Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Pompes funèbres Antibes Juan-Les-Pins, société anonyme dont le siège social est à Antibes (Alpes-Maritimes), …,
en cassation d’un arrêt rendu le 19 décembre 1990 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (2e Chambre civile), au profit de la société Roblot, société anonyme dont le siège social est à Paris (5e), …,
défenderesse à la cassation ; La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 2 mars 1993, où étaient présents :
M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Hatoux, conseiller, M. Curti, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Léonnet, les observations de Me Hubert Henry, avocat de la société Pompes funèbres Antibes Juan-Les-Pins, de Me Luc-Thaler, avocat de la société Roblot, les conclusions de M. Curti, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; ! Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 décembre 1990), que la société Pompes funèbres Antibes Juan-Les-Pins a entrepris en 1984 à Antibes des activités comprises dans le service extérieur des pompes funèbres dont la société Roblot était le concessionnaire exclusif en application des articles L. 362-1 et suivants du Code des communes reprenant l’article 2 de la loi du 28 décembre 1904 ; que la cour d’appel a fixé à 157 354,98 francs le montant de la réparation relatif aux infractions commises au préjudice de la société Roblot et à 38 000 francs le montant des dommages et intérêts consécutifs à ces agissements ; Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la société Roblot exerçait son monopole conformément aux règles du droit communautaire, alors, selon le pourvoi, qu’il résulte de l’article 86 du traité de Rome du 25 mars 1957 tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes en date du 4 mai 1988, que l’exploitation d’un ensemble de monopoles communaux concédés à un même groupe d’entreprises dont la ligne d’action est déterminée par la maison-mère dans une situation où ces monopoles couvrent une certaine partie du territoire national et ont pour objet le service extérieur des pompes funèbres constitue un abus de position dominante incompatible avec les règles communautaires et devant donner lieu à l’interdiction, dès lors que trois conditions cumulatives se trouvent réunies :
lorsque les activités du groupe et la situation de monopole dont les entreprises en question disposent sur une partie du territoire d’un Etat membre ont des effets sur l’importation des marchandises en provenance d’autres Etats membres ou sur la possibilité pour les entreprises concurrentes, établies dans ces Etats membres, d’assurer
des prestations de service dans le premier Etat membre ; lorsque le groupe d’entreprises occupe une position dominante caractérisée par une situation de puissance économique lui fournissant le pouvoir de faire obstacle à une
concurrence effective sur le marché des pompes funèbres ; lorsque ce groupe d’entreprises pratique des prix non équitables alors même que le niveau de ces prix est fixé par un cahier des charges faisant partie des conditions du contrat de concession ; qu’à cet égard la Cour de justice des communautés européennes impose aux juridictions nationales, tenues d’apprécier si les conditions précitées se trouvent réunies, de prendre en considération les critères suivants :
l’existence d’un effet de cloisonnement du marché commun -les livraisons de biens et les prestations de service non couvertes par les concessions exclusives- les ressources financières du groupe, de sorte que les juges du fond en se bornant à énoncer que chacune des trois conditions précitées ne se trouvait point réunies sans analyser les ressources financières du groupe PFG d’une part, sans vérifier d’autre part, si l’implantation dudit groupe dans les villes de plus de 2 000 habitants (75 % du marché) n’empêche point toute concurrence effective de la part de sociétés d’autres Etats membres et, en se contentant d’analyser le caractère équitable des prix pratiqués par la société anonyme Roblot à l’exception de l’ensemble des prix pratiqués par leroupe PFG en son entier, n’ont pas donné de base légale à l’arrêt attaqué au regard de l’article 86 du traité de Rome et ont, par suite, violé ce texte ; Mais attendu que l’arrêt, après s’être référé à la décision de la Cour de justice des communautés européennes du 4 mai 1988 et après avoir constaté que la société Roblot, filiale de la société Pompes funèbres générales (PFG) regroupant trente et une sociétés consacrées aux mêmes activités, occupe de ce fait une position dominante sur le marché funéraire français, s’est livré à une analyse concrète du comportement de cette entreprise pour vérifier si les dispositions de l’article 86 du traité de Rome ne lui étaient pas applicables ; qu’il ressort de cette analyse économique que les activités duroupe PFG ne font pas obstacle à l’importation de cercueils en provenance des pays membres de la Communauté européenne et n’interdisent pas une concurrence effective entre les entreprises des Etats membres ; que l’arrêt constate, en outre, que les prix pratiqués par la société Roblot par rapport à ceux de la société Pompes funèbres d’Antibes Juan-Les-Pins ne sont pas excessifs ou inéquitables compte tenu des obligations pesant sur la société Roblot telles que la prise en charge des
indigents et le versement d’une redevance au concédant ; qu’en l’état de ces motifs et sans avoir à effectuer d’autres recherches, la cour d’appel n’a pas méconnu les dispositions de l’article 86 du Traité instituant la Communauté économique européenne ; que le moyen n’est pas fondé ; Sur le second moyen :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Pompes funèbres d’Antibes Juan-Les-Pins au paiement d’une indemnité de trente huit mille francs à titre de dommages-intérêts, alors que les juges du fond ne peuvent condamner une partie pour attitude abusive ou frauduleuse qu’à charge d’établir l’existence d’un comportement blâmable ou l’intention de nuire de ladite partie ; qu’ainsi, l’arrêt attaqué en octroyant des dommages-intérêts à la société Roblot en sus de ceux accordés en réparation du préjudice subi pour acte de concurrence déloyale sans caractériser le comportement de la société Pompes funèbres d’Antibes Juan-Les-Pins constitutif d’une attitude frauduleuse ou abusive manque de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil violant ainsi ce texte ; Mais attendu qu’il ne résulte ni des productions ni de l’arrêt que le montant de cette indemnité ait été critiqué, la cour d’appel ayant relevé que la société « ne conteste pas le principe… des dommages et intérêts fixés à trente huit mille francs. Elle en demande seulement la restitution après que la cour ait constaté l’illicéité des pratiques du groupe par abus de position dominante » ; que le moyen est donc nouveau et que, mélangé de fait et de droit, il est irrecevable ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;