Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 19 février 1991, 89-14.517, Publié au bulletin

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Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 19 février 1991, 89-14.517, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Sur le moyen unique, pris en ses neuf branches :

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 17 mars 1989) que la société Savir, exploitant à La Réunion un élevage avicole à partir d’oeufs à couver qu’elle achetait en France métropolitaine, a assigné la compagnie nationale Air-France (Air-France) en lui reprochant d’avoir, sous la pression des pouvoirs publics, augmenté ses tarifs de fret pour les oeufs à couver, à seule fin de favoriser sa concurrente la Société avicole de Bourbon qui s’était équipée pour produire les oeufs à couver à partir de son propre élevage ;

Attendu qu’Air-France fait grief à l’arrêt d’avoir jugé que, par ses décisions d’augmentation des tarifs, elle avait entravé le fonctionnement normal du marché et commis un abus de position dominante au sens de l’article 50, dernier alinéa, de l’ordonnance du 30 juin 1945, d’avoir annulé en conséquence lesdites décisions, et de l’avoir condamné à réparer le préjudice causé à la société Savir, alors, selon le pourvoi, d’une part, que tant l’existence d’une position dominante sur un marché que l’abus de cette position par entrave du fonctionnement normal du marché, au sens de l’article 50, dernier alinéa, de l’ordonnance du 30 juin 1945, ne pouvant s’apprécier qu’en fonction d’un marché de référence, prive sa décision de base légale au regard de ce texte la cour d’appel qui ne précise pas les termes du marché de référence pris par elle en considération et qui, ainsi, ne met pas la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle ; alors, d’autre part, qu’ayant constaté que les aviculteurs réunionnais devaient s’approvisionner  » auprès des fournisseurs métropolitains ou appartenant à des pays membres de la CEE « , ce dont il résultait nécessairement que le marché du transport aérien en cause était celui reliant l’ensemble des pays membres de la CEE à l’île de la Réunion et donc que la législation nationale n’était pas applicable, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations de fait les conséquences légales qui s’en évinçaient nécessairement en retenant néanmoins, pour imputer une situation de position dominante à Air-France, son monopole du fret aérien limité aux liaisons entre la métropole et la Réunion et a ainsi violé l’article 50, dernier alinéa, de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; alors, en outre, qu’en l’absence dans le secteur des transports aériens d’une réglementation adoptée par le conseil sur la base de l’article 87 du traité de Rome, il n’appartient qu’aux autorités nationales compétentes en application de l’article 88 et à la Commission en application de l’article 89 dudit Traité de constater que les tarifs constituent une pratique contraire aux articles 85 et 86 ; que la cour d’appel de Saint-Denis, qui n’est pas une  » autorité nationale compétente  » au sens de ces textes, n’était pas habilitée, en toute hypothèse, à constater de son propre chef l’incompatibilité du tarif avec les dispositions du Traité communautaire, de telle sorte qu’Air-France est fondée à invoquer, en tant que de besoin, la violation des dispositions susvisées du traité de Rome ; alors, de surcroît, que, à supposer qu’Air-France fût dans une position dominante au sens de l’article 50, dernier alinéa, de l’ordonnance du 30 juin 1945, les

tarifs litigieux, qui n’établissent aucune discrimination entre ses clients potentiels, ne pouvaient légalement être regardés comme entravant le fonctionnement normal du seul marché en cause dont la compagnie nationale est un agent économique, à savoir celui de l’approvisionnement aérien de l’île ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; alors, au surplus, qu’une entreprise ne peut légalement se voir reprocher des pratiques restrictives caractérisant un abus de position dominante que si celles-ci affectent le fonctionnement d’un marché dont elle est un agent économique ; que, dès lors, Air-France étant totalement étrangère au marché réunionnais de l’aviculture, viole l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 la cour d’appel qui considère que les augmentations des tarifs de fret d’oeufs à couver à destination de l’île ont constitué un abus de position dominante sur ce marché avicole ; alors, par ailleurs, que prive sa décision de base légale au regard de l’article 50, dernier alinéa, de l’ordonnance du 30 juin 1945 la cour d’appel qui affirme qu’Air-France a procédé aux augmentations de tarif  » dans le but avoué de porter atteinte au libre jeu de la concurrence « , sans relever la moindre circonstance de fait établissant que la compagnie nationale aurait reconnu avoir agi dans ce but ; alors, de plus, qu’ayant constaté que c’est l’autorité préfectorale qui a entendu user de ses pouvoirs de police économique pour favoriser la Société avicole de Bourbon et qu’Air-France s’est bornée à obtempérer aux pressions exercées sur elle par les autorités étatiques, viole l’article 50, dernier alinéa, de l’ordonnance du 30 juin 1945 la cour d’appel qui, méconnaissant la portée de ses propres constatations, transfère sur Air-France le but d’atteinte au libre jeu de la concurrence poursuivi par l’autorité préfectorale ; alors, encore, et en toute hypothèse, que le fait, pour un organisme grevé de servitudes de service public, d’obtempérer aux pressions exercées sur lui par ses autorités de tutelle constituant un fait justificatif au sens de l’article 51 de l’ordonnance du 30 juin 1945, viole ce texte la cour d’appel qui, tout en constatant que telle était en l’espèce la situation d’Air-France, lui refuse la possibilité d’invoquer un fait justificatif au sens dudit article 51 ; et alors, enfin, que, le développement du progrès économique au sens de l’article 51 de l’ordonnance du 30 juin 1945 étant normalement le fait d’entreprises privées, prive sa décision de base légale au regard de ce texte la cour d’appel qui récuse la notion de développement économique au seul motif qu’il s’agissait d’assurer la protection d’intérêts purement privés sans rechercher si la protection de ces intérêts privés n’était pas susceptible de constituer par elle-même un facteur de développement économique ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les autorités administratives avaient effectué des démarches auprès d’Air-France pour l’inciter à augmenter ses tarifs, mais ne retient pas l’incompatibilité du tarif litigieux avec les dispositions du Traité instituant la Communauté économique européenne ; que l’arrêt retient qu’Air-France, qui bénéficiait d’un monopole de transport aérien de fret entre la France continentale et la Réunion, avait procédé aux augmentations de tarif, comme l’établissent les correspondances versées au débat, dans le but avoué de porter atteinte au libre jeu de la concurrence au profit de la seule Société avicole de Bourbon, donc en vue d’assurer la protection d’intérêts purement privés, entravant ainsi le fonctionnement normal du marché de la production avicole ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a décidé à bon droit qu’Air-France avait abusé de sa position dominante et ne pouvait se prévaloir ni d’une contrainte résultant d’un texte législatif ou réglementaire ni de la justification fondée sur l’intérêt du développement économique ; d’où il suit que le moyen, qui manque partiellement en fait, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


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