Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Office d’annonce (ODA), société anonyme, dont le siège est …,
en cassation d’un arrêt rendu le 22 mai 1997 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (2e chambre civile), au profit :
1 / de M. Dominique X…, exploitant en son nom personnel l’agence de publicité « Audace et stratégies », demeurant …,
2 / de M. Henri Y…, mandataire judiciaire, pris en sa qualité de représentant des créanciers et de commissaire à l’exécution du plan de M. X…, domicilié …,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 19 octobre 1999, où étaient présents : M. Dumas, président et rapporteur, M. Poullain, Mme Lardennois, conseillers, M. Raynaud, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Dumas, président, les observations de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de la société Office d’annonce, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat de M. X…, ès qualités, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’ arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 mai 1997), que M. X… exploite en son nom personnel une agence de communication et publicité dénommée Audace et stratégie sise à La Garde (Var) ; qu’il a assigné en 1992 devant le tribunal de commerce en dommages-intérêts la société ODA qui, se prévalant de sa qualité de régisseur exclusif pour assurer la publicité dans les pages jaunes des annuaires officiels de France Télécom, l’empêchait par des manoeuvres diverses d’obstruction, de dénigrement et de minoration du montant de ses commissions, d’assurer la publication des annonces publicitaires confiées par ses clients ; qu’il fondait son action sur les dispositions de l’article 1382 du Code civil et 36-1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 sur la libre concurrence, le Conseil de la concurrence ayant déjà statué par voie d’ordonnance sur les abus de position dominante dont il était victime ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société ODA fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée au paiement d’ une indemnité provisionnelle et d’avoir ordonné, avant dire droit une expertise sur le montant du préjudice, alors, selon le pourvoi, d’ une part, que la cour d’appel ne peut faire droit à un moyen hypothétique formulé dans les conclusions de l’une des parties, fut-elle intimée ; que la société ODA soutenait qu’en l’absence d’éléments de faits de nature à établir un préjudice subi par M. X… et un lien de causalité directe entre cet éventuel préjudice et les prétendues fautes alléguées, ses conclusions d’intimé, qui étaient fondées sur la responsabilité civile de l’appelante, ne proposaient qu’un moyen hypothétique, qui ne saisissait pas la cour d’appel conformément aux dispositions de l’article 954 du nouveau Code de procédure civile ; qu’en faisant néanmoins droit aux prétentions de M. X…, la cour d’appel a violé ce texte, de même que les articles 6 et 9 du même code ; alors, d’autre part, qu’une cour d’appel ne peut constater le principe d’un préjudice allégué par une partie intimée, si cette dernière n’a pas proposé un moyen en ce sens ; que la société ODA, appelante, reprochait à M. X… d’affirmer purement et simplement qu’elle avait engagé sa responsabilité du fait de prétendues fautes qu’elle aurait commises sans démontrer ni l’existence d’un préjudice, ni le lien de causalité qui aurait existé entre ces deux précédents éléments (cf. conclusions ODA du 28 mars 1997, p 4, C) ; qu’en accédant pourtant à sa demande, la cour d’appel a dépassé les pouvoirs qu’elle tient de l’article 594 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que le juge ne peut ordonner l’exécution d’une mesure d’expertise judiciaire pour se substituer à la carence d’une partie dans la charge de la preuve ; que la société ODA rappelait que M. X… ne présentait aucun élément propre à établir le quantum de son préjudice ; qu’en ordonnant néanmoins l’expertise confiée à M. Z…, la cour d’appel a violé l’article 146 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le pourvoi, qui ne critique pas l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il a décidé que la société ODA s’était « rendue coupable de septembre 1990 à fin 1994 de pratiques discriminatoires, abus de position dominante et d’actes de concurrence déloyale, faits revêtant à l’égard de M. X… le caractère de fautes délictuelles et quasi délictuelles », ne saurait contester l’existence du préjudice subi par M. X… alors qu’il s’infère nécessairement des actes déloyaux constatés l’existence d’un préjudice ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, ayant vérifié les documents versés aux débats par M. X…, a constaté que les agissements de la société ODA avaient entraîné « plusieurs annulations de commande », génératrices de trouble commercial et de désorganisation de l’entreprise a pu, dès lors, sans encourir les griefs du moyen, statuer ainsi qu’elle l’a fait ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société ODA fait encore grief à l’arrêt de l’avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d’une part, que le préjudice doit être personnel ; qu’en relevant que la société ODA cherchait à préserver le monopole dont elle avait bénéficié sur le marché considéré, la cour d’appel n’a caractérisé qu’un comportement à l’égard de l’ensemble des intervenants sur ce marché ; qu’en en déduisant par voie d’analogie un préjudice personnel à l’égard de M. X…, elle a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ; alors, d’autre part, que la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, constater, d’une part, que M. X… démontrait un acte de dénigrement à son égard auprès d’un seul de ses clients (arrêt p 18, antépénultième alinéa) et que les agissements de la société ODA avaient eu pour conséquence l’annulation de plusieurs contrats (arrêt p. l8, dernier alinéa) ; qu’ainsi, elle a privé sa décision de motifs et a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la responsabilité s’apprécie au jour du jugement ; que la cour d’appel a relevé que les agissements prétendument fautifs de la société ODA s’étaient achevés fin 1994 ; que faute d’avoir recherché si au jour où elle a statué, le 22 mai 1997, ces faits avaient encore des répercussions préjudiciables pour M. X…, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que sous couvert de griefs de manque de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil et de défauts de motifs, le moyen ne tend qu’à mettre en cause les appréciations portées par les juges du fond pour caractériser le préjudice personnel subi par M. X… ;
que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Office d’annonce aux dépens ;
La condamne à une amende civile de 10 000 francs envers le Trésor public ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Office d’annonce à payer à M. X… la somme de 15 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.