Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 février 1997), que la société Office d’annonces (société ODA), filiale de France Télécom, alors personne morale de droit public, et de la société Havas, est le régisseur exclusif de France Télécom pour la publicité insérée dans les annuaires du téléphone, notamment l’annuaire des professionnels dénommé Les Pages Jaunes ; que France Télécom et la société ODA qui disposaient jusqu’en 1990 du monopole, pour la première, de l’édition des listes officielles d’abonnés et, pour la seconde, des espaces publicitaires dans les annuaires officiels, se sont trouvées en 1991 en concurrence avec la société Communication media services (société CMS), qui a lancé sur le marché un annuaire comparable aux pages jaunes départementales mais concurrent des annuaires traditionnels, » l’annuaire soleil « , représentant l’ensemble des professionnels installés dans une zone géographique plus restreinte que le département, en l’espèce, la région de Versailles ; que concomitamment France Télécom a édité dans ce secteur un annuaire professionnel local reprenant, pour ce secteur, partie des pages jaunes incluses dans l’annuaire départemental ; que cette entreprise a confié à la société ODA la mise en place de la commercialisation des espaces publicitaires dans le nouvel annuaire des pages jaunes locales sur la zone de Versailles ; que cette société a, alors, décidé d’offrir aux annonceurs souscrivant simultanément dans les pages départementales et dans les pages locales des remises de couplage, permettant une réduction de 50 % sur le prix de souscription dans les pages jaunes locales en 1992 et 1993 ; que la société CMS estimant qu’une telle pratique était constitutive d’abus de position dominante, au sens de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, a saisi le Conseil de la concurrence qui a enjoint, par décision n° 96-D-10 du 20 février 1996, à la société ODA de mettre fin à ces pratiques de couplage, et lui a infligé une sanction pécuniaire de dix millions de francs, et ordonné la publication intégrale de sa décision dans deux journaux quotidiens ; que le Conseil n’a toutefois pas retenu le grief d’abus de position dominante, en ce qui concerne France Télécom, au motif que le fait de » lancer un nouvel annuaire dans la zone de Versailles » n’était pas en soi répréhensible ; que la société ODA a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Paris ; que la société CMS a formé un recours incident en ce qui concerne, notamment, la mise hors de cause de France Télécom ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches :
Attendu que la société ODA fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d’une part, que quand bien même une pratique serait anticoncurrentielle, elle n’est susceptible d’aucune sanction pécuniaire si elle n’est pas fautive ; qu’ODA a justifié la remise de couplage par le fait que le même annonceur acceptait de publier la même annonce dans les annuaires départementaux et locaux ; que faute d’expliciter en quoi cette justification économique était insuffisante, la cour d’appel n’a pas caractérisé la nature fautive de la remise de couplage et a laissé sa décision sans base légale au regard des articles 8 et 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d’autre part, qu’une sanction pécuniaire ne peut être prononcée lorsque l’effet prétendument anticoncurrentiel n’est que potentiel ; que tant le Conseil de la concurrence que la cour d’appel ont relevé le caractère seulement potentiel de l’effet restrictif de la remise de couplage pratiquée par ODA pendant les années 1992 et 1993 ; qu’ainsi, faute d’avoir constaté un préjudice certain à l’économie, la cour d’appel ne pouvait condamner ODA à une sanction pécuniaire sans priver sa décision de base légale au regard des articles 8 et 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que la cour d’appel, après avoir relevé que les remises de couplage consenties par la société ODA dans le secteur concerné, étaient destinées à faire barrière à l’accès au marché d’un concurrent indésirable, a constaté que cette pratique qui consistait à proposer à une clientèle faisant le choix simultané de souscrire sur les deux supports, local et départemental, une réduction de 50 % sur le prix des pages jaunes locales, ne laissait aucune possibilité à la société CMS de se maintenir sur le marché et de dégager, en s’alignant sur une semblable base de prix pour rester concurrentielle, la moindre marge brute ; que la cour d’appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que ce procédé » adopté par l’ODA pour éliminer toute concurrence sur le produit des annuaires locaux avait une finalité anticoncurrentielle » ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen pris en ses deux branches :
Attendu que la société ODA fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à une sanction pécuniaire de 10 millions de francs, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la cour d’appel doit apprécier de façon concrète s’il existe une proportionnalité entre la peine prononcée, la gravité des faits relevés et de dommages portés à l’économie du marché de référence ; que la cour d’appel a retenu ses effets seulement potentiels de la pratique poursuivie et a constaté qu’ils ne se reflétaient pas dans le chiffre d’affaires de la société CMS ; qu’en prononçant une sanction pécuniaire dans ces circonstances, et au seul vu du chiffre d’affaires de la société ODA, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et du principe de proportionnalité qui s’impose en matière disciplinaire, et alors, d’autre part, que le principe de proportionnalité applicable aux sanctions pécuniaires impose aux juges du fond de tenir compte de la durée qui s’est écoulée entre la date à laquelle la pratique a cessé et celle à laquelle ils statuent ; que l’arrêt attaqué, du 18 février 1997, n’a statué que sur des pratiques qui se sont déroulées en 1992 et 1993, dont il est tenu compte qu’elles ont cessé depuis cette date ; qu’en condamnant la société ODA à une sanction pécuniaire de 10 000 000 francs, sans avoir recherché la proportionnalité de cette sanction au regard de l’ancienneté des faits poursuivis, la cour d’appel a violé le principe susvisé ;
Mais attendu que la cour d’appel, appréciant les éléments de fait soumis à son examen, a relevé que les agissements anticoncurrentiels commis ont revêtu une gravité particulière pour renforcer les barrières à l’entrée sur les marchés de l’édition des annuaires et de la vente des espaces publicitaires toujours très protégés au moment des faits, le dommage porté à l’économie résultant de la mise en oeuvre de ces agissements » alors que le législateur avait décidé de l’ouverture de ces marchés à la concurrence des entreprises privées » ; que prenant en considération les deux années où la pratique du » couplage » était intervenue et le montant du chiffre d’affaires de la société ODA, au cours de l’exercice 1994, année où cette entreprise venait de mettre fin à la pratique dénoncée, la cour d’appel n’encourt pas les griefs du moyen ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.