Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est 3, rue d’Antin, 75002 Paris,
en cassation d’un arrêt rendu le 20 novembre 1998 par la cour d’appel de Paris (15e chambre civile, section B), au profit :
1 / de M. X…, pris en sa qualité de liquidateur de la société Z…,
2 / de M. Y…, en redressement judiciaire,
3 / de M. A…, pris en sa qualité d’administrateur au redressement judiciaire de M. Y…,
4 / de M. B… (SCP B…-C…), pris en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de M. Y…,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 17 juillet 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Collomp, conseiller rapporteur, MM. Leclercq, Métivet, Mmes Garnier, Favre, conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, M. Boinot, Mmes Champalaune, Gueguen, M. Sémériva, conseillers référendaires, M. Viricelle, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Collomp, conseiller, les observations de la SCP Tiffreau, avocat de la société BNP Paribas, de Me Choucroy, avocat de M. Vilette, ès qualités, les conclusions de M. Viricelle, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 20 novembre 1998), que M. Y… et la Z…, qu’il présidait et dont il était également, à titre personnel, l’agent général, étaient, chacun, titulaire de comptes auprès de la Banque Paribas, aux droits de laquelle se trouve la Banque nationale de Paris ; que M. Y… s’est rendu coupable de détournements au préjudice de la société Z… en remettant à la Banque Paribas, pour encaissement sur son compte professionnel d’agent général, des chèques, qui ne se rapportaient pas à son activité, émis à l’ordre de la société Z… ou encore sur lesquels il avait ajouté à l’indication de la raison sociale de celle-ci, l’une ou l’autre des mentions « Groupe Y… », « Cabinet Y… », « Y… », « M. Y… » ou « M. Y… Cie », et qu’il avait endossés ; que le liquidateur a engagé une action en responsabilité contre la Banque Paribas, lui reprochant d’avoir encaissé, sans le consentement de la société Z…, des chèques affectés d’anomalies grossières sur le compte de M. Y… ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la Banque Paribas fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à M. X…, pris en sa qualité de liquidateur de la société Z…, la somme de 15 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 ) que l’agent général est habilité à créditer sur son compte professionnel des chèques émis à l’ordre des compagnies d’assurances qu’il représente ; qu’en l’espèce, en jugeant qu’elle aurait commis une faute en encaissant sur le compte de M. Y… des chèques émis à l’ordre de la société Z…, au motif erroné que les conditions n’auraient pas été remplies pour que M. Y… « même s’il avait été agent général », puisse encaisser sur son compte des chèques à l’ordre de la société Z…, et en relevant que la banque « ignorait » pour quels contrats M. Y… était agent général, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si elle avait pu légitimement croire que M. Y… lui avait remis les chèques litigieux en sa qualité d’agent général de la société Z…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
2 ) que les bénéficiaires d’un chèque ont la faculté de compléter la mention relative à leur désignation, conformément à la volonté du tireur ; qu’à cet égard, la banque ne commet pas de faute en encaissant un chèque complété, s’il n’existe aucun élément pouvant lui donner connaissance d’agissements illicites ; qu’en l’espèce en jugeant que certains chèques « comportaient à l’examen des anomalies, dues à des ajouts » et qu’elle avait commis une faute en les encaissant sur le compte de M. Y…, sans préciser, comme elle y était pourtant invitée, en quoi ces ajouts, visant un agent général de la société Z… pouvaient lui donner connaissance d’agissements illicites, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
3 ) qu’au reste, un chèque mentionnant deux bénéficiaires peut être encaissé sur le compte de l’un ou de l’autre seulement, de leur consentement mutuel ; qu’en l’espèce, en jugeant qu’elle aurait commis une faute en encaissant sur le compte de M. Y… des chèques à l’ordre de deux bénéficiaires, au motif que « le consentement du bénéficiaire non crédité n’était pas obtenu », sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si elle pouvait douter du consentement de la société Z… à l’encaissement de ces chèques, eu égard au fait que M. Y… était le président du conseil d’administration de la société Z…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu’un chèque portant la mention de sa transmissibilité au seul profit d’une banque, d’une caisse d’épargne ou d’un établissement assimilé ne peut être encaissé par celui-ci, qu’en vue de la remise de son montant au bénéficiaire du chèque, sauf le cas où cet établissement l’a reçu en paiement d’une somme due à lui-même, ni le bénéficiaire du chèque, ni son mandataire ne pouvant ordonner que son montant soit remis à un tiers ;
Attendu que la cour d’appel relève en l’espèce que les chèques litigieux étaient des chèques barrés, établis pour les uns, à l’ordre de la société Z…, sans ajouts, pour les autres, à l’ordre de la société Z… avec de nombreux ajouts rédigés à la main ou dactylographiés ou réalisés au moyen du cachet du groupe Y… et que deux d’entre eux étaient à l’ordre de la société Z…, précédée de « Monsieur Y… » ou de « Monsieur Y… Cie » et ajoute qu’il n’existait entre la société Z… et le Cabinet Y… ou entre celle-ci et M. Y…, pris en sa qualité d’agent général, ni convention de trésorerie commune, ni compte joint ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations dont il se déduisait que la Banque Paribas avait commis une faute en encaissant des chèques non endossables sauf au profit d’une banque, établis à l’ordre de la société Z…, avec ou sans ajouts, sur le compte professionnel de son mandataire, M. Y…, qui n’en était pas le bénéficiaire ou le seul bénéficiaire désigné, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la Banque Paribas fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 ) qu’elle soutenait que M. Y… étant à la fois président du conseil d’administration et agent général de la société Z…, elle ne pouvait absolument pas empêcher l’encaissement des chèques litigieux ;
qu’en jugeant que « la banque ne peut à bon droit soutenir que si elle avait interrogé la société Z…, elle l’aurait fait inutilement » au motif « qu’un refus voire une mise en garde voire même une interrogation aurait d’évidence détourné Monsieur Christian Y… de ses diligences frauduleuses », sans se prononcer, comme elle y était pourtant invitée, sur le pouvoir qu’avait M. Y…, en sa double qualité de président du conseil d’administration et d’agent général de la société Z…, de confirmer les encaissements litigieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
2 ) qu’au reste, la cour d’appel a relevé que M. Y… était président du conseil d’administration et que la société Paribas ignorait pour quels contrats il était ou non agent général de la société Z… ;
qu’en retenant néanmoins « qu’un refus voire une mise en garde voire même une interrogation aurait d’évidence détourné Monsieur Y… de ses diligences frauduleuses », la cour d’appel a énoncé un motif purement hypothétique, eu égard à la possibilité qu’avait M. Y… de confirmer les encaissements litigieux et a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) qu’au surplus, elle soutenait que la société Z… avait ratifié les encaissements litigieux, ratification résultant de la comptabilisation de ces encaissements dans les livres de la société Z… sur un compte intitulé « Groupe Y… Nancy », nom commercial sous lequel l’intéressé exerçait son activité d’agent général en nom personnel, de la mention des encaissements de ces primes et de leur comptabilisation dans les rapports spéciaux des commissaires aux comptes de la société Z… pour les années 1988 et 1989, sans observation ni réserve, et de l’approbation des comptes annuels par les assemblées générales d’actionnaires des années considérées, de sorte que le préjudice allégué par la société Z… ne trouvait pas sa cause dans le fait que M. Y… avait pu encaisser des chèques représentatifs de primes Sedri qui était connu et approuvé ; qu’en retenant sa responsabilité, sans répondre au moyen susvisé tiré du défaut de lien de causalité à raison de la ratification par la société Z… des encaissements litigieux, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) qu’en tout état de cause, la cour d’appel a relevé les « diligences frauduleuses » commises par M. Y… aux dépens de la société Z… ; qu’en opérant un « partage de responsabilité » entre les organes de contrôle de la société Z… et la banque, à raison de simples négligences, sans tenir compte, dans l’appréciation des rapports de causalité, de la faute dolosive de M. Y…, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article 1382 du Code civil ;
5 ) qu’au demeurant, une banque est exonérée de la responsabilité qu’elle est susceptible d’encourir à raison des négligences commises par ses préposés, dès lors que le préjudice trouve sa cause première dans la faute dolosive d’un tiers ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé les « diligences frauduleuses » commise par M. Y… aux dépens de la société Z… ; qu’en opérant néanmoins un « partage de responsabilité » entre les « organes de contrôle » de la société Z… et elle-même, à raison de « simples négligences », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu’ayant relevé par des motifs non hypothétiques que la Banque Paribas était en mesure, par des modalités diverses, de dissuader M. Y… de poursuivre ses agissements, la cour d’appel, qui n’a pas statué par un motif hypothétique, a pu en déduire, qu’indépendamment de la propre part de responsabilité encourue par la société Z… du fait du laxisme manifesté par ses organes de contrôle, il existait un lien de causalité entre les fautes professionnelles de la Banque Paribas et le préjudice de la société ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la Banque Paribas fait encore le même reproche à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 ) qu’elle soutenait que M. Y… avait déjà effectué des remboursements au titre du contrat Sedri, et qu’il y avait lieu de les prendre en considération dans l’évaluation du préjudice invoqué par la société Z… ; qu’elle justifiait en effet de mouvements de fonds pour plus de 20 000 000 francs opérés par le débit du compte de M. Y… au profit du compte de la société Z…, et évoquait un rapport du 28 juin 1995 de la Société d’expertise comptable de l’Est missionnée par M. Levet, administrateur judiciaire au redressement judiciaire de M. Y…, faisant état de versements en faveur de la société Z… d’un montant de 16 797 498 francs au titre du contrat Sedri ; qu’en jugeant qu’elle « ne saurait à bon droit invoquer que le préjudice serait nul du fait de remises compensatoires », en se limitant à affirmer que « M. Y… ne prouvait pas que les remises qu’il aurait faites sur le compte de la société Z… durant la période litigieuse soient en rapport avec les primes détournées du contrat Sedri », sans examiner les éléments de preuve susvisés qu’elle avait fournis au soutien de ses allégations, la cour d’appel a privé sa décision de motifs, en violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) qu’au reste, l’existence d’importants remboursements effectués par M. Y… sur le compte de la société Z… n’était pas contestée ; qu’en évoquant les remises que M. Y… « aurait faites » sans constater, comme elle le demandait sans être contredite, l’existence de ces remises, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que l’indemnité nécessaire à la réparation du préjudice doit être calculée selon la valeur du dommage ; qu’en l’espèce, évoquant les importantes remises faites par M. Y… sur le compte de la société Z…, elle demandait une expertise comptable pour déterminer avec certitude le quantum du préjudice ; qu’en effet, seule une expertise des comptabilités des intéressés permettait de vérifier si lesdites remises concernaient le compte Sedri, et d’assurer le respect du principe de la réparation intégrale du préjudice ; qu’en jugeant qu’elle « ne saurait à bon droit invoquer que le préjudice serait nul du fait de remises compensatoires », en se limitant à affirmer que « M. Y… ne prouvait pas que les remises qu’il aurait faites sur le compte de la société Z… durant la période litigieuse soient en rapport avec les primes détournées du contrat Sedri », sans procéder, au besoin par voie d’expertise, à l’examen des comptabilités des intéressés, nécessaires à la détermination du préjudice réellement subi par la société Z…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain, que la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’instituer une mesure d’instruction dès lors qu’elle estimait pouvoir se déterminer à partir des seules pièces produites, ni d’admettre pour établies les remises prétendument effectuées sur le compte de la société Z… par M. Y… au seul motif qu’elles n’avaient pas été contestées, a, par une décision motivée, estimé que celui-ci ne prouvait pas que ces remises étaient en rapport avec les primes détournées du contrat Sidri ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la BNP Paribas aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la BNP Paribas ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille un.