Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 20 mars 2007, 05-20.599, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 20 mars 2007, 05-20.599, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 24 mars 2005), que, le 30 décembre 1995, la société HNP a fait un apport à la société Astyage, filiale de la société Distribution Casino France (la société), d’un fonds de commerce d’hypermarché, soumis au paiement d’un droit fixe d’enregistrement et en rémunération duquel elle a reçu des actions ; que, le 4 janvier 1996, la société HNP a cédé à la société la totalité de ces actions pour leur prix de revient ; qu’ayant considéré qu’en raison de la concomitance de ces opérations ayant concouru au transfert du fonds de commerce à la société, que l’apport avait été réalisé à titre onéreux et s’analysait en une véritable vente soumise aux droits prévus à l’article 719 du code général des impôts, l’administration fiscale a, le 9 décembre 1998, notifié à la société, venant aux droits de la société Astyage du fait de l’absorption de cette dernière, un redressement sur le fondement de l’abus de droit et a émis, le 26 octobre 2000, un avis de mise en recouvrement ; qu’après rejet de sa demande, la société a assigné le directeur général des impôts devant le tribunal aux fins de dégrèvement de ces impositions ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Attendu que la société fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen, que le juge est tenu, en toutes circonstances, de faire observer et d’observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’au cas présent, le fait que l’abus aurait résulté du choix, par les parties à l’opération, d’un apport plutôt que d’une vente du fonds de commerce financée par une augmentation de capital préalable n’avait été évoqué ni par les parties au litige, ni par les premiers juges, ceux-ci s’étant bornés à stigmatiser la cession immédiate, par la société HNP, des actions reçues en rémunération de son apport ; qu’en relevant ainsi d’office le moyen précité, sans appeler les parties à formuler des observations de ce chef, la cour d’appel a violé l’article 16 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu que l’administration, dans ses conclusions devant la cour d’appel, soutenait que l’opération d’apport, suivie de la cession des actions, constituait une mutation à titre onéreux du fonds de commerce au profit de la société Astyage, soumise aux droits de mutation de l’article 719 du code général des impôts ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le deuxième moyen, réunis :

Attendu que la société fait le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :

1 / que dès lors qu’une opération n’est pas fictive et qu’elle comporte des intérêts multiples, à la fois économiques et juridiques, le contribuable qui est à l’origine de cette opération ne commet pas d’abus de droit ; qu’il importe peu, à cet égard, que cette opération eût pu être effectuée différemment, avec les mêmes effets, et donner lieu, par cet autre biais, au versement de droits d’enregistrements plus élevés, cette seule économie fiscale réalisée par le contribuable en cause ne suffisant pas à disqualifier la solution licite choisie en abus de droit ; que méconnaît ces principes, en violation de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, la cour d’appel qui, tout en constatant que l’opération soumise à son contrôle revêtait bien le caractère d’un apport pur et simple effectué en échange de l’émission d’actions nouvelles comportant un risque d’entreprise, disqualifie l’opération en vente de fonds de commerce pour le motif qu’alternativement, les parties auraient pu passer par le détour d’une augmentation du capital de la société Astyage en numéraire, suivie d’une acquisition, par la société Astyage, du fonds de commerce, et payer ainsi des droits d’enregistrement plus élevés tout en conservant les effets juridiques et économiques de l’opération telle qu’elle a été réalisée ;

2 / que ne commet pas un abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales le contribuable qui, en présence de deux modalités distinctes de réalisation d’une opération, chacune étant d’une complexité équivalente, choisit celle impliquant le moindre coût fiscal ; que viole le texte précité, ensemble le principe de la liberté des choix en matière fiscale, la cour d’appel qui confirme la requalification opérée par l’administration et déclare que l’opération en cause aurait eu un « but exclusivement fiscal » pour le motif que le résultat de l’apport de fonds de commerce et de la cession des actions opérés par la société HNP aurait été atteint, mais avec le paiement de droits d’enregistrement plus élevés, par une acquisition du fonds de commerce par la société Astyage financée par une augmentation préalable de son capital en numéraire ;

3 / que l’augmentation de capital régulière et effective d’une société anonyme destinée à rémunérer un apport en nature, décidée par l’assemblée générale extraordinaire, à la majorité requise, entraîne des effets multiples et est une opération nécessairement distincte de la cession ultérieure des actions par les associés attributaires des actions nouvelles individuellement ; qu’au cas présent, il est constant que l’apport du fonds de commerce par la société HNP à la société Astyage a donné lieu à une augmentation de capital régulière et effective de la société Astyage, de sorte que les parties à cette opération ont eu en vue des effets multiples économiques et juridiques ; qu’en considérant, malgré tout, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que les parties auraient poursuivi un but exclusivement fiscal au seul motif que la société HNP aurait cédé ses titres, mais sans constater que les titres en cause auraient été annulés entre les mains de leur nouveau titulaire, ou que celui-ci se serait vu rétrocéder le fonds de commerce objet de l’apport, la cour d’appel a violé l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, ensemble les articles 178 et 180 de la loi du 24 juillet 1966 en sa rédaction applicable en la cause ;

4 / que la qualification d’une opération juridique dépend de son économie à la date de sa conclusion et telle qu’elle a été envisagée par les parties à ladite opération, sans que le comportement ultérieur unilatéral de l’une d’elles puisse exercer une quelconque influence à cet égard ; qu’ainsi, le transfert de propriété d’un bien à une société en contrepartie de l’attribution de titres représentatifs du capital de cette société constitue un apport peu important que l’attributaire des actions, ne souhaitant pas courir les risques de l’entreprise, les cède immédiatement à un tiers ; que méconnaît ces principes, en violation des articles 1174, 1108, 1131, 1134, 1832 et 1843-3 du code civil, des articles 178 et 180 de la loi du 24 juillet 1966 en sa rédaction applicable en la cause, des articles 809 et 810 du code général des impôts, ensemble l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, la cour d’appel qui, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, disqualifie l’apport pur et simple effectué par la société HNP en apport mutation au motif que, postérieurement au transfert de propriété du fonds de commerce et à la création des actions, celles-ci ont été cédées par la société HNP à un tiers, ce comportement ultérieur de l’apporteuse, dont il n’est pas constaté qu’il aurait été le fruit d’un accord des parties, étant sans conséquence sur la qualification juridique de l’opération telle que prévue par la société HNP et la société Astyage, bénéficiaire de l’apport ;

5 / que la qualification d’une opération juridique dépend de son économie globale et objective, et non des effets de ladite opération pour l’une des parties seulement, peu important que ces effets subjectifs de l’opération aient été, ou non, portés à la connaissance de l’autre partie ; qu’ainsi, constitue un apport pur et simple, et non un apport à titre onéreux, l’opération par laquelle une personne apporte à une société un bien, en contrepartie de l’attribution de titres représentatifs du capital de cette société; qu’il importe peu, à cet égard, que les titres en cause aient été cédés par l’apporteur le lendemain de l’apport, fût-ce avec l’assentiment de la société bénéficiaire de l’apport, dès lors que cet avatar de l’opération, s’il a eu les effets d’une vente à l’égard de l’apporteur, a conservé à l’ensemble les effets d’un apport du point de vue de la société bénéficiaire de l’apport, qui a obtenu le transfert d’un bien sans bourse délier, en contrepartie d’une augmentation de son capital social et de la création d’actions qui ont continué à exister ; qu’au cas présent, à supposer que la société Astyage, bénéficiaire de l’apport, ait eu connaissance du projet de la société HNP de céder les titres émis en contrepartie de son apport dans les quatre jours suivant la réalisation de l’augmentation de capital, l’opération n’en conserverait pas moins les traits caractéristiques d’un apport pour la société Astyage ; qu’en qualifiant cette opération de vente au motif que, du point de vue de l’apporteur, elle se serait apparentée à une vente du fonds de commerce apporté, par l’effet de la cession des actions émises, la cour d’appel a violé les textes précités ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’apport, le 30 décembre 1995, d’un fonds de commerce d’hypermarché par la société HNP à la société Astyage avait été rémunéré le même jour par l’émission d’actions de la seconde au profit de la première et avait été suivie, le 4 janvier 1996, de la cession de la totalité de ces titres à la société, en dehors de toute prise de risque inhérente à l’apport en société et en dehors de toute logique économique, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l’enchaînement de ces opérations sur une courte période se justifiait par la poursuite d’un but exclusivement fiscal, consistant à éluder le paiement des droits de mutation à titre onéreux, de sorte que l’administration était fondée à requalifier cette opération en une vente consentie à la société Astyage ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a, par ces seuls motifs et sans encourir les griefs visés aux deuxième, quatrième et cinquième branches du moyen, fait à bon droit application de la procédure de l’abus de droit ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société fait le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, que si l’administration fiscale dispose du droit de restituer à une opération juridique sa véritable qualification, elle doit alors réclamer les droits prétendument omis à son débiteur désigné par la nouvelle qualification donnée à l’opération litigieuse ; que méconnaît ces principes, en violation de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, ensemble l’article 1712 du code général des impôts, la cour d’appel qui considère comme justifiée la décision de redressement adressée à la société Astyage cependant qu’il résulte de ses constatations, telles qu’elles ressortent des motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que l’opération qu’aurait eu en vue les parties aurait consisté en une vente de fonds de commerce par la société HNP à la société Casino, qui en aurait payé le prix en achetant à la société HNP les actions créées par la société Astyage, de sorte que ce serait la société Casino qui aurait été le bénéficiaire réel de l’opération et qui, à ce titre, aurait dû être destinataire du redressement ;

Mais attendu qu’est seul redevable des droits de mutation éludés le bénéficiaire de l’acte requalifié par l’administration en application des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu’après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que l’administration avait requalifié l’acte d’apport en acte à titre onéreux, l’arrêt retient à bon droit que la société Astyage, bénéficiaire de la vente, était redevable des droits d’enregistrement de l’article 719 du code général des impôts ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Distribution Casino France aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette sa demande ; la condamne à payer au directeur général des impôts la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille sept.


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