Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 février 2000), que saisi par l’Association du parc hôtelier de la périphérie de l’aéroport de Paris X… Charles de Gaulle (l’APHPAR), de pratiques mises en oeuvre par l’établissement public Aéroport de Paris (ADP) consistant dans un refus d’accès dans l’aérogare à une signalisation permettant d’informer les passagers sur les moyens permettant de rejoindre leurs hôtels, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 98-D-77, décidé que ADP avait enfreint l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, lui a infligé une sanction pécuniaire et lui a enjoint de faire des propositions à l’APHPAR de nature à répondre à sa demande de signalisation des points d’arrêts des navettes desservant les hôtels de la périphérie ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu’ADP fait grief à l’arrêt de lui avoir infligé une sanction pécuniaire de 500 000 francs et de lui avoir enjoint de « formuler à l’APHPAR des propositions de nature à répondre à sa demande de signalisation des arrêts de navette desservant les hôtels de la périphérie dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt », alors, selon le moyen :
1 / que la cour de Paris, qui, saisie du recours « en annulation ou en réformation « prévu par l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et régi par le décret du 19 octobre 1987, annule la décison du Conseil de la concurrence, ne peut, sans excéder ses pourvoirs, prendre une décision sur les poursuites dont était saisi le Conseil de la concurrence ; qu’ayant annulé la décision n° 98-D-77 du 15 décembre 1998 du Conseil de la concurrence, la cour de Paris, statuant sur les pratiques poursuivies devant le Conseil de la concurrence, a infligé une sanction pécuniaire à ADP et lui a enjoint de « formuler à APHPAR des propositions de nature à répondre à sa demande de signalisation des arrêts de navette desservant les hôtels de la périphérie » et a ainsi méconnu l’étendue de ses pouvoirs en violation des textes susvisés ;
2 / qu’une juridiction qui, statuant dans le cadre d’un recours de pleine juridiction dirigé à l’encontre d’une décision préalable d’une autorité administrative, annule cette décision, ne peut se substituer à l’autorité administrative et prendre une nouvelle décision aux lieu et place de celle-ci ; qu’ayant annulé la décision n° 98-D-77 du 15 décembre 1998 du Conseil de la concurrence, à l’encontre de laquelle ADP avait formé un recours en annulation et en réformation, la cour de Paris, se substituant à l’autorité administrative, s’est prononcée sur les pratiques qui étaient soumises au Conseil de la concurrence, et a ainsi méconnu le principe de séparation des pouvoirs, en violation de l’article 13 de la loi du 16 et 24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III;
Mais attendu qu’ayant annulé la seule décision du Conseil de la concurrence en laissant subsister l’intégralité de la procédure suivie devant lui, la cour d’appel tenait de la combinaison de l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L. 464-8 du nouveau Code de commerce, et de l’article 561 du nouveau Code de procédure civile, le pouvoir de statuer, en fait et en droit, sur les griefs notifiés ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu’ADP fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 / que les décisions par lesquelles les personnes publiques assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur le mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ; qu’aux termes des articles L. 51-1 et L. 251-2 du Code de l’aviation civile, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 98-1171 du 18 décembre 1998, l’établissement public ADP a pour mission, notamment, d’aménager, d’exploiter et de développer l’ensemble des installations de transport civil aérien ayant leur centre dans la région parisienne et qui ont pour objet de faciliter l’arrivée et le départ des aéronefs, de guider la navigation, d’assurer l’embarquement, le débarquement et l’acheminement des voyageurs (…) ainsi que de toutes installations annexes » ; qu’en vertu des articles R. 525-12 et R. 253-5 du Code de l’aviation civile, il appartient à ADP de délivrer les titres d’occupation du domaine public de l’Etat dont la gestion lui incombe ; qu’il s’ensuit que le refus d’implanter ou d’autoriser l’implantation des moyens de signalisation, dans l’enceinte des aérogares ou leurs dépendances, constitue une décision indissociable de la gestion du domaine public ; qu’en affirmant, pour décider que le Conseil de la concurrence était compétent par application de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, que « la mise à disposition de moyens de signalisation à des opérateurs privés (…) contre redevance, constitue une activité économique ne relevant pas d’une prérogative de puissance publique », la cour de Paris a violé les textes susvisés, ensemble le principe de séparation des pouvoirs, l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2 / que l’établissement public ADP exerce, sur le domaine public aéroportuaire dont il a la charge, les pouvoirs de police liés à la gestion de ce domaine ; qu’il lui revient, à ce titre d’implanter dans les installations aéroportuaires et leurs dépendances les moyens de signalisation propres à assurer l’information des voyageurs et des usagers de ces infrastructures, et d’autoriser l’implantation par des opérateurs privés des moyens de signalisation qui sont compatibles avec l’affectation des installations du domaine public dont la gestion lui incombe ; qu’en affirmant que la mise à disposition de moyens de signalisation à des opérateurs privés afin d’informer leurs clients potentiels de leur existence et de leur localisation ne relevait pas d’une prérogative de puissance publique, la cour de Paris a violé l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble les articles L. 251-1, L. 251-2, R. 252-12 et R. 253-5 du Code de l’aviation civile, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que l’arrêt relève que l’activité en cause consiste dans la mise à disposition de moyens de signalisation à des opérateurs privés afin d’informer les usagers potentiels de leur existence et de leur localisation à proximité de l’aéroport contre redevance, ce dont il ressort qu’il ne s’agit pas pour ADP d’autoriser l’occupation du domaine public, mais d’offrir un service à des opérateurs en vue de l’exercice de leur activité économique située en dehors du domaine aéroportuaire ;
qu’il s’en déduit que la cour d’appel, en retenant que cette activité ne relevait pas de prérogatives de puissance publique, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu qu’ADP fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 / qu’en affirmant qu’il existerait un « marché produit de l’accès aux installations aéroportuaires destinées à l’information des passagers », qu’ADP serait « le seul opérateur dispensant des offres de support d’information dans l’aéroport », et « qu’aucun support de signalisation destiné à l’information des passagers sur l’existence et la localisation des hôtels n’est substituable à ceux dont ADP est gestionnaire », sans énoncer quels produits ou prestations constitueraient ce marché, et quels supports d’information autres que ceux dont ADP est gestionnaire ne leur seraient pas substituables, la cour de Paris a entaché sa décision d’un défaut de motifs, en violation de l’article 455 du NCPC ;
2 / que le marché se définit comme le lieu où se rencontrent l’offre et la demande portant sur des produits et services considérés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables à d’autres ; qu’en estimant qu’ADP avait abusivement exploité une position dominante sur le marché de « l’accès aux installations aéroportuaires destinées à l’information des passagers » en tant qu’ADP serait « le seul opérateur dispensant des offres de support d’information dans l’aéroport », la cour de Paris s’est déterminée par des motifs impropres à établir, qu’eu égard à son objet, l’accès à des supports d’informations situés dans l’enceinte du domaine public aéroportuaire, constituerait un « marché » distinct des missions de service public confiées à ADP, chargé « d’aménager, d’exploiter et de développer l’ensemble des installations de transport civil aérien ayant leur centre dans la région parisienne et qui ont pour objet de faciliter l’arrivée et le départ des aéronefs, de guider la navigation, d’assurer l’embarquement, le débarquement et l’acheminement des voyageurs (…), ainsi que toutes installations annexes », privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble l’article L. 251-2 du Code de l’aviation civile ;
3 / qu’en affirmant qu’ADP serait « le seul opérateur dispensant des offres de support d’information dans l’aéroport », sans s’expliquer sur les « offres « considérées, et sans rechercher, en particulier, si les redevances versées par les opérateurs privés qui bénéficient d’une autorisation d’occupation du domaine public aéroportuaire sont la contrepartie d’une prestation de mise à disposition de moyens d’information, ou si ces redevances ne sont pas seulement l’indemnité due à la personne publique du fait de l’occupation privative du domaine public, la cour de Paris a privé sa décision de base légale au regard de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
4 / qu’il appartient à ADP de délivrer des titres d’occupation aux opérateurs qui souhaitent exercer leur activité sur le domaine public aéroportuaire dont la gestion lui incombe, ou de refuser les autorisations sollicitées qui ne sont pas compatibles avec les missions de service public qui lui sont assignées par l’article L. 251-2 du Code de l’aviation civile ;
qu’il s’ensuit que le refus d’aménager, au profit d’opérateurs établis à l’extérieur du domaine public aéroportuaire, des moyens d’information ou de promotion dans l’enceinte de l’aérogare, ne constitue pas, eu égard aux missions incombant à ADP, l’abus d’une position dominante ; qu’en affirmant qu’un tel refus « fausse le jeu de la concurrence sur le marché de l’hôtellerie et doit être qualifié d’abus de position dominante », la cour de Paris a violé le texte susvisé, ensemble l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
5 / qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer, pour apprécier le caractère prétendument abusif du comportement imputé à ADP, sur l’utilité qu’aurait présenté, au regard des missions de service public incombant à ADP en vertu de l’article L. 251-2 du Code de l’aviation civile, la mise à disposition au profit des hôtels établis en dehors du domaine public aéroportuaire, des moyens d’information sur leur existence et leur localisation, la cour de Paris a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé, ensemble l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt relève que les hôtels de la plate-forme et de la périphérie sont demandeurs d’installations aéroportuaires destinées à informer les passagers de leur existence et de leur localisation, et constate qu’ADP est le seul opérateur disposant des offres de support d’information dans l’aéroport, eu égard à sa qualité de gestionnaire unique des infrastructures aéroportuaires ; que l’arrêt estime, par des motifs vainement critiqués par le deuxième moyen, que l’accès aux moyens de signalisation proposé, contre rémunération, par ADP ne caractérise pas l’exercice d’une mission de service public relevant de prérogatives de puissance publique, mais l’offre d’une prestation de services ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont il se déduit que la redevance perçue constituait la rémunération de ce service et non l’indemnité due au titre d’une occupation privative du domaine public, la cour d’appel, qui a caractérisé les services recherchés par les demandeurs, et dont ceux-ci considèrent qu’ils sont les seuls à pouvoir répondre à leur demande, a, en la motivant, légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que l’arrêt relève que ADP a toujours refusé, même contre paiement d’une redevance, l’accès à la signalisation aux hôteliers de la périphérie alors qu’il laccorde aux hôteliers de la plate-forme, et que ce refus s’explique par la volonté d’ADP de laisser subsister l’avantage concurrentiel que les hôtels de la plate-forme ont acquis et de ne pas voir les redevances tirées par ADP, du fait des contrats de concession conclus avec les hôteliers de la plate-forme, et qui sont fonction du chiffre d’affaires réalisé par ces hôtels, diminuer; que l’arrêt, qui en déduit que ce refus émanant d’une entreprise en position dominante sur le marché de l’accès aux supports de signalisation fausse le jeu de la concurrence sur le marché de l’hôtellerie et constitue un abus de position dominante et, dès lors, que cette pratique ne concerne pas l’exercice d’une mission de service public relevant de prérogatives de puissance publique, mais a été accomplie dans le cadre d’une activité de prestation de services, a statué à bon droit et a légalement justifié sa décision, sans avoir à faire la recherche invoquée à la cinquième branche que ses appréciations rendaient inopérante ;
Qu’il suit de là que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l’établissement Aéroports de Paris aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne l’ADP à payer à l’APHPAR la somme de 1 800 euros et au Ministre chargé de l’économie, des finances et du budget la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille quatre.