Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Etablissements André X…, société anonyme, dont le siège social est 76, rue L. Rambaud, à Sainte-Clotide (La Réunion),
en cassation d’un arrêt rendu le 20 septembre 1990 par la cour d’appel de Paris (1ère chambre section concurrence), au profit :
1°) de la Coopérative agricole des huiles essentielles de bourbon dite Caheb, dont le siège social est 83, rue K’Veguen, à Tampon (La Réunion),
2°) du ministre chargé de l’Economie, des Finances et du Budget, domicilié en cette qualité en ses bureaux, … (7ème),
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 21 avril 1992, où étaient présents : M. Hatoux, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, Mme Loreau, MM. Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, conseillers, M. Lacan, Mme Geerssen, conseillers référendaires, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Léonnet, les observations de Me Vuitton, avocat de la société des Etablissements André X…, de Me Ricard, avocat du ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier et le deuxième moyens réunis :
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Paris, 20 septembre 1990) que la Coopérative agricole des huiles essentielles de Bourbon (Caheb) qui procède dans le département de la Réunion à la collecte et au stockage de l’essence de géranium Bourbon, s’est vu autoriser progressivement par l’autorité préfectorale à exporter directement une partie, puis la quasi totalité de sa collecte ; que la société Etablissements X… (la société) qui exerce à la Réunion des activités commerciales diverses et qui exporte notamment de l’essence de géranium Bourbon qu’elle a achetée depuis 1964 à la Caheb s’est vu refuser, le 27 janvier 1988, par cette coopérative une livraison de deux cents kilos d’essence au motif qu’en raison de la sous-production ses stocks étaient insuffisants et que son carnet de commande était plein pour plusieurs mois ; que la coopérative lui a enfin précisé qu’elle était dans l’obligation de respecter un niveau de vente minimum au prix FOB afin de ne pas compromettre sa situation financière ; que la société a saisi le Conseil de la concurrence, qui, à l’issue d’une mesure d’instruction a décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours formé par la société, alors, selon le pourvoi, d’une part, que l’entreprise abuse de sa position dominante en cas de refus de vente, ventes liées, conditions de vente discriminatoires, rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ;
que dès lors, en retenant que l’abus de position ne serait répréhensible que dans le seul cas de conditions de vente discriminatoires, à l’exclusion donc de tout autre cas, l’arrêt attaqué a violé l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d’autre part, qu’est prohibée l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur le marché ; que cette exploitation abusive peut consister en un refus de vente ; qu’en l’espèce, l’arrêt attaqué a relevé que la Caheb bénéficiait d’une position dominante indiscutable sur le marché de l’essence de géranium-Bourbon de la Réunion ; que dès lors, en ne recherchant par si le refus par la Caheb de vendre les 200 Kgs d’essence de géranium-Bourbon commandés en 1987 par la société ne constituait pas une exploitation abusive de sa position dominante sur le marché de l’essence de géranium-Bourbon de la Réunion, l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux allégations du moyen, la cour d’appel n’a pas énoncé que l’abus de position dominante ne serait répréhensible que dans le cas de conditions de vente discriminatoires ;
Attendu, en second lieu, que l’arrêt a relevé que la modification apportée par la Caheb « dans ses conditions de distribution n’a eu ni pour objet, ni pour effet, de restreindre la capacité d’approvisionnement des utilisateurs du produit en question » et que la société « ne saurait soutenir que cette modification s’est effectuée dans des conditions discriminatoires, dès lors qu’elle en avait été régulièrement informée au même titre que l’ensemble des autres partenaires du marché litigieux » ; que par ces seuls motifs, d’où il ressort que la Caheb ne s’est pas rendue coupable d’un refus de vente, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;
Que les deux moyens ne sont donc pas fondés ;
Sur les troisième et quatrième moyens pris en ses deux branches et réunis :
Attendu qu’il est encore fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours formé par la société, alors, selon le pourvoi, d’une part, qu’est prohibée l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur le marché intérieur consistant dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ; qu’en l’espèce, l’arrêt attaqué a relevé que la Caheb était en situation de position dominante sur le marché de l’essence de géranium Bourbon de la Réunion ; que cette même coopérative avait modifié les conditions commerciales du marché litigieux telles qu’elles avaient été contractuellement prévues entre les parties le 16 avril 1964 ; que, dès lors, en affirmant que le grief d’abus de position dominante n’était pas caractérisé sans rechercher au préalable si la rupture des relations commerciales par la Caheb (refus de vente 1987, rupture unilatérale de l’accord du 16 avril 1964) ne s’expliquait pas par le refus des établissements X… de se soumettre à de nouvelles conditions commerciales inadmissibles (empêchement de la Caheb sur l’exportation, transaction au prix FOB et non plus au prix nu-courtier), l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d’autre part,
que les conventions tiennent lieu de loi entre les parties ; qu’ainsi, en l’espèce, en estimant que la Caheb demeurait libre de modifier les modalités de commercialisation de l’essence de géranium-Bourbon, sans rechercher si ces modalités de commercialisation n’avaient pas fait l’objet d’un accord entre la Caheb et les établissements X…, en date du 16 avril 1964, révisé en 1979, que la Caheb ne pouvait dénoncer unilatéralement, l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, qu’est prohibée l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante consistant à imposer des conditions de vente discriminatoires ; qu’en l’espèce, l’arrêt a relevé que la Caheb bénéficiait d’une position dominante indiscutable sur
le marché litigieux et qu’elle avait par ailleurs imposé aux exportateurs de nouvelles conditions de vente ; qu’il s’ensuit que l’arrêt devait procéder à l’examen de ces nouvelles conditions de vente (prix FOB dans un marché où l’exportation était reconquis par la Caheb) afin de rechercher si elles étaient ou non discriminatoires vis-à-vis des exportateurs de l’essence de géranium-Bourbon ; que sur ce point, l’arrêt attaqué n’a procédé à aucun examen, privant sa décision de base légale au regard de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l’arrêt, constatant qu’il n’y avait pas eu d’accord entre la Caheb et la société sur la commercialisation de l’essence de géranium-Bourbon, a énoncé qu’en l’absence de liens contractuels établis le fournisseur reste libre de modifier l’organisation de son réseau de distribution sans que ses clients bénéficient d’un droit acquis au maintien de leur situation ; qu’il a pu, dès lors, estimer que la Caheb demeurait libre de modifier les modalités de commercialisation du produit qu’elle distribuait puisque cette modification ne s’était pas effectuée dans des conditions discriminatoires pour l’ensemble des partenaires du marché litigieux et sans restreindre la capacité d’approvisionnement des utilisateurs ; qu’il résulte de ces constatations et énonciations que la cour d’appel n’a pas méconnu les textes susvisés ; d’où il suit que le troisième moyen et le quatrième moyen, pris en ses deux branches ne sont pas fondés ;
Sur le cinquième moyen :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours formé par la société, alors, selon le pourvoi, que l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à l’égard d’une entreprise fournisseur une entreprise cliente s’apprécie au regard d’un marché donné ; qu’en l’espèce, il s’agissait du marché de l’essence de géranium-Bourbon de la Réunion ;
que dès lors en appréciant l’état de dépendance de la société vis-à-vis de la Caheb au regard du marché litigieux mais aussi au regard des marchés du tabac, véhicules automobiles et produits alimentaires sur lesquels est placé la société mais étrangers à la Caheb, l’arrêt attaqué a violé l’article 8-2 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l’arrêt a expressément délimité le marché litigieux au marché propre à l’essence de géranium-Bourbon produit à la Réunion et pour lequel il n’existe pas de véritables substituts ; qu’il a constaté que la vente de ce produit ne représentait que
2,07 % du chiffre d’affaires de la société, et a relevé que les établissements André X… conservaient la possibilité de se maintenir sur le marché de l’essence de géranium en l’achetant aux nouvelles conditions fixées par la Caheb ; qu’ainsi, abstraction faite de tout autre motif, la cour d’appel n’a pas violé le texte susvisé ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le sixième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours, alors, selon le pourvoi, d’une part, que sont prohibées les pratiques abusives consistant à imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente non équitables ; que dès lors, en l’espèce, en ne recherchant pas quelles étaient les conditions de détermination des prix du produit litigieux par la Caheb, seul arbitre du marché de l’essence de géranium-Bourbon, l’arrêt a privé sa décision de base légale au regard de l’article 86 du
Traité de Rome ; et alors, d’autre part, que dans ses conclusions d’appel, la société faisait valoir que la situation de la Caheb lui permet d’influer totalement sur le cours mondial de l’essence de géranium puisqu’il ressort des documents versés au dossier que ce cours dépend de l’essence de géranium-Bourbon dont la Caheb est actuellement le seul détenteur et exportateur ; que
dès lors, en se bornant à relever que la modification effectuée par la Caheb dans ses conditions de distribution n’influençait pas la situation de la concurrence sans réponse à ce chef des conclusions de la société, l’arrêt attaqué a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’en se référant à sa motivation précédente selon laquelle la Caheb demeurait libre de modifier les modalités de commercialisation de l’essence de géranium-Bourbon, et, en relevant que la modification effectuée par cette coopérative dans ses conditions de distribution n’a eu ni pour objet, ni pour effet de restreindre la capacité d’approvisionnement des utilisateurs du produit en question, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a justifié sa décision au regard tant du droit interne que du droit communautaire ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
! Condamne la société des Etablissements André X…, envers la Caheb et le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du seize juin mil neuf cent quatre vingt douze.