapporte pas davantage la preuve d’une préméditation alléguée, ni d’une autre circonstance de nature à rendre sa révocation fautive ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l’article 98, 113 et 244 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ;
Attendu que Mme Y… a introduit, en sa qualité d’administrateur des sociétés Nordatec et Chaussures Marco, une demande tendant à l’annulation des délibérations des conseils d’administration de ces deux sociétés du 29 mai 1995 aux motifs qu’elle n’avait pas été en mesure de remplir sa mission d’administrateur n’ayant pas eu préalablement aux délibérations, communication par le président du conseil d’administration des documents et éléments nécessaires à l’approbation des comptes de l’exercice 1994 ;
Attendu que pour rejeter cette demande, la cour d’appel a énoncé qu’il est admis que le président du conseil d’administration doit fournir « en conseil » toutes les informations nécessaires à une délibération éclairée de ses membres sur les questions débattues en séance et que les éléments comptables relatifs à l’exercice 1994 avaient été communiqués aux administrateurs présents ; que, régulièrement convoquée, Mme Y… avait refusé de se rendre à la réunion du conseil et qu’elle n’a pas valablement adressé, préalablement à cette réunion, de demande de communication de documents au président du conseil d’administration ;
Attendu qu’en statuant par de tels motifs, impropres à déterminer si Mme Y… avait, à l’initiative du président du conseil d’administration, reçu l’information préalable à laquelle elle a droit, soit par un envoi, soit par une mise à disposition, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme Y… tendant à l’annulation des délibérations des conseils d’administration des sociétés Nordatec et Chaussures Marco du 29 mai 1995, l’arrêt rendu le 26 novembre 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rennes ;
Condamne la société Nordatec et la société Chaussures Marco aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille deux.