Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte au Syndicat des eaux de l’Ile-de-France de ses désistements partiels à l’encontre de la société Lyonnaise des eaux France, de la Communauté du Val d’Orge, venant aux droits de la commune de Saint-Michel-sur-Orge et de l’association UFC-Que choisir ;
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 26 septembre 2006), que, saisi de la situation de la concurrence dans le secteur de l’eau potable en Ile-de-France, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 05-D-58 du 3 novembre 2005, retenu que le Syndicat des eaux de l’Ile-de-France (le SEDIF), qui bénéficiait d’un monopole de fait sur le marché de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur le territoire des communes adhérentes à ce syndicat et comptait parmi ses principaux clients la Société d’économie mixte d’aménagement et de gestion du marché d’intérêt national de région parisienne (la Semmaris) en raison de la localisation du marché (MIN) et de ses annexes sur le territoire de quatre communes adhérentes du SEDIF, avait abusé de sa position dominante en intervenant auprès de son concurrent, la société anonyme de gestion des eaux de Paris (la Sagep), et du principal actionnaire de cette dernière, la ville de Paris, dont l’autorisation est nécessaire à la Sagep pour fournir de l’eau à des consommateurs non parisiens, afin d’empêcher la finalisation d’un contrat de fourniture d’eau demandé par la Semmaris à la Sagep dont les installations de transport d’eau longent le MIN, et lui a infligé une sanction pécuniaire ; que le SEDIF a formé un recours contre cette décision ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le SEDIF fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil lui infligeant une sanction de 100 000 euros pour abus de position dominante, alors, selon le moyen :
1 / qu’en vertu de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques ou les personnes privées exerçant une mission de service public peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l’autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ; qu’en décidant néanmoins que les actes du SEDIF ressortait de la compétence du Conseil de la concurrence au motif que le SEDIF ne prouvait pas avoir un monopole de droit, sans rechercher si en protégeant son délégataire, auquel il avait délégué les droits exclusifs de souscrire les abonnements avec les usagers, le SEDIF n’exerçait pas des prérogatives de puissance publique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
2 / que le SEDIF faisait valoir dans son mémoire devant la cour d’appel que la validité de l’exclusivité conférée au délégataire par la convention de régie intéressée n’avait pas été contestée devant le juge administratif ; que dès lors, le SEDIF était fondé à faire respecter cette convention dont la nullité n’avait nullement été demandée et à protéger son délégataire contre une méconnaissance de ses droits exclusifs ;
qu’en décidant toutefois le contraire, au motif que le SEDIF n’établissait pas avoir un monopole de droit, ce dont il résulterait qu’il n’aurait pu valablement conférer des droits exclusifs à son délégataire, alors que la validité de la convention de régie ontéressée ressortait de la compétence administrative, la cour d’appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
3 / qu’en vertu d’une règle coutumière, les communes sont chargées d’alimenter en eau potable la population, et ont à cette fin l’exclusivité de la distribution de l’eau sur leur territoire ; qu’ainsi, à supposer qu’il faille avoir un monopole de droit pour être en droit de protéger son délégataire de service public contre les atteintes à son exclusivité, la cour d’appel ne pouvait pas décider que les communes (et donc les syndicats de communes) n’avaient pas un monopole de droit pour assurer l’approvisionnement en eau de la population de leur territoire, et que les lettres envoyées par le SEDIF ne pouvaient donc avoir été envoyées pour assurer sa mission de service public et protéger son délégataire, sans violer la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que l’arrêt relève que les courriers adressés par le président du SEDIF au maire de Paris et au président de la Sagep résultent d’une initiative autonome prise par le SEDIF en tant qu’agent économique et retient que le SEDIF ne justifie pas de l’existence du monopole de droit dont il se prétend titulaire pour l’approvisionnement en eau sur le territoire des communes adhérentes à ce syndicat ; qu’en l’état de ces énonciations, dont il résulte, sans qu’il y ait lieu d’apprécier la validité de la convention de régie intéressée liant le SEDIF à la Compagnie générale des eaux, que ces courriers ne pouvaient tendre à la protection d’un tel monopole, c’est à juste titre que la cour d’appel a admis la compétence du Conseil de la concurrence pour connaître des faits reprochés au SEDIF ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le SEDIF fait le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 / que le SEDIF ayant un monopole de droit, pouvait légitimement s’opposer à toute atteinte à ce monopole ; qu’en décidant néanmoins que des lettres de protestation à l’encontre d’actes effectués au mépris du monopole, constituait un abus de position dominante, la cour d’appel a violé l’article L. 420-2 du code de commerce ;
2 / que le titulaire de droits exclusifs chargé d’une mission de service public, qui suppose qu’il supporte des charges que ne supporterait pas un opérateur quelconque, est protégé contre la concurrence d’un opérateur qui veut, au mépris de ladite exclusivité, pratiquer des prix plus bas, parce qu’il ne supporte pas les mêmes charges ; qu’en l’espèce, l’exposant avait ainsi relevé que les droits exclusifs qu’il avait délégués à la CGE , et dont la validité n’était pas contestée, ne pouvaient être méconnus par la Semmaris et la Sagep ;
qu’en décidant néanmoins que les lettres de protestation du SEDIF constituaient un abus de position dominante, la cour d’appel a violé l’article L. 420-2 du code de commerce ;
Mais attendu que c’est sans méconnaître les textes invoqués que l’arrêt, après avoir relevé que le SEDIF n’était pas titulaire d’un monopole de droit pour l’approvisionnement en eau sur le territoire de ses adhérents, et que la teneur des courriers incriminés montraient que ceux-ci avaient pour objet de contraindre la Sagep de renoncer à son projet de convention avec la Semmaris, retient, par motifs propres et adoptés, que la pratique de comportements prohibés par les règles de concurrence ne peut être analysé comme une protection accordée par le délégant d’un service public à son délégataire ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen et le quatrième moyen, pris en sa première branche, réunis :
Attendu que le SEDIF fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 / dans son mémoire devant la cour d’appel, le SEDIF avait fait valoir que le marché pertinent ne pouvait être le marché de la vente de l’eau en gros, ce marché mettant en présence uniquement, d’un côté les fournisseurs d’eau, communes ou délégataires, et d’un autre côté des personnes publiques non usagers du service public de distribution de l’eau ; que si le prix de l’eau en gros était très inférieur au prix de l’eau au détail, cela n’était pas dû aux quantités, mais au fait que fournissant de l’eau à un non usager du service public, la commune ou son délégataire n’avait pas à lui facturer une part contributive aux charges du service public de distribution ; que dès lors, en décidant que Semmaris était un acheteur en gros, en raison du volume de consommation en jeu, sans rechercher s’il était un usager du service public de distribution, qui aurait droit de la part du SEDIF à la continuité des approvisionnements même en cas de carence de la Sagep, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce ;
2 / que, dès lors qu’elle retenait que la Semmaris était un acheteur en gros, et compte tenu du fait que le SEDIF avait soutenu dans son mémoire devant la cour, que la vente en gros concernait les communes non adhérentes au SEDIF, la cour d’appel ne pouvait pas délimiter le marché géographique pertinent au seul territoire des adhérents du SEDIF, sans rechercher si la vente en gros, par elle retenue, ne concernait pas toute l’Ile de France ; qu’ en statuant ainsi la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce ;
3 / qu’en retenant que le marché à prendre en compte serait celui de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur le territoire des cent quarante quatre communes adhérentes au syndicat sans rechercher, comme l’y invitaient le mémoire du SEDIF, si la possibilité que puisse être physiquement offert à un usager établi sur le territoire du SEDIF, un raccordement à l’aqueduc de la Sagep n’était pas un phénomène purement local qui ne pouvait constituer une offre générale de service comparable à celle du SEDIF, en sorte que le marché était trop limité et ponctuel pour constituer un marché pertinent, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 410-2 du code de commerce ;
4 / que les usagers du service public ont droit à être traités égalitairement ; qu’en l’espèce, l’exposant avait soutenu dans son mémoire devant la cour, que la Semmaris n’était pas un acheteur d’eau « en gros » et ne pouvait donc légitimement se fournir auprès de la Sagep à un tarif ne comprenant que le prix du produit, mais non la contrepartie de la répartition des charges du service public pesant sur tous les usagers du service ; qu’en permettant néanmoins dans le principe à la Semmaris de se fournir en eau auprès de la Sagep, à un tarif équivalent à un tarif de gros, sans rechercher si ce faisant, elle n’était pas dispensée de participer aux charges du service public la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe d’égalité de traitement des usagers du service public et de l’article L. 141-1 du code général des collectivités territoriales ;
Mais attendu que l’arrêt, par motifs propres et adoptés, rappelle la situation particulière de la Semmaris qui, gros consommateur d’eau, assure avec l’aide d’un prestataire de service, la totale responsabilité de la distribution d’eau au sein de ses installations situées sur des communes adhérentes du SEDIF et longées par des installations de transport d’eau de la Sagep ; qu’il constate que la Semmaris s’est vue proposer deux offres de fourniture d’eau en gros, l’une émanant du Sedif révisant en baisse ses tarifs en y incluant un coût équivalent à celui de l’eau en gros et l’autre de la Sagep moins élevée que la première malgré les coûts, à supporter par la Semmaris, d’aménagement d’infrastructures de raccordement de ses installations aux aqueducs de la Sagep ; qu’il retient que ces deux offres révèlent l’existence d’un marché local et ponctuel de fourniture d’eau sur le territoire de communes adhérentes au SEDIF ; qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifie sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, et sur le cinquième moyen, réunis :
Attendu que le SEDIF fait toujours le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 / qu’il n’y a pas d’abus au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, à se protéger contre un opérateur qui fait une offre de prix illégitime ; que le principe de la liberté de la concurrence suppose que le prix proposé par une personne bénéficiant de moyens mis à sa disposition dans le cadre d’une mission de service public, soit déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat et que cette personne n’ait pas bénéficié pour déterminer le prix qu’elle a proposé d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public ; qu’en l’espèce, l’exposant avait invoqué le fait que la Sagep était également tenue par le principe dégalité de traitement des usagers du service public, qui lui interdisait de faire un prix de gros à la Semmaris, et qu’elle ne pouvait pour ce faire tirer partie de la gratuité des installations mises à sa disposition par la ville de Paris dans le cadre de sa concession, sans en tenir compte dans la fixation de son prix ; que dès lors, en décidant que le Sedif avait commis un abus de position dominante en tentant de se protéger contre une telle offre de prix, sans rechercher si celle-ci n’était pas irrégulière, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce ;
2 / qu’il n’y a pas d’abus au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, à protester contre un opérateur qui fait preuve de déloyauté contractuelle au sens de l’article 1134, alinéa 3, du code civil, et qui trompe l’attente légitime de son cocontractant ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que la Semmaris avait négocié et signé avec lui une baisse de tarif conséquente, de l’ordre de 18 %, par avenant du 5 février 1999 ; que pourtant le 18 janvier 1999, elle donnait aussi son accord à la Sagep pour l’alimentation en eau du MIN à partir de ses aqueducs, la signature dudit contrat restant soumise à l’autorisation du Conseil de Paris ; qu’il résultait de ces constatations que la Semmaris méconnaissait l’article 1134, alinéa 3, du code civil , dans ses rapports avec le Sedif ; qu’en considérant néanmoins que le Sedif ne pouvait protester contre cette violation de l’obligation de loyauté de la Semmaris, la cour d’appel a méconnu l’article L. 420-2 du code de commerce ;
3 / qu’il n’y a pas d’abus de position dominante à envisager des mesures de rétorsion, sans les mettre en oeuvre ; qu’en se fondant sur le fait que le Sedif n’a pas craint d’envisager des mesures de rétorsion à l’égard de Sagep, pour en déduire l’abus de position dominante du Sedif, la cour d’appel a violé l’article L. 420-2 du code de commerce ;
4 / qu’en vertu de l’article L. 463-2 du code de commerce, nul ne peut se voir reprocher un grief qui ne lui a pas été notifié ; qu’en l’espèce, la notification de griefs reprochait exclusivement au Sedif l’envoi des deux lettres des 27 mai 1999 et 9 juillet 1999 ; qu’en reprochant au Sedif d’avoir envisagé des mesures de rétorsion, alors que la notification de griefs n’en disait mot, la cour d’appel a violé l’article L. 463-2 susvisé ;
Mais attendu que l’arrêt n’a déduit l’abus par le Sedif de sa position dominante ni du simple fait que ce syndicat a protesté ou cherché à se protéger contre une offre faite à un de ses clients par un concurrent, ni du fait que le syndicat a envisagé des mesures de rétorsion, mais a retenu que l’abus résultait des moyens employés par le Sedif qui a adressé au maire de Paris « en tant qu’actionnaire principal de la Sagep » et au président de la Sagep des courriers, signés de son président, tendant à faire pression sur le second afin que la Sagep renonce à son projet de convention avec la Semmaris et sur le premier afin qu’il ne soumette pas ce projet au Conseil de Paris, décideur en dernière instance, ces courriers ayant pour objet d’empêcher la finalisation d’une convention entre un de ses clients et un concurrent ;
que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le SEDIF aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille sept.